La Chronique Agora

Quand le bulldozer algorithmique aplanit les aspérités conjoncturelles

▪ Les marchés s’obstinent à vouloir nous raconter de belles histoires au sujet de la croissance, des profits futurs, des taux éternellement bas… Mais nous persistons à ancrer notre réflexion dans le réel et à collecter des avis qui nous sont délivrés « en off » et qui divergent de plus en plus du discours dominant qui demeure invariablement archi-haussier.

Nous sommes parfois surpris des procédés utilisés par les médias, lesquels endossent de manière un peu trop visible le costume de faiseurs d’opinion.

Une simple anecdote — qui peut être vérifiée en jetant un rapide coup d’oeil sur les fils d’actualités des sites boursiers les plus populaires (qu’ils soient francophones ou anglo-saxons) — nous semble éclairante.

Nous vous relations dès la première semaine de janvier ces sondages réalisés par de grandes banques américaines, reflétant un optimisme en acier inoxydable des investisseurs.

Eh bien, figurez-vous que ces mêmes études sont rediffusées avec une régularité de métronome toutes les 48 heures, sous une forme ou une autre. Elles sont gratifiées de force titres accrocheurs attestant de l’appétit insatiable des marchés pour les actions, du consensus uniformément haussier qui ne laisse planer aucune ambiguïté sur la poursuite du rally boursier, sur le faisceau d’éléments techniques concordants qui interdit l’émergence du moindre épisode correctif, etc. !

C’est un véritable matraquage, une répétition à caractère obsessionnel : prononcer le mot « bourse » dans un journal télévisé suffit à faire mousser les indices. Le seul fait que le soleil se lève chaque matin comble de bonheur les investisseurs. Ils ne craignent qu’une seule chose, que le ciel leur tombe sur la tête.

Mais les techniciens de la NASA, les astrophysiciens qui collectent et traitent heure par heure les milliards de données déversées par Hubble et d’autres satellites qui balayent l’univers sont formels : la Terre connaitra bien 150 nouvelles aurores d’ici l’achèvement du « QE2 » de la Fed… c’est-à-dire 150 bonnes raisons de voir Wall Street battre record sur record et renouer avec ses sommets de l’été 2007.

▪ L’Europe semble en revanche chercher un second souffle. Cette séance de mardi a constitué le symétrique quasi-parfait de celle de la veille. Le CAC 40 a reculé de 0,35% à 4 019 points, à l’issue d’une journée où les indices ont oscillé durant 75% du temps de part et d’autre du point d’équilibre.

L’Euro-Stoxx 50 fléchissait sans grande intensité (-0,7%), Francfort a limité la casse avec -0,12%, Milan lâchait 1%. Madrid perdait quant à elle 1,4% — malgré une estimation très optimiste du montant nécessaire à la restructuration des cajas par le FROB : seulement 20 milliards d’euros alors que le consensus table sur 50 milliards.

Londres, qui cédait 0,5%, a fait preuve d’un sang-froid remarquable face à l’annonce surprise d’une sévère contraction du PIB britannique.

▪ L’estimation préliminaire du PIB du Royaume-Uni trahit un plongeon de 0,5% au dernier trimestre 2010 en rythme séquentiel (au lieu de +0,5% anticipé). Il s’agit de la première baisse depuis le troisième trimestre 2009, mais également d’une performance bien pire que ce que les observateurs les plus pessimistes prévoyaient, en incluant le « facteur neige » qui a paralysé le pays durant une bonne partie du mois de décembre.

L’autre facteur qui ne doit rien à la météo, c’est la politique d’austérité qui a été instaurée pour tenter de réduire les déficits (suppression de nombreuses allocations). L’hypothétique rebond technique anticipé pour ce mois de janvier sera contrarié par une hausse de la TVA qui va se rajouter à une inflation qui inquiète la Bank of England.

De quoi rappeler, s’il en était besoin, que la reprise économique est loin d’être acquise en Angleterre… Et qu’il en va de même sur le Vieux Continent, à l’exception notable de l’Allemagne dont le sort dépend en grande partie du dynamisme — qui s’apparente par bien des aspects à une surchauffe — de la Chine.

▪ Pas de quoi perturber Wall Street, toutefois. Elle terminait à l’équilibre, les indices américains étant repassés dans le vert à 21h59mn et 40 secondes.

Admirons au passage la stupéfiante précision des algorithmes qui ont été déclenchés à 90 minutes de la clôture, alors que les trois principaux indices américains affichaient un repli collectif de 0,7%.

La puissance de l’outil informatique se lit dans la perfection de l’angle de progression des actions américaines, au sein d’un étroit canal où le contrôle exercé sur la tendance apparaît total.

Pas de place pour le hasard, aucun suspense. Les vendeurs ont vu surgir devant eux un bulldozer informatique dont l’avancée s’est avérée une nouvelle fois inexorable.

Des remontées de cet acabit, on peut en observer des dizaines au cours des six derniers mois… A chaque fois, il est difficile de ne pas être bluffé par la capacité de quelques intervenants dotés des plus puissants logiciels (et des abondantes liquidités offertes par la Fed) à prédéterminer le scénario boursier plusieurs heures à l’avance — et ce quelle que soit la teneur de l’actualité du jour.

▪ Les hasards du quotidien ne pèsent pas lourd dans leur tableau de marche. Wall Street a ignoré la rechute de 0,5% du PIB du Royaume-Uni tout comme la chute du prix des logements (-1,6%) au mois de novembre dans les 20 plus grandes métropoles américaines selon le baromètre S&P/Shiller-Case.

Très curieusement, la tendance s’était au contraire alourdie peu après 16h suite à la « bonne surprise » constituée par l’envolée de l’indice de confiance des consommateurs du Conference Board. Ce dernier a bondi de 53,3 jusque vers 60,6 en janvier (le consensus tablait sur un score de 54 à 55).

Wall Street pourrait avoir donné l’impression de plébisciter le discours du président Obama concernant les lignes de forces de son programme pour les mois qui viennent… mais les passages clé étaient déjà connus à l’avance.

▪ La réunion du Comité de politique monétaire de la Fed débutait ce mardi. Les opérateurs s’attendent à ce que le « QE2 » aille à son terme, même si une suspension prématurée était envisagée dans le texte du communiqué qui sera lu demain.

Le taux de chômage durablement élevé et la modération des pressions inflationnistes (l’indice officiel des prix est magnifiquement conçu pour masquer l’ampleur de ce problème) permettront à Ben Bernanke de ne pas dévier de la ligne qu’il s’est fixée et qui équivaut à un engagement irrévocable aux yeux des marchés.

Rien d’autre ne compte… et nous attendons la démonstration du contraire !

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