Si pour l’instant les prix ne se sont pas encore ajustés à la perte de valeur de notre monnaie… cela ne saurait tarder.
Tous les prix du « stuff », c’est-à-dire des choses matérielles, sont en retard !
Il y a deux univers, celui des signes financiers et celui du réel, c’est-à-dire de l’économie des choses.
Depuis le début des années 1980, grâce à la dérégulation permise par le désancrage du dollar, on a pu libérer la monnaie et la finance de toute contrainte d’émission. On peut en émettre autant que l’on veut.
Ceci a donné lieu à une explosion de la quantité de monnaie, quasi-monnaie, money-like, disponible, et à une explosion de la taille de l’univers imaginaire, censé représenter ou refléter le réel. L’univers des signes monétaires et quasi monétaires a fait comme on dit une « bulle ».
Il y a désalignement entre tous ces signes monétaires que l’on a créé, et le « stuff » qui est disponible sur la planète à des niveaux qu’il est rentable d’exploiter.
Inflation ou dépréciation ?
Donc, ce désalignement crée une tension potentielle, une tendance à la baisse de la valeur relative de l’univers monétaire « contre » l’univers du stuff. Cette tendance ne se manifeste que lorsque les signes monétaires émis entrent dans le circuit du réel, c’est-à-dire lorsqu’ils cessent d’être stockés et neutralisés. Alors, la vitesse de circulation de la monnaie s’accroît, et la monnaie émise en quantité excédentaire part à la recherche de ce qui est censé constituer sa contre-valeur ou sa contrepartie : le stuff.
Ce qui trompe, c’est que les prix du stuff montent de façon aléatoire en fonction de circonstances particulières, ceci induit en erreur et on croit que c’est de l’inflation des prix.
Non, c’est faux : c’est de la dépréciation de la monnaie.
La dépréciation de la monnaie ne se donne pas à voir en tant que telle, car elle est circonstancielle, et aléatoire en fonction des hasards de l’offre et de la demande ; mais elle est réelle, et c’est le vrai phénomène.
La hausse des prix est le mode d’apparition de la dépréciation de la monnaie. Avant que les prix montent, la dépréciation reste potentielle, mais elle est acquise, « baked in the cake » comme dit Hussmann, ou nécessaire comme dirait Marx.
La dépréciation de la monnaie se donne rarement pour ce qu’elle est, et elle ne se donne souvent à voir qu’indirectement … sauf lorsque l’on en arrive à l’hyperinflation.
L’hyperinflation, c’est quand les citoyens remettent les phénomènes monétaires sur leurs pieds c’est-à-dire que l’on s’aperçoit que c’est la monnaie qui est pourrie et non pas les prix qui montent. L’hyperinflation est le vrai mode direct d’apparaître de la dépréciation de la monnaie, l’autre mode est un mode voilé, inversé.
Monnaie mortelle
L’hyperinflation intervient lors de la prise de conscience par les masses du fait que c’est la monnaie qui ne vaut rien et qu’elle brûle les doigts. Cela introduit une discontinuité dans les perceptions et c’est pour cela que l’on la qualifie de crise.
On retombe dans la gestion des masses par les élites grâce à la technique de la grenouille ébouillantée ; on mène la dépréciation en continu, et les masses ne s’en aperçoivent pas. Mais quand la température/les indices des prix montent alors le phénomène change de nature, elles comprennent et sautent hors de l’univers monétaire et veulent du stuff .
La dépréciation de l’univers monétaire et financier est inéluctable à cause du désalignement entre la masse de signes monétaires et la masse de stuff disponible.
L’univers monétaire et financier est – selon mes estimations sur la base des ratios anciens – entre 4 et 5 fois ce qu’il devrait être ; au lieu d’être de 100, il est entre 400 ou 500 !
La mort est inéluctable, vous le savez, mais elle ne se manifeste que dans des circonstances particulières aléatoires, et on a tendance à dire que la mort est causée par quelque chose, la maladie, le cancer, ou l’accident par exemple ; c’est le mode d’apparition de la mort. Elle est aléatoire, alors que la cause déterminante de la mort c’est… que l’on est mortel. La cause de la dépréciation de la monnaie, c’est sa sur-émission ; et sa dépréciation est inéluctable, mais sa manifestation est aléatoire, circonstancielle.
L’explosion de la masse d’actifs monétaires et financiers contient en germe depuis le premier jour l’explosion des prix, et la baisse de la valeur relative de la monnaie. Mais c’est différé, et surtout étalé et diversifié.
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]