Le G7 et l’OCDE façonnent l’impôt mondial afin qu’aucun revenu ne puisse échapper à la taxation et maintenir la crédibilité des dettes souveraines des pays riches et surendettés.
Extrait de Road to Ruin, à paraitre en septembre en français.
Considérant tous les mécanismes d’évasion fiscale à disposition des entreprises – le transfert de biens, l’établissement de prix de transfert, la compensation, les conventions fiscales, le crédit-bail, la conversion, les reports et les dérivés – il n’est pas étonnant que la collecte des taxes soit une passoire, pour chaque pays. La trésorerie des entreprises passe dans ce tamis avant d’arriver à la ligne du résultat. Les pays se retrouvent les mains vides.
Les élites de la politique aux Etats-Unis, en Allemagne, au Royaume-Uni et au Japon connaissent bien ces techniques. Elles ont fréquenté les mêmes écoles de droit et ont suivi les mêmes séminaires financiers que les conseillers des entreprises. Le va-et-vient professionnel qui s’opère entre les élites du gouvernement et des entreprises fait que les experts changent constamment de bord, passant tour à tour de la perception des taxes à l’évasion fiscale, et inversement.
Cela fait partie des petits jeux de l’élite.
Si c’est un jeu, il n’amuse plus vraiment le G20. Le poids des dettes souveraines et l’incapacité à générer de la croissance ont conduit le G20 à s’investir d’une mission : mettre fin à l’évasion fiscale.
Le plan de l’élite consiste donc à mettre au point une fiscalité mondiale via des actions coordonnées et le partage des informations. Une fois que les autorités fiscales d’un pays ont une visibilité sur toutes les facettes d’une transaction (au lieu de se contenter de la facette locale), cette transaction est bien plus facile à attaquer.
Cette mission de recouvrement de l’impôt a été déléguée au G7 (Etats-Unis, Japon, Royaume-Uni, France, Allemagne, Canada et Italie) par le G20. Le G7 héberge les entreprises les plus riches et aux taux d’imposition les plus élevés. C’est le G7 qui a le plus à perdre, en matière d’évasion fiscale, et qui est donc le plus motivé, s’agissant d’y mettre un terme.
Le G7 s’appuie sur l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) qui assure le secrétariat technique. Les élites du G20/G7 externalisent souvent leurs missions vers le FMI, mais ont parfois recours à d’autres organisations multilatérales pour assurer des tâches spécifiques. Les Nations Unies sont le lieu privilégié pour toutes les questions liées au changement climatique. On s’appuie sur l’OCDE pour le plan de fiscalité mondiale car elle représente les économies les plus avancées et les plus motivées en matière de recouvrement fiscal.
Ce plan de fiscalité mondiale n’est pas nommé ainsi. Il serait trop cousu de fil blanc. On attribue des intitulés techniques à ces plans afin d’en occulter les intentions. On nomme la monnaie mondiale « droits de tirage spéciaux » car cela a un côté anodin bien pratique. Le plan de fiscalité mondiale est intitulé BEPS, l’acronyme de Base Erosion and Profit Shifting [Ndr : Plan d’action concernant l’érosion de la base et le transfert de bénéfices]. Lorsque l’on fait référence au « BEPS de l’OCDE », dites-vous simplement qu’il s’agit du « plan de fiscalité mondiale de l’élite » et vous serez sur la bonne voie.
Les élites ne font aucun effort pour cacher leurs intentions. Elles communiquent autour, mais dans un jargon inintelligible, sur des sites obscurs peu consultés et encore moins compris. Voici ce que les leaders du G7, notamment Barack Obama et Angela Merkel, ont déclaré à propos de ce plan de fiscalité mondiale, le 27 mai 2016 :
« Il est crucial que la mise en oeuvre du Plan d’action du G20/de l’OCDE, concernant l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (BEPS), se déroule de façon régulière, cohérente et concertée… pour arriver à un terrain d’égalité mondial pour tous ceux qui sont engagés dans des activités économiques. Nous maintenons notre engagement visant à prendre la tête de ce processus, pour donner l’exemple. Afin d’assurer une mise en oeuvre étendue des mesures du BEPS, nous encourageons tous les pays et juridictions concernés et intéressés à s’engager à mettre en oeuvre les mesures du BEPS et à rejoindre ce nouveau cadre global…
Nous réaffirmons l’appel lancé par le G20 à tous les pays concernés, y compris toutes les places financières et juridictions en vue de mettre en oeuvre […] des mesures défensives pouvant être envisagées à l’encontre de juridictions qui ne coopèreraient pas…
Nous attendons les premières propositions […] concernant des façons d’améliorer la mise en oeuvre de normes internationales, notamment la disponibilité d’informations liées à la propriété effective et aux échanges internationaux« .
Malgré ce jargon assez dense, la signification est claire. Le G20 insiste pour que les transactions soient entièrement divulguées sur le plan mondial. Il utilisera ces informations afin d’appliquer le recouvrement des impôts selon ses propres conditions.
Les juridictions qui refuseraient de coopérer encourent des « mesures défensives ». C’est une façon polie d’exprimer qu’elles seront exclues des canaux bancaires internationaux, et que leurs économies seront détruites à moins qu’elles ne jouent le jeu. Cette invitation à coopérer ou bien se faire écraser, est une mécanique de type Cosa Nostra parée de nouveaux atours.
L’évasion fiscale à laquelle se livrent les entreprises est un luxe que les économies développées ne peuvent plus s’offrir. Les sociétés multinationales détiennent plus de 7 000 Mds$ de trésorerie, produit d’une évasion fiscale sophistiquée dont l’essentiel est amassé dans des paradis fiscaux. Cette trésorerie est une cible trop tentante pour que les élites gouvernementales la laissent filer, même si leurs copains de l’univers des entreprises en bénéficient. Un simple droit de péage de 25% sur ces 7 000 Mds$ rapporterait 1 750 Mds$ de nouveaux revenus au G7. Cet argent serait ensuite consacré à diminuer le poids de la dette souveraine.
La solution que le G7 a dans ses tuyaux, c’est la fiscalité mondiale. Cela commence avec une base de données centralisée contenant des informations fiscales partagées par les pays développés. L’évasion fiscale s’apparenterait alors à jouer au poker en montrant vos cartes. Vous pourriez jouer mais vous ne gagneriez jamais.
En fusionnant à l’échelle mondiale un partage d’information, les mises en application, et la taxation des montants bruts, les économies développées sont en mesure d’extraire un maximum de richesses des secteurs productifs vers les élites non productives. Cela continue jusqu’à ce que le système social s’effondre, sort commun à toutes les civilisations lorsqu’elles ont atteint une phase ultime de parasitisme de haut niveau.
La taxation mondiale est là, à peine voilée. Bientôt, le voile se lèvera et l’extraction de la richesse commencera. Il n’y aura aucun endroit où se refugier et aucun moyen de stopper la machine.