La Chronique Agora

Pétrole et gaz de schiste : faut-il passer à l’achat sur les Etats-Unis ?

▪ C’est aux Etats-Unis qu’il faut être. C’est ce que tout le monde dit. Les Etats-Unis ont tous les avantages : une économie plus vigoureuse, une population plus jeune, de l’énergie meilleur marché… et une Banque centrale toujours prête à imprimer de l’argent quand il y en a besoin.

Attendez-vous à ce que l’industrie américaine prenne un coup de fouet, surtout dans des secteurs comme la chimie, grâce aux nouvelles découvertes énergétiques. Les ménages devraient eux aussi profiter de la baisse des prix de l’énergie. Quant au dollar, il devrait grimper à mesure que les étrangers font passer leur argent aux Etats-Unis à la recherche de sécurité et de rendements plus élevés.

Voici ce qu’en dit Business Insider :

« Nous entendons des voix s’élever pour dire que, grâce au forage de schiste, les Etats-Unis sont en bonne voie pour devenir les premiers producteurs de pétrole au monde, poussant certains à parler de ‘l’Amérique Saoudite’. »

« […] L’analyste de Goldman Sachs, Kamakshya Trivedi, a parlé des implications de ce phénomène au niveau global macro dans une note intitulée ‘La révolution du schiste change le paysage énergétique mondial’. La note va en fait plus loin, arguant que le paysage économique tout entier pourrait potentiellement changer ».

« Le principal impact, écrit-il, est que les prix du pétrole ne seront plus un frein à la croissance : […] l’évolution de la production assouplit progressivement la contrainte des prix du pétrole, qui a été une caractéristique persistante de l’économie mondiale. Si la croissance de la demande mondiale peut se remettre, les risques de la voir étouffée par la hausse des prix du pétrole s’éloignent ».

Cela se répercutera sur les revenus des ménages en Occident, tout en prenant de court les pays pétroliers.

« Parallèlement, les banques centrales pourront se concentrer sur la lutte contre l’inflation : la hausse des prix de l’énergie a affecté dans une certaine mesure les chiffres de l’inflation core, influençant les perspectives d’inflation même pour les banques centrales, comme la Réserve fédérale, qui se sont plus concentrées sur les mesures d’inflation sous-jacentes. Résultat : une inflation énergétique en baisse signifie que la politique monétaire pourrait être plus simple qu’elle ne l’aurait été autrement ».

Quoi ? La lutte contre l’inflation ? Quelle banque centrale s’inquiète de lutter contre l’inflation ? Elles ont les taux zéro et le QE… Elles semblent essayer de la causer, pas de la combattre. Ce ne sont pas des pompiers tentant d’éteindre les flammes de l’inflation. Non, ce sont des pyromanes. Comme l’écrit Tony Boechk : « l’ampleur des efforts de reflation est sans précédent ».

▪ Pourquoi il ne faut pas parier sur le vainqueur
En attendant, voici Philip Stephens écrivant dans le Financial Times :

« Il est temps d’acheter les Etats-Unis. La puissance militaire des Etats-Unis restera sans égale pendant des décennies. Le pays a un système politique stable. Le profil démographique du pays est notablement meilleur que celui de tout rival potentiel. […] Les Etats-Unis ont un gigantesque avantage en termes de prouesses technologiques et de ressources intellectuelles »…

Qu’en pensez-vous, cher lecteur ? Est-il temps de passer à l’achat sur les Etats-Unis ?

Peut-être pas. Le véritable effet d’une énergie meilleur marché aux Etats-Unis sera de permettre aux décideurs de se mettre encore plus dans le pétrin. Ils feront passer une partie encore plus grande de la richesse réelle américaine vers les zombies. Ils s’endetteront plus encore. Ils imprimeront plus.

Les Etats-Unis ont eu de la chance. Leurs ingénieurs ont trouvé le moyen d’extraire du pétrole et du gaz de la roche. Pas mal. Mais parfois, la chance est la pire malchance. Atlanta s’en serait mieux sortie, durant la Guerre de Sécession, si le Sud avait perdu la guerre avant l’approche de Sherman… et le monde entier s’en serait mieux sorti si Gavrilo Princip n’avait pas eu la chance d’avoir un pistolet en main lorsqu’il a accidentellement rencontré l’archiduc Ferdinand.

Si l’on met tout ça de côté, nous remarquons quand même une chose : M. Stephens semble n’avoir pas la moindre idée de la manière dont les marchés fonctionnent. Lorsqu’on lit sa description des atouts des Etats-Unis, on se dit qu’il est temps de vendre le pays, pas de l’acheter.

Il dit que les Etats-Unis sont en tête pour plusieurs raisons importantes. Et alors ? Ce que les Etats-Unis sont aujourd’hui doit déjà se refléter dans les prix des actions, des obligations et de l’immobilier. Les conditions actuelles déterminent les prix actuels ; les futurs prix sont l’affaire de demain. Si les Etats-Unis pouvaient surprendre à la hausse, ce serait le bon moment pour acheter. Si la surprise a plus de chances de venir de la baisse, mieux vaut vendre.

C’est comme les paris hippiques. Le précédent vainqueur peut piaffer et caracoler. Il peut être le favori pour la prochaine victoire. Il peut être au sommet de sa carrière. Mais ce n’est généralement pas un bon moment pour parier sur lui. Les investisseurs tendent à surévaluer le passé récent… et oublier les événements plus distants. Ils aiment parier sur les gagnants d’hier. Ils accumulent les paris sur le favori jusqu’à ce que les gains soient minimes et le risque de perte immense.

C’est pour cette raison que le bon du Trésor US à 10 ans rapporte si peu — moins de 1,6%. Et c’est pour ça que les actions américaines sont si chères — bien au-dessus de la moyenne en termes de PER. Les actions et les obligations sont dans un marché haussier depuis 30 ans. Toute une génération d’investisseur a grandi sans rien connaître d’autre. Pour autant qu’ils en sachent, les actions ne font que grimper. Et lors des rares occasions où elles baissent, les autorités interviennent pour les remettre sur les rails de la hausse.

Quant aux obligations, elles sont elles aussi un pari à sens unique. Ben Bernanke s’est engagé à maintenir les prix des obligations au plus haut pour les années à venir. Si les prix commencent à baisser (faisant ainsi grimper les rendements obligataires), il agira sur le marché pour les renforcer.

Bien entendu, ça fait des années que nous ne pensons plus être en mesure de prédire l’avenir. Nos dons de voyance sont partis en même temps que nos cheveux. Ce que nous essayons de faire à présent, c’est attendre que les choses se déséquilibrent à tel point que même un gouverneur de la Fed doive donner son maximum pour ne pas le remarquer. Ensuite, nous parions qu’elles se rééquilibreront.

Quand ? Comment ? Nous n’en savons rien. Mais actuellement, nous voyons que les niveaux de dette américains sont carrément déséquilibrés. Les autorités ont accumulés des déficits réels non-provisionnés se montant à 21 fois la croissance du PIB.

Où est-ce que cela nous mènera, nous n’en savons rien. Mais probablement pas à des prix plus élevés pour les actions et les obligations américaines.

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