▪ Manifestement, certaines de mes interventions sur BFM agacent les permabulls et hyperbulls. Certains me plaignent d’être trop bêta (doux euphémisme) pour ne pas m’en mettre plein les poches… alors que je figure parmi les premiers à avoir compris et démontré que le marché était truqué. Eux ne l’auraient donc découvert qu’avec le QE3 et l’article de Barron’s de novembre dernier concernant le « marché à choix unique » instauré par la Fed ?
Surtout, ils me reprochent de me poser trop de questions, ce qui nuit à l’action. Pourquoi perdre son temps à réfléchir alors qu’il est évident qu’il n’y a plus qu’un sens sur les marchés depuis fin juillet 2012, et que la possibilité même d’une consolidation a été éradiquée du « champs des possibles » par les banques centrales ?
Et puis tous les gérants répètent en boucle qu’il n’existe aucun placement qui rapporte autant que les actions. J’ai l’impression de revivre 2000 et 2007 — quand la performance des OAT et des T-Bonds était jugée « ridicule ». Heureusement qu’en 2006/2007 il y avait les subprime pour dégager un peu de rendement sur l’obligataire…
Non seulement les actions sont le support d’épargne le plus rentable mais les entreprises n’ont jamais gagné autant d’argent !
▪ Ah vraiment ? Est-ce bien si sûr ?
En ce qui concerne les valeurs du CAC 40, les profits ont chuté de 28% en 2012 — ce n’est pas moi qui le dit, ce sont les statistiques de l’AMF. Du côté des Etats-Unis, une fois qu’on a écarté les profits fictifs et purement comptables des banques (reprises de provisions), la progression réelle des profits n’est que de 6%. Retirez Apple, Google et IBM et on arrive à zéro !
Autrement dit, certains de mes auditeurs se demandent pourquoi je m’abstiens de recommander aux lecteurs de La Chronique Agora de payer 15% de plus qu’en novembre dernier des entreprises qui gagnent 25% de moins qu’en mars 2012.
Je suis vraiment désolé mais j’ai toujours autant de mal avec les deux aphorismes suivants : « ça rapporte moins mais c’est plus cher » et « le peu que ça rapporte, c’est toujours mieux que le monétaire ».
Puisque je suis incorrigible, j’ai également beaucoup de mal avec le « sentiment de richesse » que répandrait, paraît-il, la hausse des actions !
Je préfèrerais de loin que les entreprises — dont on prétend qu’elles gagnent tellement d’argent — augmentent un peu (je ne rêve même pas à un « beaucoup ») les salaires.
Pour le coup, il ne s’agirait plus seulement d’un « sentiment » d’enrichissement (des gains virtuels sur l’épargne retraite ou un vague compte-titres) mais bel et bien d’une réalité en espèce sonnantes et trébuchantes pour les salariés et l’économie réelle.
▪ Les marchés s’en fichent
Sauf que cette fameuse économie réelle, c’est bien la dernière chose dont le marché se préoccupe… Et cette journée de lundi a pris des allures de véritable bras d’honneur aux tristes aléas de la conjoncture.
Une avalanche de mauvaises statistiques (pas un seul chiffre positif n’a été publié ce lundi… pas un seul) a été saluée à Wall Street par une avalanche de nouveaux records absolus. On compte 14 447 points sur le Dow Jones, 942,5 points sur le Russell 2000 (record inscrit à la dernière seconde, et ce n’est pas une image !), 6 151 points sur le Dow Transport.
Il a bien failli ne pas en être ainsi puisque les gains avaient fondu à 20 minutes de la clôture (toujours le même manque de volumes à l’achat)… mais pas question de passer à côté d’une septième séance de hausse consécutive.
Tous les indices américains ont été arrachés à la hausse au cours du dernier quart d’heure. Le changement d’échéance sur le VIX se présente dans les meilleures conditions puisque le plancher des 12 a été enfoncé au marteau pilon : -8% à 11,6.
▪ Et la conjoncture dans tout ça ?
Ah oui, cela fait partie de l’actualité du jour. Mais quel est le rapport avec Wall Street ? L’annonce d’une tempête d’automne frappant les côtes de Tasmanie aurait eu autant d’impact sur les indices américains que les mauvaises statistiques publiées hier.
La production manufacturière française a rechuté de 1,4% en volume en janvier après une hausse de 1,3% en décembre (vendredi c’était l’Allemagne qui calait).
Le rythme mensuel de la production industrielle chinoise est également ressorti en baisse (+9% au lieu de +10,6% escomptés), selon les chiffres publiés par Pékin ce week-end. Etrange… les exportations chinoises ont pourtant fait un bond de 21% ce mois-là…
Au Japon, les commandes de machines ont plongé de 13% en janvier, malgré le recul du yen (contre -2% anticipé, janvier est traditionnellement un mois creux).
En Inde, les ventes de voitures ont chuté de 26% au mois de février. Au Brésil, l’inflation continue de grimper — les taux se tendent à plus de 9,5%.
Ailleurs en Europe, les chiffres sont alarmants avec une aggravation de la contraction du PIB italien fin 2012 (-0,9%), soit -2,8% en rythme annuel à l’issue d’un sixième trimestre consécutif de repli.
C’est encore plus sévère au Portugal, où le PIB plonge de 1,8% au quatrième trimestre 2012 et de 3,2% sur l’ensemble de l’année 2012. Il s’agit du pire score depuis le premier choc pétrolier en 1975, alors que le pays sortait juste de 46 ans de dictature.
Vous voyez bien qu’il n’y a strictement aucune corrélation entre la conjoncture présente ou future et l’évolution des marchés : plus aucun permabull ou hyperbull ne songe à le nier.
Un des arguments les plus souvent entendus à la clôture lundi soir était : « on ne voit pas ce qui pourrait mal se passer avec des entreprises qui gagnent autant d’argent et une Fed qui maintiendra les taux à zéro au minimum jusqu’à fin 2014 ».
Autrement dit : il est impossible d’investir ailleurs qu’en bourse et il est impossible de perdre de l’argent d’ici 12 à 18 mois. Il n’est pas impossible en revanche que nous ayons déjà entendu ce genre de discours à la veille d’un… chuuut, ça ne se dit pas, mais on vous donne une piste, ça se produit souvent à la mi-mars (bien plus souvent qu’en octobre) !