La Chronique Agora

Plus l'emballage paraît somptueux, plus le cadeau risque d'être empoisonné

** Il était minuit pile à Chicago (6h du matin en Europe) lorsque Barack Obama a pris la parole devant des centaines de milliers d’Américains, plus émus qu’euphoriques — et des centaines de millions de spectateurs à travers le monde — venus l’acclamer. Il a prononcé un discours de 14 minutes sans le moindre accroc, sans phrases inutiles et sans lire la moindre note, n’oubliant aucun de ses soutiens — familiaux ou démocrates, ni ses directeurs de campagne — et n’affichant dans son attitude aucun triomphalisme, bien conscient de la difficulté de la tâche qui l’attend.

Les marchés n’ont pas manqué de relever l’allusion du futur président à un avenir économique difficile et problématique, où les bonnes solutions ne couleront pas de source. Il faut en effet s’attendre à quelques errements et déceptions avant que l’Amérique soit de nouveau sur pied. Cependant, les plus faibles seront épaulés, contrairement à ce qui se pratiquait depuis janvier 2001, fusse au prix de hausses d’impôts qui toucheront les 5% d’Américains les plus riches, tandis que les 95% restants bénéficieront d’allègements fiscaux.

Preuve supplémentaire du manque de flair sociologique de son ex-adversaire républicain, une majorité des "5% les plus riches" a voté démocrate, malgré le martèlement de la menace "socialiste". L’agitation de l’épouvantail fiscal n’effraie manifestement plus personne tant il apparaît évident que la fracture sociale avait atteint les limites de l’intolérable outre-Atlantique et menaçait de faire exploser le pays.

John McCain a rapidement reconnu sa défaite — qu’il reconnaît comme sienne. Il a félicité le nouveau président, remercié ses partisans et sa colistière, dont le nom — fait rarissime — a été sifflé. Sarah Palin n’a quant à elle pas prononcé une seule parole devant les caméras durant toute la soirée.

** Bien peu de républicains savent — ou n’ont osé se souvenir — que l’Alaska est l’état le plus "socialiste" de l’Union. C’est en effet le seul à avoir mis en place un système d’épargne adossé aux revenus pétroliers et qui distribue à chaque résident un dividende sur les sommes investies ; ce dividende est assimilable à un revenu minimum d’existence puisqu’il est distribué uniformément à chaque électeur, sans condition de ressource.

C’est le genre de filet social qu’a mis en place le président brésilien Lula da Silva. Le nombre de bénéficiaires s’étend à mesure que les recettes fiscales progressent et c’est en grande partie cette initiative qui l’a fait élire en pleine crise en octobre 2002. L’effondrement de l’Argentine neuf mois auparavant faisait alors tache d’huile sur le continent sud-américain et le soutien aux classes les plus défavorisées avait constitué la clé des élections.

Décidément, c’est bien le volet économique qui a torpillé la campagne de John McCain et de Sarah Palin. C’est également ce volet qui inquiète maintenant Wall Street car Barrack Obama hérite concrètement de la pire crise qu’aient jamais connu les Etats-Unis : le risque de déception est immense alors que tous les voyants conjoncturels sont au rouge.

** L’euphorie de Wall Street aura donc été de courte durée, l’alourdissement de la tendance sur le NYSE en fin d’après-midi mercredi a court-circuité la tentative de rebond des marchés européens entre 15h45 et 16h50. Ceux-ci avaient en outre pris un bien mauvais départ et chutaient de 3 à 3,5% en à peine 90 minutes.

Paris a chuté de 2%, tout comme l’Eurotop 100 et les principaux indices américains, sous la pression d’une vague des prises de bénéfices qui s’amplifiait à mi-séance à Wall Street. Le Dow Jones et le Nasdaq ont cédé 3,3% et effaçaient ainsi la totalité des gains de la veille.

Barack Obama disposera — et c’était inattendu — d’une large majorité au sein des deux chambres du Congrès US. Cependant, l’immensité du chantier qui l’attend et les finances exsangues de l’Etat américain — 1 000 milliards de dollars de déficit budgétaire probable en 2009 — au sortir de huit ans d’administration républicaine laissent craindre que le début de mandat du nouveau président soit très "compliqué", même s’il sait s’entourer des meilleurs conseillers économiques.

Les noms de Robert Rubin, de Tim Geithner (un républicain) ou de Lauwrence Summers circulent pour remplacer Henry Paulson, après que celui de Warren Buffet ait circulé début octobre.

** Les fondamentaux économiques ont douché les derniers espoirs de poursuite du rallye haussier amorcé le 27 octobre dernier, avec la publication aux Etats-Unis de chiffres concernant l’emploi dans le secteur privé. En octobre, selon l’étude mensuelle du cabinet ADP, 157 000 emplois auraient été détruits — dont une majorité dans le secteur financier et, dans une moindre mesure, de la distribution –, ce qui est de mauvais augure avant les chiffres officiels du département du Travail américain vendredi.

Par ailleurs, l’activité dans le secteur des services s’est nettement contractée aux Etats-Unis au mois d’octobre comme le démontre l’indice de l’Institute for Supply Management publié hier à 16h. L’ISM ressort à 44,4 ce mois-ci, contre 50,2 en septembre alors que le consensus l’attendait en baisse moins marquée, autour de 48.

** Du côté des devises, l’euro repartait à la hausse pour se traiter à 1,3025 $ alors que le pétrole, plombé par les chiffres du jour, consolidait de -7,5% vers 65,3 $ — après avoir bondi de 10% en séance la veille.

La perspective d’une baisse des taux de la BCE et de la Banque d’Angleterre aujourd’hui n’a plus pesé sur l’euro qu’elle n’a stimulé les marchés actions.

La baisse attendue de 50 points est déjà dans les cours ; les Bunds 2018 affichent leur plus faible rendement depuis 1997. Le débat porte aujourd’hui sur la probabilité d’une initiative supplémentaire avant la fin de l’année si la récession dépasse les -0,5% en novembre — ce qui paraît fort probable.

Beaucoup d’investisseurs reportent leurs espoirs d’une embellie boursière sur la réunion du G20 à Washington le 15 novembre prochain. Cet événement est même déjà présenté comme le nouveau Bretton Woods. La feuille de route a été dévoilée dès lundi par Nicolas Sarkozy, mais les médias ont largement passé cette présentation sous silence, tant l’ensemble des rédactions était mobilisées par l’élection de Barack Obama. En effet, nul journaliste, en dehors des républicains ultraconservateurs de FOX-TV, ne doutait de son élection depuis la mi-octobre.

Les bookmakers britanniques considéraient que les élections américaines étaient pliées dès que Sarah Palin eut démontré l’étendue de son incompétence lors des premières interviews de la fin septembre. Il apparaissait qu’elle ne lisait aucun journal, elle taxait Barack Obama d’ami des terroristes — même l’équipe de campagne de McCain n’avait pas osé lancer d’accusations aussi grotesques — et elle ne connaissait les noms d’aucun des grands dirigeants de la planète, en dehors peut-être de la Russie, un "état frontalier" de l’Alaska.

Le président Dimitri Medvedev a justement présenté hier son plan de déploiement de missiles aux frontières des ex-satellites de l’Union soviétique en guise de message de félicitation à l’attention du futur hôte de la Maison Blanche. Ambiance !

Philippe Béchade,
Paris

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