La Chronique Agora

Pas d’inflation mais de la viande sans viande

▪ Bon je dois vous l’avouer : je suis un homme normal, enfin presque (selon ma femme). Hier mon épouse me confie une tâche matérielle essentielle — assurer le ravitaillement de notre petite maisonnée. C’est une mission essentielle pour éviter toute révolution populaire de la gamelle vide. Impossible de me défausser comme Marie-Antoinette en disant que s’il n’y a plus de pain, que les enfants mangent de la brioche. Ma femme m’a en effet précisé qu’il n’y avait plus de brioche non plus…

Bref, obligé d’aller en urgence au Fauprix du coin. Là, je tombe exactement sur ce qu’il nous faut. Un sachet de trois steaks de la marque « Chacal » (il paraît qu’on n’a pas le droit de citer le nom des marques…).

L’offre me semble alléchante dans tous les sens du terme. Trois beaux steaks frais pour trois euros, soit un euro le steak, avec une boîte de haricots jaunes (j’adore les haricots jaunes, c’est comme ça) payée quand même 1,34 euro. Un pack de huit yaourts (1,42 euro), un concombre à 90 centimes pour l’entrée avec une baguette à 95 centimes. J’arrive au total de 7,61 euros… Cela me semble convenable par les temps qui courent pour un repas pour quatre.

A la caisse, le type me regarde l’air mauvais (il n’a pas été encore remplacé par une caisse automatique). Non Monsieur, la carte bleue c’est à partir de 10 euros ! D’accord, d’accord, pas de problème, on va prendre les raccourcis. Passez deux fois les steaks je vais aller chercher un autre pack à trois euros, ils sont en promo, trois steaks avec mes monstres à la maison ça se mangera bien dans la semaine, et puis sur la photo du paquet ils ont l’air sacrément appétissants (c’est important pour la suite). 7,61 + encore 3 euros = 10,61 euros, et hop on peut utiliser la carte bleue.

J’arrive fier comme celui qui rentre du combat le devoir accompli. Aucune compassion dans le regard de ma femme après cet exploit.

Les steaks cuisent, les haricots chauffent, la faim nous tenaille. Nous passons à table. Nous dévorons nos steaks, enfin dévorer est un bien grand mot. Nous mangeons une première bouchée. Tout le monde se regarde. Goût étrange. Mon fils de quatre ans déclare. « Papa, la viande elle est pas bonne ». Ma femme confirme. » Tu es sûr qu’elle n’est pas périmée ta viande ? »

L’angoisse monte. J’ai échoué. Je vais rendre ma famille malade. Je suis déjà prêt à composer le 15 pour intoxication alimentaire. Je tente de trouver une solution. Je vais vérifier le paquet. Direction la cuisine. Et là, je découvre le pot aux roses ou le poteau rose, comme vous voulez.

La date est bonne — mais en petits caractères il est écrit : « préparation culinaire à base de 80% de viande », le reste étant une liste à la Prévert (que je vous épargne) de produits chimiques associés, forcément bons pour la croissance de mes enfants.

On nous vend donc maintenant de la viande sans viande, ou en tout cas avec 20% de viande en moins. Franchement ce n’est pas bon ; enfin, non, ce n’est pas mauvais, mais on ne mange plus vraiment de la viande.

Les entreprises augmentent leurs marges avec des prix affichés séduisants. La loi est respectée. J’inspecte attentivement le paquet. Il y a ces belles photos de steaks… mais jamais il n’y a le mot steak sur le paquet. On vous donne bien la composition (en tout petit au dos). Mais on vous induit en erreur. On croit acheter un steak.

Le pire dans tout cela, c’est que nous avons un deuxième paquet à manger… Je crois qu’il va finir en pâtes bolognaise. La sauce tomate masquera le goût.

Enfin, puisqu’on vous dit qu’il n’y a pas d’inflation…. Et plus de viande non plus, rajoute ma femme avec son esprit chagrin habituel.

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