La Chronique Agora

Le pétrole carbonise la croissance au Canada

Arabie Saoudite pétrole

Ah, qu’il était agréable de se balader dans les Rocheuses canadiennes fin mars 2016 ! Nul besoin d’équipements spéciaux pour franchir les grands cols de l’Alberta ou monter vers les stations de ski.

Les cascades (rivières Columbia, Fraser, Athabasca, Kicking Horse) affichaient, d’après les témoignages, la même majesté — et le même débit — que fin avril/début mai.

Bon, évidemment, c’était un peu frustrant pour les skieurs amateurs de poudreuse profonde qui avaient réservé à Lake Louise… mais la neige de printemps séduit également certains amateurs de hors-piste.

Sauf que la neige de printemps dans les Rocheuses, on la rencontre plutôt à partir de mi-avril, non ?

Sauf que la neige de printemps dans les Rocheuses, on la rencontre plutôt à partir de mi-avril, non ?

Les montées en station avec des forêts qui se couvrent de teintes de vert tendre tandis que les herbes sont déjà hautes dans les sous-bois… cela rappelle les départs pour une pêche à la truite début mai plutôt que pour une équipée en peau de phoque de fin d’hiver !

Si le printemps s’était contenté d’être précoce dans l’Alberta, cela n’aurait pu être qu’un moindre mal. Le problème, c’est que le manteau neigeux s’avérait, depuis le début de la saison, d’une minceur inhabituelle .

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Les sommets ont commencé à se dégarnir dès la fin mars sur les versants sud, la sécheresse sévissant précocement. Le phénomène a été aggravé par le manque d’imprégnation résiduelle des sols, faute de hauteurs de neige suffisantes durant l’hiver.

Dans les plaines à l’est des Rocheuses, la neige avait disparu depuis plus longtemps encore… Non pas à cause de la chaleur (les températures s’avèrent à peine supérieures à la normale), mais à cause du manque de précipitations.

Les hautes herbes sont déjà jaunies et sèches comme des paillassons, les forêts boréales constituées de maigres résineux, affichent la même physionomie qu’au début de l’automne… septembre et octobre étant les mois les plus secs, mai et juin étant les plus arrosés.

Sauf cette année, où il ne tombe pas une goutte depuis un mois !

La suite, vous la connaissez : des incendies dans l’ouest canadien d’une ampleur sans précédent, des centaines de maisons détruites, plus de 100 000 personnes évacuées de Fort McMurray et ses environs.

Calamités sur tous les fronts
Une calamité naturelle qui s’ajoute à une calamité économique, qui a déjà carbonisé 50 000 emplois depuis l’automne 2014 — dont 21 000 rien qu’en avril 2016. Il s’agit de l’effondrement des prix pétroliers qui rend l’extraction d' »huile » des sables bitumineux (un mélange de pétrole lourd, de silice, de minéraux argileux et d’eau) lourdement déficitaire.

Une industrie fortement critiquée par les écologistes : les alentours des gisements ressemblent à une préfiguration de l’enfer — quelques photos satellites suffiront à vous en convaincre. Le bilan écologique est effectivement une catastrophe en lui-même : chaque baril de bitume extrait du sol génère 1,5 baril de déchets après « chauffage » (processus qui entraine le rejet dans l’atmosphère d’une énorme quantité de benzène et de sulfites).

Une fois l’huile lourde valorisable récupérée, il ne reste plus qu’à stocker à ciel ouvert des milliards de tonnes de boues toxiques contenant en vrac de l’arsenic, de l’ammoniac, du plomb, du mercure, divers acides dérivés du naphte, du toluène… plus une grande quantité de soufre.

Des montagnes de soufre, au propre comme au figuré : de quoi couvrir plusieurs fois les besoins de l’industrie chimique de la planète entière. Inutile de préciser que ce matériau ne vaut plus grand-chose à la tonne depuis que l’Alberta en exporte…

Pourquoi je vous raconte tout ça ?

ce « pétrole sale » (oui, vraiment très sale) représentait jusqu’en 2014 environ 25% des exportations canadiennes en valeur

Parce que ce « pétrole sale » (oui, vraiment très sale) représentait jusqu’en 2014 environ 25% des exportations canadiennes en valeur — en volume, cela écrase naturellement tout le reste.

Ces lointaines contrées de l’ouest canadien, abandonnées des dieux et glacées six mois par an, renferment la troisième réserve mondiale de pétrole connue. Le pays est derrière l’Arabie Saoudite et le Venezuela — ce dernier ne pouvant qu’espérer extraire un jour, à grands frais, du « pétrole lourd » du fond du Golfe du Mexique.

Depuis que le cours du baril a été divisé par trois, le Canada a basculé en récession.

Ça, c’est l’effet prix.

Avec les grands incendies et le déplacement des salariés des principaux groupes pétroliers installés dans la région (les Canadiens Syncrude et Suncor, mais aussi Shell, ConocoPhillips, Exxon et les Chinois via CNOOC), la production se retrouve désormais réduite de moitié, à environ un million de barils par jour.

Une situation partie pour durer
Il ne s’agit pas d’une courte interruption temporaire de quelques jours, comme la grève survenue au Koweït, mi-avril, ou l’avarie causée par une bombe sur un pipe-line au Nigeria, début mai.

A moins de l’arrivée d’un gros épisode pluvieux, l’incendie de la forêt boréale du nord de l’Alberta pourrait durer des semaines, voire des mois. Les excédents de production planétaires quotidiens s’en retrouvent quasiment éliminés, mais cela suffira-t-il à faire remonter les cours ?

Si jamais le baril devait remonter vers 60 $… cela ne rendrait pas les sables bitumineux canadiens rentables pour autant

Si jamais, le baril devait remonter vers 60 $… cela ne rendrait pas les sables bitumineux canadiens rentables pour autant. En revanche, les producteurs de gaz de schiste américains — leurs concurrents les plus directs — se frotteraient les mains et beaucoup de nouveaux champs seraient remis en exploitation aux Etats-Unis.

En y rajoutant la montée en puissance de l’Iran, l’offre mondiale devrait demeurer excédentaire.

Seul un changement de législation sur les normes de pollution admissibles au Canada (deux fois plus laxistes qu’aux Etats-Unis en termes d’émissions de sulfites et de benzène, par exemple) pourrait dissuader le Canada de reprendre l’exploitation des sables à plein régime, lorsque les derniers arbres du nord de l’Alberta auront fini de se consumer.

L’ironie de l’histoire, c’est que ce sont les immenses zones de stockage des déchets toxiques provenant du chauffage des sables bitumineux (plusieurs fois la superficie de la ville de Paris) qui constituent désormais les meilleurs pare-feux de l’Alberta… à part, bien sûr, les zones déjà carbonisées.

Globalement, la croissance du Canada est cuite pour cette année ; nous voyons mal comment son premier partenaire économique — les Etats-Unis — pourrait ne pas en ressentir les effets. Certaines raffineries américaines du nord du pays tournent déjà au ralenti, les longs convois de wagons-citernes remplis de fioul lourd provenant de l’Alberta ayant cessé de circuler.

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