Alors que Wall Street est en forme (merci Apple), les Etats-Unis et la Chine font face à une menace grandissante qui appauvrit leur population…
Le sursaut de Wall Street ce vendredi 3 mai a fait la différence, ou plutôt, une grosse pomme !
Les indices US enchaînent une seconde semaine de hausse, ce qui n’était vraiment pas gagné jeudi soir, tout du moins avant qu’Apple publie ses résultats et annonce le plus titanesque plan de rachats d’actions de l’histoire du capitalisme, avec 110 Mds$. Cela porte à plus de 625 Mds$ la quantité de titres rachetés par Apple en dix ans, soit le quart de la capitalisation du CAC 40 au 30 avril dernier.
Apple a largement surpassé l’effet « NFP » (chiffres de l’emploi US d’avril), d’un point de vue indiciel : mécaniquement, le Nasdaq s’est envolé de 2%. Apple a bondi de 6% mais surtout, on a dépassé les 27 Mds$ de transactions (153,5 millions de titres négociés) de 15h30 à 22h, soit l’équivalent des échanges cumulés des six dernières semaines à la Bourse de Paris en seulement 6 heures et demi.
En dehors de la firme à la pomme, ce qu’il faut retenir de la journée du 3 mai, c’est l’embellie sur le front des taux – signe du retour en force du principe selon lequel « une mauvaise nouvelle est une bonne nouvelle » – avec une création d’emplois inférieure de 30% aux attentes et une augmentation du taux de chômage de 0,1 point, atteignant 3,9%, alors que le consensus prévoyait une stabilité.
La perspective d’un assouplissement monétaire par la Fed dès le mois de septembre repasse le cap des 50%, mais il serait prématuré de croire que toutes les difficultés de l’économie US soient résolues d’ici la fin de l’été. Le taux de défaut sur les cartes de crédit bat des records semaine après semaine, et les records historiques s’enchaînent sur le crédit auto, avec un taux « d’incidents » supérieur à 7%.
Les économistes tentent depuis des mois de nous rassurer en soulignant que le taux défaut sur les prêts immobiliers demeure à des niveaux « gérables » ; mais la réalité, c’est que les saisies commencent à se multiplier, avec des centaines de milliers de ménages américains qui éprouvent de plus en plus de difficultés à honorer le remboursement de leurs mensualités.
En effet, les montants dus, révisables au bout de trois ans pour nombre d’emprunts, commencent à grimper en flèche pour nombre d’acheteurs ayant contracté un prêt hypothécaire en 2021.
Pour les primo-accédants, à moins d’hériter de parents fortunés ou de gagner 8 500 $ par mois, devenir propriétaire devient un privilège digne de la fin du XIXe siècle. Le coût moyen d’un crédit hypothécaire de 200 000 $ pour l’achat d’une maison aux Etats-Unis s’élève de 2 750 $ à 3 000 $/mois (selon votre note de crédit, et les mensualités ne doivent pas dépasser plus du tiers des revenus).
Une mensualité médiane de 2 850 $ représente désormais le deuxième montant le plus élevé jamais enregistré dans l’histoire du pays, selon Reventure. Avant la pandémie de 2020 (et jusqu’à fin 2021), le crédit pour une maison moyenne aux Etats-Unis coûtait 1 400 $/mois. Autrement dit, il est désormais 100% plus cher d’acheter un logement en 2024 qu’en 2020. Même au plus fort de la crise financière de 2008, le paiement moyen d’un logement a culminé à 1 550 $/mois.
Avec la récente remontée de +75 points des taux hypothécaires (depuis début janvier), une famille américaine moyenne doit désormais consacrer 44% de son revenu avant impôts à l’achat d’une maison.
En ce qui concerne la révision des mensualités imposée aux emprunteurs à taux variable, près d’un Américain sur cinq doit sauter l’un des repas quotidiens pour payer ses frais de logement mensuels, selon une enquête Redfin.
Au cours de la dernière année, environ 35% des personnes interrogées n’ont pris aucune ou moins de vacances pour couvrir leurs dépenses de logement. Pas moins de 22% ont sauté un repas quotidien, 21% ont travaillé des heures supplémentaires ou ont vendu leurs biens, tandis que 18% des Américains ont dû emprunter de l’argent et 17,6% ont puisé dans leur épargne-retraite. Près de 16% d’entre eux ont retardé ou renoncé à des traitements médicaux. Près de 15% ont sacrifié leur temps libre pour prendre un job supplémentaire comme livreur au chauffeur VTC.
Il serait intéressant de mesurer combien d’Américains ont renoncé à la version la plus récente de l’iPhone à 1 500 $ pour passer à un modèle d’occasion à moins de 500 $ (iPhone 11, 12 ou 13). Peut-être y trouverait-on une piste pour expliquer le fléchissement des ventes de smartphones puisque le phénomène ne se cantonne pas qu’à la Chine (où elles sont en recul de 20 % au 1er trimestre 2024).
Le tassement des ventes de Tesla au premier trimestre reflète également les difficultés des marques « premium » en Chine, avec des produits « chers », qui ne font surtout plus rêver par leur caractère innovant et ne continuent de briller que par leurs « marges ».
Notons qu’en Chine, le « problème » des classes moyennes provient également de l’immobilier, non pas tant de son caractère inabordable que d’un phénomène de saturation : trop de bien vacants restent sur les bras des promoteurs qui sont contraints de les brader, ce qui alimente un « sentiment d’appauvrissement » de la population dont la valeur du patrimoine immobilier continue de chuter pour la troisième année consécutive. Le prix de l’immobilier en Chine a d’ailleurs chuté de 25% en deux ans, c’est-à-dire plus rapidement qu’au Japon lors de l’éclatement de la bulle à partir de 1992.
Nous sommes parvenus à ce moment un peu spécial où l’immobilier « appauvrit », d’une manière ou d’une autre, la majorité des habitants des deux premières puissances économiques de la planète. Seul Wall Street surnage grâce à des expédients comme les buybacks massifs, lesquels ne sont que le reflet d’un manque de perspectives porteuses pour les prochains trimestres.