▪ Nous avons assisté à une envolée de 3,8% hebdomadaire de la bourse de Paris qui salue une nouvelle rafale de statistiques exécrables (chômage, déficit commercial, panne des investissements, surmortalité des PME/PMI depuis le 1er janvier). Que faut-il espérer maintenant pour la semaine qui vient de débuter ?
Pour le clan des permabulls et des hyperbulls, c’est très clair. Le scénario dont ils rêvent, c’est une poursuite de la hausse ou une stagnation des indices jusqu’à mardi soir (expiration des options sur le VIX, lequel est retombé sous le plancher historique des 13) puis une nouvelle accélération jeudi à la veille de la séance des « Quatre sorcières ».
La journée de vendredi marquera l’expiration mensuelle et trimestrielle des options, contrats, warrants et autres produits dérivés sur actions, CFD et autres indices. Elle permettrait aux gérants de verrouiller une performance de +7,5% sur le Nasdaq, +9% sur le S&P 500, +10% sur le Dow Jones, +11% sur le Russell 2000 et… roulement de tambour et coup de cymbales avec les +17% du Dow Transport.
De tels scores une semaine seulement après que la croissance américaine a été révisée à +0,1% fin 2012 et alors que les estimations pour 2013 s’étagent entre zéro pour un groupe d’économistes indépendants et 1,6% à 1,8% pour la Fed tient du prodige… Mais toute la stratégie de la Fed et de ses alliés de Wall Street consiste justement à faire croire que le casino boursier version 2013 garantit des gains à tous les coups, quel que soit le nombre de joueurs ou l’ampleur de leur mise.
Comme le rappelle une célèbre publicité : « 100% des gagnants ont tenté leur chance ». En l’occurrence « 100% de ceux qui vont tenter leur chance vont gagner ».
▪ Roulette et grosses ficelles
Il faudrait être totalement idiot pour croire à la seconde proposition tant elle sent l’arnaque à 50 kilomètres à la ronde… mais la Fed table sur un second axiome : « plus c’est gros, mieux ça passe ».
Le pari semble en passe d’être gagné : toute le monde admet maintenant que c’est bien la Fed qui tire les ficelles (c’est encore plus flagrant pour la banque du Japon)… et tant que cela dure, ce serait bien bête de ne pas en profiter.
La Fed a inventé la roulette avec 36 cases portant le chiffre 1 et une 37ème portant la mention « repli technique des indices »… et croyez-le ou non, il existe encore des joueurs qui misent régulièrement sur cette dernière alors qu’elle ne sort même pas deux fois par trimestre.
La preuve en image avec un rapide coup d’oeil sur le scénario des 10 dernières séances : Wall Street aligne une série de six hausses consécutives et une huitième sur une série de neuf.
Il faut noter que les principaux indices américains ont inscrit une moyenne exceptionnelle de deux séances de hausse sur trois depuis le 1er janvier. Cela nous donne 32 séances de hausse pour 15 de consolidation anodine, dont une seule de baisse d’une amplitude supérieure à 1%.
Ce type de séquence boursière exclut totalement que la psychologie du marché ait joué un rôle moteur, vu le nombre de déconvenues statistiques et politiques survenues depuis deux mois en Europe comme aux Etats-Unis.
Le marché est totalement sous contrôle. Il fait de longues pauses pour écraser la volatilité (les vendeurs de produits dérivés encaissent alors la valeur temps) puis accélère soudainement, souvent sans aucun rapport avec l’actualité du jour, pour créer un effet de surprise maximum et déclencher des séries d’achats « réflexe » (par le mécanisme de la réplication indicielle passive).
▪ Les sons de cloche diffèrent à Wall Street
Certains commentateurs interviewés sur CNBC vendredi soir dénonçaient en clôture un « activisme » qui subvertit totalement les mécanismes de fixation des prix de la Fed (intervention quasi-directe via la gestion de la liquidité injectée sur le marché). Cela contraint les gérants à opter pour un « risque forcené » sans se préoccuper des nuages qui assombrissent les perspectives conjoncturelles.
En face d’eux, d’autres intervenants se félicitent de voir les marchés au plus haut parce que les entreprises se portent bien (toutes les grandes banques ont passé les stress tests avec succès, sauf une dont personne ne connaissait le nom), gagnent de l’argent et détiennent des montagnes de cash.
Les permabulls et hyperbulls soutiennent que « Ben Bernanke a raison de pousser Wall Street à la hausse car cela va finir par être justifié par une croissance qui pourrait bien dépasser les 3% ou les 3,5% avant la fin de l’année ». Mais d’où va jaillir une telle croissance avec une Chine qui ralentit et une Europe en récession ?
L’immobilier se redresse (normal, la Fed fournit aux banques 75% des liquidités absorbées par l’octroi de nouveaux crédits hypothécaires) et la croissance serait déjà plus soutenue que la plupart des économistes le pensent (à quels indicateurs se réfèrent-ils ? Mystère).
En d’autres termes, les Etats-Unis vont très bien et la dette n’est pas un problème puisque la croissance va en soulager le fardeau. Qu’il faille injecter 6 $ pour créer 1 $ de PIB supplémentaire (un ratio de 2 pour 1 serait déjà considéré comme un échec pour n’importe quel autre pays affichant un ratio déficit/PIB de 100%) n’est pas un problème non plus : cela « fait partie du plan » et la Fed gère la situation.
En d’autres termes, il y a ceux qui pensent que la Fed joue aux apprentis sorciers en abolissant le « libre arbitre des marchés »… et d’autres qui pensent que tout ce qu’elle fait est parfaitement justifié, maîtrisé, qu’il faut lui faire confiance — et engranger les plus-values sans se poser de question car tout va très bien se passer.
La tradition du vendredi a été respectée une fois de plus. La totalité des indices américains a clôturé au plus haut du jour, de la semaine, de l’année — et pour trois d’entre eux, de l’histoire : le Dow Jones a débordé les 14 400 à l’ouverture, le Russell 2000 a engrangé 0,85% à 942,5 points, et enfin le Dow Transport a grimpé de 1% à 6 145 points.
▪ Où sont les conteneurs chinois ?
Pour les haussiers, le chiffre de l’emploi US publié à 14h30 était « idéal » puisqu’il combine des créations d’emplois abondantes (+236 000) et taux de chômage élevé (7,7% contre 7,9%), ce qui est encore très éloigné de l’objectif de la Fed (6,5%).
Il ne vient à l’idée de personne de remettre en cause le petit miracle du mois de février (28 jours seulement mais le meilleur score depuis le printemps 2012). Idem pour le chiffre des exportations chinoises de janvier (+21%)… Mais si cette statistique est exacte, où ont donc abouti les dizaines de milliers de conteneurs supplémentaires expédiés à l’étranger ?
Personne n’en retrouve la trace, ni en Europe, ni aux Etats Unis, ni au Japon.
Peut-être les porte-conteneurs partis de la Chine en janvier musardent-ils au milieu du Pacifique après avoir fait escale en Tasmanie puis fait un détour par l’Ile de Pâques avant de remonter vers la Californie ou de franchir le canal de Panama ?
Peut-être ont-ils été capturés par des garde-côtes nord-coréens qui ne manqueront pas de réclamer une rançon à ces nigauds d’Américains, lesquels ne vont pas tarder à s’apercevoir qu’il y a une pénurie de trousses à outils et lecteurs DVD chez Wal-Mart…
A moins qu’il s’agisse de statistiques préliminaires destinées à la presse chinoise et sorties par erreur avant d’être « rectifiées » de façon à apparaître un minimum crédibles aux yeux des statisticiens occidentaux.
Ou peut-être que les Chinois — voyant les marchés américains battre des records sur fond de croissance zéro — se sont dit qu’au vu de la béatitude actuelle des marchés, plus le mensonge était gros, plus il avait de chances de passer… et c’est passé avec la même facilité qu’une chute de 30% du yen face à l’euro, c’est tout dire !