La Chronique Agora

Quand la vanité humaine se mesure au kilomètre…

 

▪ Le petit coup de pouce de Wall Street en fin de séance mercredi a permis au CAC 40 d’effacer ses pertes résiduelles au moment du fixing de clôture. L’indice, qui affichait au final +0,02% contre -0,05% à 17h29, s’épargne ainsi le désagrément d’une troisième consolidation consécutive (la Bourse a un ratio de trois séances de hausse sur quatre à respecter).

Le CAC 40 a évolué tout au long de la séance autour du cours pivot des 4 000 (ce qu’illustre à merveille un score de 4 000,85 points en clôture), dans des volumes relativement étoffés de 3,35 milliards d’euros, malgré une faible volatilité.

Les pertes initiales (-0,3%) étaient dues à l’annonce de charges exceptionnelles (prise en compte plus réaliste de pertes potentielles sur des produits structurés de crédit immobilier) par la Société Générale. Le titre perdait plus de 4% en début de cotations et il accusait un repli de 3,5% en clôture.

L’indécision apparente du marché parisien reflétait l’état d’esprit général en Europe. Le FTSE 100 à Londres affichait un repli de 0,45% tandis que le DAX 30, à Francfort, parvenait à grappiller 0,35%, malgré le plongeon de 5% du PIB allemand en 2009.

L’Eurotop 100 terminait en hausse de 0,13%, le DJ-Stoxx 50 cédait 0,05%… on ne saurait trouver équilibre plus parfait.

Absence de statistiques significatives aux Etats-Unis et de trimestriels faisant office de baromètre de la profitabilité des multinationales cotées sur le NYSE : la stabilité des indices boursiers semble coïncider à merveille avec l’actualité du jour.

▪ Si le Nasdaq reprenait à mi-séance le chemin de la hausse avec un gain inespéré de 0,75%, à 2 300 points, c’était avec la complicité du titre Baidu, le numéro un des moteurs de recherche chinois sur Internet. Baidu faisait rapidement la différence avec un gain de 14% alors que son rival Google perdait 1,5%.

Google évoque très sérieusement son retrait du marché chinois pour cause d’attaques de hackers… et de censure de milliers de mots-clés jugés politiquement incorrects par les autorités de Pékin. La Maison Blanche s’en émeut ouvertement, le gouvernement chinois demande des « clarifications »… Tout cela illustre le duel à fleurets mouchetés que se livrent les deux pays sur le front du commerce international.

Les relations bilatérales se sont dégradées après la prise de fonction de Barack Obama. De nombreux produits made in China ne répondant pas aux normes sont désormais interdits sur le territoire américain. Pékin a aussitôt dressé une liste d’articles américains d’importation non-conformes… et la tentation protectionniste s’amplifie au fil des semaines de part et d’autre du Pacifique.

La rivalité commerciale entre les deux pays dépasse largement le domaine des grille-pain, des téléphones cellulaires et des médicaments génériques. La Chine ambitionne de concurrencer directement Boeing à l’horizon 2015, mais également les géants du nucléaire comme Westinghouse ou General Electric. L’industrie automobile américaine pourrait recevoir le coup de grâce d’ici deux ou trois ans avec l’invasion de modèles de voitures hybrides dont le coût de fabrication serait deux fois moindre qu’aux Etats-Unis.

Mais la Chine, c’est aussi le pays dont partent le plus de virus et d’attaques informatiques visant à pirater des données sensibles dans les entreprises occidentales. La Chine est également la championne du monde du protectionnisme déguisé et de l’inégalité de traitement par la justice lorsqu’une firme étrangère connaît un litige avec une firme locale.

Souvenez-vous de cet exemple édifiant : en mars 2004, un tribunal de Shanghai avait jugé que le propriétaire de la marque Lacoste avait copié illégalement sur le marché chinois le logo d’un concurrent singapourien totalement confidentiel… « Crocodile International ».

La Cour populaire de Shanghai avait ordonné à Lacoste de cesser d’utiliser son logo sur le territoire chinois… de présenter des excuses publiques… et de payer symboliquement un dollar de dommages et intérêts !

Si les relations commerciales franco-chinoises s’envenimaient, n’importe quel parfumeur pékinois pourrait certainement saisir la justice et obtenir une condamnation de Chanel pour plagiat… faisant interdire la vente du N°5 avec une lourde amende à la clé, pour le tort causé à un honnête artisan local sans défense !

Nous soutenons depuis longtemps que les firmes occidentales qui se voient mettre la main sur le marché chinois comme le firent les entreprises britanniques sur le marché indien il y a 150 ans se trompent lourdement.

Il existe un lieu commun consistant à présenter la Chine comme la nouvelle locomotive du monde. C’est oublier que l’essentiel du crédit distribué dans le pays sert à financer une gigantesque bulle immobilière — laquelle permet de générer des millions d’emplois, c’est-à-dire de préserver la paix sociale en interne. Il ne faut pas se faire d’illusions : l’empire du Milieu n’a nullement l’intention d’offrir des béquilles aux entreprises exportatrices occidentales.

Bien au contraire : si le dumping industriel et monétaire pouvait leur casser les deux jambes — après avoir vendu sous licence leurs technologies dernier cri –, ce serait une satisfaction immense (« si les capitalistes continuent de nous vendre la corde pour se faire pendre, cela les regarde »).

N’allez pas croire que nous ayons un compte à régler avec la Chine : elle joue à merveille sa partition. Nous sommes en revanche atterré par la naïveté des économistes béats d’admiration devant les forêts de grues de Shanghai ou Shenzhen… et de beaucoup de capitaines d’industrie lorsqu’ils se targuent de s’être garanti des relais de croissance éternelle en faisant leur entrée à grand frais sur les marchés asiatiques.

Mais si le cas Google/Baidu ne leur ouvre pas les yeux, rien ne le fera !

▪ Revenons-en à l’apparente indécision des places boursières de la mi-octobre à fin décembre, puis de nouveau depuis le 5 janvier. Si les cours n’avaient été aussi systématiquement tirés à la hausse depuis la mi-juillet 2009, nous pourrions disserter sur le fait que pas un gouvernement et pas un patron de Banque centrale ne sait ou s’en va l’économie mondiale à un horizon de six à neuf mois.

C’est d’ailleurs tout ce qui fait l’intérêt de la spéculation boursière : la manipulation des cours peut toujours se cacher derrière des justifications qui relèvent du conte de fées.

▪ Il est en revanche plus difficile de masquer le fait que des dizaines de millions de mètres carrés récemment sortis de terre (ou des flots au large des Emirats) sont inoccupés à Dubaï ou à Shanghai. Mais la psychologie humaine est ainsi faite : le prince Al Walid vient d’annoncer qu’il va financer la mise en chantier d’une tour de 1 000 mètres de haut qui dominera bientôt le port de Djedda ! Les pertes de huit milliards de dollars subies en 2009 par son fonds d’investissement, baptisé Kingdom Holdings, ne sont pas de nature à remettre en cause ce caprice de milliardaire.

Bernard Madoff avait offert au monde une nouvelle unité de mesure de désastre financier : 65 milliards de dollars. Le cheikh Al Walid pourrait démontrer que la vanité humaine se mesure non plus en hectomètres mais bel et bien au kilomètre.

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