En 2018, le mouvement des Gilets jaunes avait mis en lumière la taxe TICPE sur l’essence, mais, en ce début d’année 2022, le prix à la pompe est encore plus élevé qu’alors. Le prix du baril de brut sur les marchés mondiaux joue un peu, mais les causes sont plutôt à chercher au niveau national…
L’équipe de La Chronique Agora m’a récemment relayé une question d’un abonné sur le prix de l’essence : pourquoi cette dernière est-elle plus coûteuse aujourd’hui comparé à 2008 alors que, cette année-là, le prix du baril était plus élevé ? Voilà une excellente question.
En effet, en 2008 le prix du baril (ajusté à l’inflation) avait même atteint un sommet à 180 $, alors qu’aujourd’hui il en vaut seulement la moitié. En avril 2020, le baril avait même atteint son niveau le plus bas à 20 $. C’est d’ailleurs pour cette raison que la hausse de l’essence nous semble d’autant plus frappante.
Qu’est-ce qui entraîne ce phénomène ? Instinctivement les consommateurs ont tendance à pointer du doigt les marges des producteurs de pétrole. Mais, en réalité, elles ont plutôt été en diminution en raison de la pandémie. J’ajouterais également qu’il faut faire la distinction entre « marge » et « profit ». En effet, n’oublions pas que les pétroliers doivent déduire leurs frais courants, qui augmentent avec l’inflation générale que nous connaissons en ce moment.
Tournons-nous donc plutôt du côté des taxes.
TICPE : la taxe kafkaïenne à la française
En France, l’État applique à l’essence la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), qui est une accise [NDLR : taxe appliquée à certains biens de consommation, dont le pétrole, et liée à la quantité de produits échangés plutôt qu’à leur valeur]. Or, depuis 2013, la TICPE a augmenté de presque 10%. En effet, depuis 2014, cette taxe intègre une composante carbone (CC) qui est calculée par un coefficient du prix sur la tonne de CO2 produite. Cet ajout est une demande qui était faite depuis longtemps par Europe Écologie-Les Verts, et cette taxe sur la taxe a été augmentée plusieurs fois depuis son introduction.
Cette taxe écologique n’est par contre pas appliquée sur le transport routier, qui bénéficie de l’exonérations des composantes carbones de la TICPE.
Pire encore, la France soumet le prix de l’essence à la TVA de 20%, appliquée une première fois avant TICPE, puis une deuxième fois sur le prix de vente, donc TICPE incluse !
Cela veut dire que la France vous taxe sur des produits qui ont déjà été taxés, ridiculisant ici le concept même de la « valeur ajoutée ». Ainsi, toute augmentation de la TICPE a un effet démultiplicateur.
Ce système est né d’un calcul politique. Au début des années 2000, la France se plaignait du fait que les milliards d’euros potentiels pour l’État étaient perdus sur les frontières avec d’autres pays, dont le Grand-Duché de Luxembourg (mon pays d’origine). Pour rectifier ces « injustices », la France a défendu un montant de taxe minimal, finalement devenu réalité avec la directive 2003/96/CE sur la taxation de l’énergie, qui fixe aujourd’hui le minimum à 36 centimes.
Problème résolu, alors ? Pas du tout, parce que le minimum légal des taxes sur les carburants n’aura pas été suivi très longtemps. Pas parce que le Luxembourg a enfreint les règles et vendu de l’essence moins chère que ce qui serait autorisé par les règles de l’UE, mais parce que la France a largement augmenté ses taxes, comme indiqué ci-dessus.
Quel pays taxe le plus l’essence ?
Pour que vous ayez un ordre de grandeur en tête : selon un rapport publié en juin 2021 par FuelsEurope, association qui regroupe les principaux groupes pétroliers européens, sans les taxes, le prix de l’essence serait de 57 centimes, celui du diesel de 54 centimes. Dans certains pays de l’UE, le prix serait même de 50 centimes pour le diesel.
Comme l’a montré une organisation pour laquelle je travaille, le Consumer Choice Center, la France est le troisième pays dont les taxes sur les carburants les plus élevées d’Europe, avec 64 centimes par litre. Elle n’est dépassée que par les Pays-Bas avec 67 centimes et l’Italie à 68 centimes.
Selon le rapport de FuelsEurope, le palmarès des taxes les plus importantes est un peu différent, avec l’Italie et la Belgique devant la France pour le diesel (à quelques centimes près). Concernant l’essence, le record est là aussi tenu par les Pays-Bas (à 1,11 € de taxes en tout !), devant l’Italie, puis la Finlande, et le Danemark à égalité avec la France (à 94 centimes de taxes diverses et variées).
Cela dit, en 2018, l’augmentation de la TICPE en France a bien été gelée en réponse au mouvement des Gilets jaunes.
Un avenir moins taxé est-il envisageable ?
Pourrait-on envisager d’aller encore plus loin, et de réduire la TICPE pour contrer l’inflation et une possible augmentation du baril ? Absolument.
La France a déjà appliqué une approche similaire en baissant à son minimum la taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité (TICFE) en janvier 2022, pour contrer l’évolution des prix d’électricité.
Cependant, il est difficile d’imaginer que le gouvernement de Macron choisira de faire de même avec la TICPE, puisque la projection d’augmentation faisait partie des mesures pour lutter contre le changement climatique. Emmanuel Macron ne prendra pas le risque de voire réduire la crédibilité internationale de l’accord de Paris sur le climat en réduisant le prix de l’essence, même si les consommateurs en souffrent.
Barbara Pompili, ministre de l’Écologie, demande désormais aux distributeurs « de faire un geste » et de réduire leurs marges, même s’il ne s’agit que d’un ou deux centimes par litre, ce qui représente donc moins de 3% du prix, comparé aux taxes et accises de l’État. En même temps, le gouvernement prépare l’introduction et la distribution d’un chèque carburant pour les travailleurs les plus pauvres.
Compte tenu des ressources dont l’État français a besoin pour investir dans les énergies renouvelables, je pense que le gouvernement, lorsque les temps seront plus propices sur le plan politique, augmentera certainement les taxes sur les carburants.
Maintenant, cela peut signifier une augmentation de la TICPE, mais vu la notoriété que les Gilets jaunes ont donné à cette taxe, je crois qu’il est plus probable que Matignon inventera une nouvelle taxe encore plus alambiquée qui taxera la taxe qui taxe la taxe. Ça donne envie…