La Chronique Agora

Peut-on avoir trop d’énergie ?

▪ L’énergie est une bonne chose. Mais elle est soumise à la loi du Déclin de l’utilité marginale, comme le reste du monde. Cela peut sembler évident… mais nous allons le démontrer malgré tout. D’autres questions s’ensuivent : peut-on atteindre le point où un ajout d’énergie devient en fait négatif… voire désastreux ? Peut-on avoir trop d’énergie ?

Après 1943, les Allemands ont mis plus d’énergie dans leur effort de guerre. Non seulement ce fut de l’énergie gâchée… mais elle eut presque exclusivement un effet négatif. Des 5,5 millions de morts durant la guerre en Allemagne, la plupart ont eu lieu après que la guerre a été perdue dans les faits. Chaque particule de force, de ressources et d’énergie allouées à la Wehrmacht après les batailles de Stalingrad, d’Afrique du Nord et la défection de l’allié italien n’a eu pour conséquence que de la destruction et des morts inutiles — et les Allemands se sont retrouvés plus pauvres et moins nombreux qu’auparavant.

Mais qu’en est-il de l’énergie elle-même ? En général, c’est le manque d’énergie, non son surplus, que l’on rend responsable des désastres. Certains historiens militaires, par exemple, affirment que c’est le manque d’énergie qui a handicapé et faussé l’effort de guerre allemand. Au lieu d’engager toutes ses forces dans l’assaut de Moscou, Hitler a été contraint de détourner une grande partie de son armée vers le nord, où ses troupes s’empareraient des lignes de ravitaillement pétrolier en Ukraine pour les protéger. Concernant l’armée japonaise également, les historiens tendent à avancer l’explication du « trop peu » comme raison de la défaite. Durant la bataille de Midway, par exemple, les navires nippons se sont retrouvés littéralement à court de carburant. Après la bataille, les Japonais étaient condamnés. Leur énergie provenait d’Indonésie. Sans le contrôle du Pacifique, ils ne pouvaient pas protéger leurs lignes de ravitaillement.

Pour l’effondrement des civilisations antiques également, les archéologues et les historiens accusent généralement le « trop peu ». On pense par exemple que la civilisation de l’Ile de Pâques a péri parce que les autochtones se sont retrouvés à court d’arbres. Ils utilisaient le bois pour l’énergie. Une fois les arbres disparus, les habitants n’ont pas tardé à faire de même. Cette analyse a également été avancée pour la Grèce antique. Les Grecs ont utilisé le bois et importé des chèvres — qui ont mangé les jeunes arbres. Quelques centaines d’années plus tard, les îles grecques étaient stériles.

Faut-il appeler ça une catastrophe écologique ou une pénurie d’énergie ? Cette dernière peut-elle être séparée de la civilisation qui l’utilise ? Si une société manque d’eau, elle doit utiliser plus d’énergie pour étancher sa soif. Si les terres agricoles sont rares, elle doit travailler plus dur (utiliser plus d’énergie) pour augmenter le rendement par acre. Si elle est à court de pétrole, elle doit consacrer une plus grande part de son énergie — comme le Japon et l’Allemagne l’ont fait durant la Deuxième Guerre mondiale — à en obtenir.

▪ L’énergie, c’est bien… pouvoir l’exploiter, c’est mieux
L’abondance ou la pénurie d’énergie en elles-mêmes n’ont guère de sens. Les riches dépôts d’uranium sous les pieds des anciennes tribus Athabasca du Canada ne leur ont pas plus servi que les gigantesques lacs de pétroles sous les pieds des Bédouins. Ce n’est pas tant la disponibilité de l’énergie qui compte que ce qu’on peut en faire.

Dans le cas des Mayas, la grandeur et la décadence de la civilisation semblent avoir suivi le niveau de précipitations. Les chercheurs ont étudié une stalagmite dans une grotte de Belize, ce qui leur a permis de suivre les chutes de pluie datant d’il y a 1 500 ans, sur une base annuelle. En comparant les relevés de précipitations aux traces laissées par la civilisation, ils ont découvert que la construction augmentait durant les périodes plus humides et déclinait quand le climat s’asséchait. Entre 1020 et 1110, une grave sécheresse a frappé le sud de Belize, décimant le peu de Mayas restant dans la région. Là aussi, à première vue, on dirait que c’est le « trop peu » d’eau qui a marqué le déclin. Mais on pourrait retourner l’argument : les années plus humides l’étaient peut-être trop, puisqu’elles encourageaient une croissance insoutenable durant les inévitables années sèches.

Jeffrey Sachs, directeur de l’Institut de la Terre à l’Université de Columbia, dirait qu’utiliser trop d’énergie provoque une croissance qui mène à une catastrophe environnementale… ce qui devient désastreux pour la civilisation. De nombreuses personnes pensent que le monde utilise déjà trop de carburants fossiles, ce qui charge l’atmosphère de gaz à effet de serre et fait fondre les calottes glaciaires.

▪ Ce qui s’applique aux individus s’applique aux civilisations
Dans un sens plus large, on pourrait dire que toutes les civilisations s’effondrent parce qu’elles « se retrouvent à court d’énergie ». Il ne s’agit pas nécessairement de pétrole, de bois ou de charbon. Les civilisations — comme les familles, les entreprises ou les associations — dépendent de l’énergie des membres qui les constituent. S’ils sont expansifs, innovants et agressifs dans leur utilisation des sources de carburants disponibles, leur organisation prospérera. Si non, elle s’effritera. Mais plus ils sont agressifs… plus vite la chute pourrait venir. « Plus » devient « trop »… selon les circonstances… et le déclin de l’utilité marginale cède le pas à la baisse.

Où est l’exception ? Pas dans les livres d’histoire. Toutes les organisations naissent… et meurent. Chacune prospère et se développe quand elle utilise son énergie efficacement. Ensuite, quand son énergie est gaspillée, dispersée et épuisée, elle décline. On n’a jamais enregistré de hausse sans baisse.

Les civilisations basées sur la conquête déclinent inévitablement quand elles rencontrent un adversaire à leur taille… ou manquent simplement d’énergie. Des civilisations qui consacrent leur énergie à construire de gigantesques monuments ont peu d’énergie restante pour se défendre contre les envahisseurs et autres défis. Mais peut-être, le plus souvent, les civilisations meurent comme les êtres humains — de l’intérieur. Elles développent des structures de pouvoir, c’est-à-dire des gouvernements, qui ont un quasi-monopole sur l’usage de la violence. Ensuite, des groupes d’élite prennent le contrôle du gouvernement et l’utilisent pour s’arroger plus de ressources et d’énergie. Les riches deviennent plus riches. C’est pour cette raison qu’un gouvernement est, fondamentalement, une institution réactionnaire ; il est presque toujours utilisé pour protéger les intérêts existants. Les intérêts à venir ne votent pas… les enfants ne vous poignardent pas dans le dos… et les industries de demain ne versent pas de contributions de campagne. Dans les faits, le gouvernement passe de l’avenir au passé… de ce qui sera à ce qui a été… et, finalement, à ce qui ne sera plus.

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile