La Chronique Agora

Planification centrale : les raisons d’un échec

▪ Nous continuons notre réflexion sur le fait que tant de gens intelligents en sont venus à croire des choses fausses. Stiglitz, Friedman, Bernanke — tous semblent avoir une vision simplette du fonctionnement du monde. Ils croient pouvoir manipuler l’avenir… et le rendre meilleur. Pas seulement pour eux, mais pour tout le monde. D’où provient une idée aussi saugrenue ?

La logique aristotélicienne s’est mise à dominer la pensée occidentale après la Renaissance. A la base, elle précédait le « positivisme », censé être basé sur des conditions objectives et un raisonnement scientifique. « Donnez-moi les faits », dit le positiviste avec confiance. « Laissez-moi y appliquer mon cerveau rationnel. Je trouverai bien une solution ! »

C’est parfait si on construit la Tour Eiffel ou si on organise un dîner. Mais le positivisme s’effondre quand on l’applique à des choses qui dépassent « la voix du messager ». C’est ce qu’Aristote lui-même disait. Il pensait, à tort, que seule une petite communauté pouvait fonctionner. Parce que c’est seulement dans une petite communauté que tous les gens partagent plus ou moins les mêmes informations et les mêmes intérêts. Dans une grande communauté, on ne peut pas connaître les choses de manière aussi directe et personnelle. Il est donc plus difficile pour les gens de travailler ensemble.

▪ Les limites de la planification centrale
Dans une grande communauté, on n’a pas la moindre idée de qui a fabriqué les lasagnes que nous réchauffons pour le dîner… ou de ce qu’ils y ont mis. On doit se fier à des « faits » qui ne sont plus vérifiables par l’observation directe ou la connaissance personnelle. Au lieu de ça, les faits des planificateurs centraux ne sont généralement rien de plus que des sottises statistiques, des idioties idéologiques ou des bêtises théoriques — comme les armes de destruction massive, le taux de chômage et l’Ubermensch.

La planification à grande échelle échoue parce que les faits sur lesquels elle est construite sont peu fiables — voire factices. Elle échoue également parce que les gens n’en veulent pas vraiment. Dans une petite communauté, les planificateurs et les gens pour lesquels ils planifient sont assez proches pour partager les mêmes buts.

Dans une grande communauté, les planificateurs sont une petite minorité. Généralement, ils ont leurs propres buts — qui restent souvent cachés. Ils peuvent demander une application plus stricte de la loi… tout en acceptant des contributions de l’industrie de la sécurité. Ils peuvent chercher un remède contre le SIDA… et dépendre des emplois du secteur pharmaceutique. Ils peuvent vouloir une Europe unie… et espèrent en être à la tête.

Mais même si la planification à grande échelle fournit des occasions presque innombrables de corruption, ce ne sont pas les pratiques douteuses qui la condamnent. C’est plutôt le fait que les planificateurs ne savent pas (ou se fichent) de ce que les gens veulent vraiment… et n’ont pas les moyens ou les informations nécessaires pour y parvenir, de toute façon.

Cependant, le problème est bien plus profond que la qualité de l’information ou la corruption potentiellement liée à la planification.

▪ Certaines choses ne peuvent être planifiées…
Lorsque nous réfléchissons à ce que les gens « veulent », nous ne parlons pas vraiment de leurs désirs conscients et déclarés. Nous parlons plus largement de ce qu’ils pourraient obtenir… si on le leur permettait… en fonction des faits sur le terrain. Les damnés veulent peut-être de la glace à la vanille, au milieu des flammes de l’enfer ; ils n’en auront pas. Mais l’être humain, en général, fera de son mieux avec ce qu’il a. Les planificateurs centraux à grande échelle ne peuvent pas l’aider. En partie parce qu’ils ne savent pas quelles sont les conditions qui règnent dans « l’enfer » personnel où se trouve chaque être humain. Et en partie parce qu’ils n’ont pas de glace à la vanille.

On pourrait décrire ce processus — consistant à tenter d’obtenir autant que possible — comme le progrès forgé par l’évolution. Un processus où les essais et les erreurs engendrent « le mieux que nous puissions faire ». Pas parfait. Pas la fin de l’histoire. Juste une nouvelle étape vers un avenir impossible à anticiper.

Les planificateurs centraux à grande échelle échouent parce qu’ils croient en trois choses qui ne sont pas vraies. Premièrement, ils croient connaître les conditions actuelles (manques, désirs, espoirs, capacités, ressources) — c’est-à-dire l’état actuel exact, dans son intégralité, de la communauté pour laquelle ils planifient. Deuxièmement, ils pensent savoir où la communauté doit aller — en d’autres termes, ils croient savoir ce que l’avenir devrait être. Troisièmement, ils sont convaincus d’être capables de créer l’avenir qu’ils souhaitent.

Toutes ces choses ne sont que des illusions. A elles toutes, elles constituent ce que F.A. Hayek appelait « l’illusion fatale selon laquelle l’homme est capable de façonner le monde qui l’entoure selon ses propres désirs ».

En ce qui concerne la première idée, les planificateurs centraux ne peuvent pas vraiment connaître les conditions actuelles parce que cela recouvre une quantité infinie d’informations. Cela exigerait « la connaissance minutieuse d’un milliers de détails qui ne seront connus de personne sinon de la personne qui a un intérêt à les connaître », écrivait Samuel Bailey en 1840. Les planificateurs n’ont rien de tel. A la place, ils ont un ensemble de connaissances publiques qui — comme nous l’avons vu — n’est rien de plus que des théories populaires, des racontars et des suppositions statistiques.

Quant au deuxième point — selon lequel ils bénéficieraient d’une sorte de don qui leur dit ce que l’avenir devrait être pour de parfaits étrangers — nous n’allons rien en dire de plus. Personne ne croit vraiment que les personnes du Congrès US, de l’Assemblée nationale française ou de toute autre bureaucratie ou think tanks ont quoi que soit de plus que les autres pour les guider dans leurs décisions — c’est-à-dire ses propres goûts et dégoûts, préjugés, craintes et ambitions personnelles.

Nous verrons dès demain que penser du troisième point…

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