La Chronique Agora

Vendredi noir pour l’or noir

baisse - prix - pétrole

La chute du pétrole est à double tranchant. Si elle soulage le pouvoir d’achat des consommateurs, elle met en péril un tombereau de dettes.

Retour au Congo Brazzaville. L’Airbus A330-200 d’Air France vers Pointe-Noire est presque vide : une quinzaine de personnes en business et une vingtaine en classe économique.

« Votre vol a failli être supprimé », nous explique l’hôtesse, « mais vous avez de la chance : dans le sens retour, c’est plein. Donc nous décollons ».

Décollage dans une purée de pois à Roissy-Charles De Gaulle, grand soleil en vol, passage de l’équateur, sept heures plus tard nous touchons, dans la nuit qui vient de tomber, la piste luisante de pluie de Pointe Noire.

La chaleur, l’humidité, les odeurs d’épices et de transpiration emplissent les poumons d’un air poisseux. La chaleur humide ronge le béton des constructions coloniales ou même des plus récentes, délabre les peintures les plus fraîches et les meilleures volontés. Dehors, quelques moustiques voltigent lourdement.

« Normal que le vol de retour soit plein, ils en ont déjà supprimé trois ces derniers jours », m’indique mon fils.

Le Congo est pétro-dépendant. La fièvre de 15 ans de hausse a attiré les prospecteurs. Les employés de Total (offshore) et de l’italien ENI (onshore) sont venus gonfler la communauté des expatriés, qui compte aussi « les Bolloré », ceux qui s’occupent de la concession trentenaire de ce très gros port.

Cours du baril de Brent depuis 20 ans

La crise financière de 2008 a mis fin à la fièvre de l’or noir.

La récente hausse de 2016 à maintenant ne l’a pas ranimée.

Puis le pétrole a chuté, la prospection a ralenti avant de s’arrêter. En 2014, Total et ENI ont réduit la voilure, les expatriés sont partis pour d’autres cieux plus prometteurs.

Nouveaux venus, les Chinois construisent un nouveau port minéralier pour leur propre compte mais le Congo, privé de sa manne pétrolière, sombre depuis quatre ans.

Si le béton ne coule plus à flots et si les restaurants se sont vidés, la vie quotidienne continue. Des enfants vendent toujours les langoustes et les poissons au coin des rues, les légumes s’échangent sur le marché du Plateau, les bougainvilliers dégoulinent des murs, le coucher du soleil sur la plage a toujours autant de spectateurs, les palmes des arbres voyageurs se déploient toujours selon la même orientation par rapport au soleil.

L’arbre voyageur qui peut atteindre 30 m de haut et qui est une boussole infaillible.

La chute du pétrole de la semaine dernière ne changera donc pas grand-chose à la vie quotidienne de Pointe Noire.

Des marchés à l’économie réelle, la courroie de transmission est très lente, sous-multipliée. L’inertie est importante. Le retour de la hausse depuis juillet 2017 n’avait pas changé la politique des pétroliers ni inversé la tendance morose installée depuis 2014.

En revanche, cette chute de l’or noir peut changer plus rapidement la vie quotidienne des Occidentaux et des habitants des pays émergents endettés en dollars.

Trump y est allé de son tweet, se félicitant de ce gain en pouvoir d’achat pour les Américains qui dissipait tout risque d’inflation, un bon motif pour arrêter les hausses de taux prévues par la Fed.

Baisse du pétrole signifie mécaniquement hausse du dollar. Ceci est bien pour ceux dont les revenus sont en dollars… mais néfaste pour ceux qui sont endettés en dollars sans avoir de revenus en dollars. C’est donc la dette des pays émergents qui pourrait prochainement inquiéter le marché.

En France, la baisse du pétrole pourrait se répercuter à la pompe et apaiser la grogne fiscale. Ce scénario rose dépendra cependant de la parité eurodollar, et donc de la pression que met la crise budgétaire italienne sur l’euro. La baisse du pétrole pourrait se voir neutralisée par un effet de change défavorable.

Même aux Etats-Unis, la baisse du pétrole est à double tranchant. L’industrie américaine du pétrole de schiste, lourdement endettée, a besoin d’un baril à 60 $ pour survivre. Il est à 50 $.

L’indice obligataire des obligations pourries a lourdement chuté.

Où qu’on se tourne – Etats-Unis, Europe, pays émergents – on ne voit qu’un monstrueux tas de dettes qui ont de plus en plus mauvaise mine, sur fond de ralentissement de l’activité économique et des échanges commerciaux.

La « déflation », grande faucheuse des marchés financiers, jette son ombre noire.

Mais les banques centrales savent très bien la combattre, n’est-ce pas ? Encore plus de dettes, plus de liquidités, plus de tout ce qui n’a pas marché…

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