** Il y a deux ans, les Etats-Unis ont fait capoter un accord avec un opérateur portuaire appartenant à l’Arabie. Il y a deux jours de ça, l’entreprise — qui est désormais la quatrième plus grande au monde dans son secteur, avec 42 terminaux portuaires dans 22 pays sur six continents, a été introduite en Bourse, une opération d’une envergure sans précédent au Moyen-Orient.
– L’histoire de l’incident de l’accord de Dubaï Ports World, peut être résumée (très brièvement) ainsi…
– Les actionnaires de la Peninsular and Oriental Steam Navigation Company (P&O) ont approuvé la vente de leur société à Dubaï Ports World (DP World) en février 2006. La vente d’une société britannique à une société arabe serait passée relativement inaperçue dans la presse américaine si ces accords n’avaient pas signifié que DP World aurait le contrôle des baux dont P&O s’occupait aux Etats-Unis. Ces contrats incluaient six ports américains majeurs (New York, New Jersey, Philadelphia, Baltimore, la Nouvelle-Orléans et Miami) en plus de 16 autres ports plus petits.
– Etant donné les précautions en vigueur pour la sécurité nationale des USA, il a fallu suivre un processus au cours duquel les spécificités de l’accord étaient présentées au Comité des investissements étrangers aux Etats-Unis (CFIUS). DP World s’était déjà adressé au comité en octobre 2005, afin d’anticiper tout obstacle potentiel — et une fois accepté par P&O, l’accord fut examiné et approuvé par le comité.
– Affaire conclue ? Pas tout à fait… ce n’était que le début.
– Eller & Company, une société de Floride possédant des joint ventures avec P&O, exprima des réserves sur le fait de devenir le "partenaire involontaire" de la société arabe. Eller & Co. tirèrent parti de l’état de crainte régnant suite aux attentats du 11 septembre 2001, et s’empressèrent de porter toute l’histoire au sénateur démocrate de New York, Charles Schumer, qui était également reporter à l’Associated Press. Tout cela ne tarda pas à faire la une des journaux ; les démocrates comme les républicains se sont entredéchirés sur le sujet, tant au sein de leur parti que les uns contre les autres.
– Certains affirmèrent que céder le contrôle des ports des Etats-Unis à une société arabe constituait une menace directe à la sécurité nationale. D’autres soulignèrent que DP World n’avait pas la moindre connexion terroriste connue et que la société avait œuvré dans le cadre légal exigé pour obtenir les baux.
– Le 8 mars 2006, un comité sénatorial vota à 62 contre 2 pour bloquer l’accord. Sous la pression montante, Dubaï Ports World finit par vendre les installations américaines de P&O à la branche de gestion d’actifs d’American International Group, Global Investment Group, pour une somme restée inconnue.
** Avance rapide au week-end dernier…
– S’exprimant au Dubaï International Financial Centre dimanche dernier, Sultan Ahmed ben Sulayem, président de Dubaï World, a annoncé que 20% de DP World seraient introduits exclusivement sur le Dubaï International Financial Exchange. Cette introduction — la plus conséquente de la brève histoire de la place — met un prix indicatif de 1 $ à 1,30 $ pour chacune des 2 882 milliards d’actions. 498 millions d’actions supplémentaires seront mises de côté pour répondre à toute demande additionnelle. Si elle réussit, cette introduction représentera au total environ 4,32 milliards de dollars.
– L’avenir de DP World semble plutôt dégagé. La société a engrangé plus de 18% de croissance en 2006. Des plans de développement devraient doubler la capacité durant la prochaine décennie, alors que la demande massive provenant des marchés émergents comme la Chine et l’Inde génère de plus en plus d’accords avec la société arabe.
– Après la conférence, j’ai parlé au vice-président senior de la branche Corporate Strategy de la société, Yuvraj Narayan. Je lui ai demandé où il voyait les régions clé pour l’avenir.
– "Il faut regarder les vraies régions de croissance, comme la Chine, l’Inde et ici au Moyen-Orient", m’a-t-il répondu. "Mais quelles seront les régions de croissance de demain ? L’Amérique Latine et l’Afrique".
– La décision de DP World d’être cotée uniquement aux Emirats Arabes Unis est conforme à la ligne de conduite qui a si bien servi la ville natale de la société, Dubaï : si vous construisez, ils viendront.
– Peut-être que DP World n’aurait pas envisagé d’être cotée au NYSE même si l’accord de P&O s’était bien passé… ou peut-être que si. Une chose est certaine : la réponse glaciale qu’ils ont reçue à leur dernière tentative sur les marchés US n’a certainement pas été interprétée comme un accueil amical.
– Les Américains étaient pétrifiés à l’idée de compromettre leur sécurité nationale si une société arabe était autorisée à contrôler leurs ports. A présent, si les investisseurs américains veulent profiter de tout le potentiel de croissance de DP World, ce sera la bourse de Dubaï qui contrôlera leur argent.
– Il y a quelques siècles, un homme du nom de Thomas Jefferson a prononcé une phrase impérissable, qui semble aussi pertinente aujourd’hui qu’elle l’était à l’époque.
– "Le commerce avec toutes les nations, l’alliance avec aucune — telle devrait être notre devise".