▪ Le tapage médiatique sur la dégradation de la note de l’Etat français de AAA à AA+ par Standard & Poor’s ne fait que rendre encore plus inintelligible l’économie et la finance pour le grand public.
Il s’agit en fait d’un non-événement puisque les marchés l’avaient déjà anticipé (voire sur-anticipé) depuis plusieurs mois.
Ce qui constitue l’événement est plutôt le timing encore et toujours inapproprié d’une telle décision… ainsi que les réactions confuses et peu professionnelles des politiques français de tous bords (gouvernements, opposants des partis dits de gouvernement et opposants des partis extrêmes).
▪ Une frontière ténue entre deux événements rares
En effet, la note d’un émetteur est associée à sa solvabilité ; la solvabilité se mesure par la probabilité de défaut à horizon un an. En se référant aux historiques de S&P (1), la probabilité de défaut d’un AAA ou AA est identique, à savoir quasi-nulle sur un horizon d’un an.
Cette probabilité est de 0,07% pour une signature notée A. Soit pour un statisticien un seuil de confiance confortable de 99,93%… et un risque confortable pour un investisseur, avec sept cas de défaut tous les 10 000 ans !
Cette probabilité devient de 0,23% pour des notations BBB, de 0,81% pour des signatures BB et de 6,27% pour des signatures B.
▪ Les taux avaient déjà retiré un A
L’écart de taux à 10 ans auxquels empruntent respectivement la France et l’Allemagne s’était déjà considérablement élargi. Durant toute l’histoire monétaire de la Zone euro, un écart de 0,2 à 0,4% nous séparait. Cet écart s’est élargi de 1% à 2% (100 à 200 bp) (2) ces derniers mois.
A court terme, il ne serait pas surprenant que l’écart entre la France et l’Allemagne se réajuste maintenant dans une zone plus raisonnable de 0,75% à 1% (75 à 100 bp) et que nous assistions à un fort rebond de l’euro, survendu contre le dollar depuis près de deux mois.
En effet, les marchés avaient sur-anticipé l’effet d’une dégradation qu’ils pressentaient depuis longtemps.
__________________________
L’or comme vous ne l’avez jamais vu !
Des heures de conférences passionnantes sur le métal jaune, par nos meilleurs spécialistes du secteur… et tout ça chez vous !
Comment ça ? Tout est expliqué ici…
__________________________
▪ Les investisseurs institutionnels ne vont pas beaucoup bouger
Il ne faut pas vous attendre à des réallocations de portefeuilles significatives suite à des dégradations de AAA à AA chez votre assureur-vie, par exemple.
Les limites d’investissement de la plupart des grands investisseurs institutionnels sont souvent des limites par tranches de notation : de AAA à AA-, de A+ à A-, de BBB+ à BBB-, en deçà de BBB, etc.
De même pour votre banque. Les nouveaux ratios de liquidité, qui vont contraindre les banques à constituer une réserve d’actifs, ne changent pas fondamentalement les choix d’investissement que les émetteurs soient notés AAA ou notés AA.
En tout cas, quel crédit accorder à des institutions qui n’ont pas su voir venir les trois grandes crises de surendettement et de bulles des 15 dernières années ?
Que faisaient les agences de notation en pleine bulle télécoms des années 1999-2000 ? Ont-elles pris des décisions appropriées pour alerter sur les risques d’insolvabilité des opérateurs télécoms ? Pas vraiment.
Que faisaient les agences de notation lors de la constitution de la bulle subprime aux Etats-Unis en 2005-2006 ? Elles continuaient à attribuer des AAA sans anticiper les crises bancaires d’illiquidité et d’insolvabilité qui allaient surgir un an après la faillite de Lehman Brothers.
Les agences n’ont pas compris que dès 2008-2009, le surendettement des Etats allait s’installer. Ce n’est que fin 2010 voire début 2011 que les agences de notation évoqueront officiellement les risques d’insolvabilité de certains Etats.
Ce que l’on peut et doit reprocher aux agences aujourd’hui, c’est de dégrader tout le monde indistinctement et de ne pas faire la différence notamment entre des pays insolvables comme la Grèce et, dans une moindre mesure, le Portugal et des pays qui traversent une crise profonde de liquidité comme l’Italie et l’Espagne. Malheureusement, si cette crise de liquidité n’est pas traitée à temps elle se transformera en crise de solvabilité.
Côté réactions en France, on ne peut pas dire que nos chers politiques vous donnent les clefs pour mieux cerner les enjeux de ces événements. A l’image d’une campagne présidentielle qui s’annonce aussi indigente que déprimante compte tenu des déficits d’ambitions et de débats d’idées.
La dégradation de la note française — en dépit de toutes les insuffisances relevées sur le comportement et la méthodologie des agences — reflète les dérives budgétaires et l’inefficacité de l’Etat depuis 20 à 30 ans, et pas seulement les dérives de la législature 2002-2007.
Certes, sous l’effet de la crise, mais pas seulement, la situation budgétaire s’est considérablement dégradée en France depuis cinq ans : 20 points de PIB en plus pour la dette publique qui est passée de 1 150 milliards d’euros à 1 780 milliards d’euros.
Quant aux partis extrêmes qui prônent la sortie de l’euro, ils feraient mieux de s’abstenir de réagir. Lorsque vous excluez un élève du lycée, vous n’avez plus à le noter. Avec eux au pouvoir, l’accès aux marchés de capitaux se fermerait avec un moratoire sur la dette publique détenue par les non-résidents, soit 72% de l’ensemble de la dette publique. La France sortirait de la scène économique et financière internationale.
Le gouvernement qui avait fait du AAA une religion relativise aujourd’hui la dégradation, au motif que la punition est collective. Certes, mais quatre pays conservent leur notation AAA : Allemagne, Pays-Bas, Finlande et Luxembourg.
Tout ceci n’est cependant pas sans conséquence pour le rendement de votre assurance-vie. C’est pourquoi nous avons développé plusieurs scénarios économiques dans la Zone euro (et en dehors) et conduit nos propres stress tests sur les portefeuilles des assureurs. Nous terminons un rapport qui chiffre les baisses de rendement auxquelles vous devez vous attendre. Le danger n’est finalement pas tellement là où on le pense…
(1) Source : Cumulative average default rates by rating modifier, 1981-2007, Standard and Poor’s
(2) Les professionnels du marché obligataire parlent en bp comme basis points ou points de base. 100 bp = 1%
Première parution dans Protection & Rendements du 16/01/2012.