La Chronique Agora

Pas besoin de flipper pour perdre la boule !

** La trajectoire du CAC 40 depuis dix jours s’apparente à une bille d’acier lancée sur le plateau d’un vieux flipper mécanique des années 60, avec des tours à ressort qui font des étincelles, accompagnées de jolis "clings" cristallins, et des embouts caoutchoutés commandés par des tringles désolidarisées de leur axe à force de subir des "fourchettes" à la volée.

Notre interrogation du moment concerne les limites physiques de l’engin et la sensibilité des capteurs de mouvements. A force de recevoir des coups de pieds dans toutes les directions, de recevoir des bourrades de bélier furibard, nous redoutons que le flipper fasse "tilt".

Mais il se pourrait aussi que tous les voyants passent soudain au rouge, avec un game over s’inscrivant en lettres de feu au milieu d’un paysage d’Arizona égayé par un trio de ravissantes pin-up cheyennes "chastement" dénudées — le magasine Playboy était considéré 40 ans auparavant comme le comble de l’audace pornographique, pas question de proposer aux adolescents américains une vison trop explicite de tels objets de fantasmes dans des lieux publics…

Les consoles de jeux électroniques ont remplacé les pinballs d’autrefois, les images les plus hard peuvent se télécharger en quelques secondes comme fond d’écran d’un GSM, la télé fait également son entrée sur les terminaux mobiles et les assistants électroniques reliés à la "toile" : qui éprouve encore de nos jours le besoin de faire usage de ses bras musclés pour bouger un flipper de 120 kilos et se décharger de son agressivité ?

** Eh bien, nous avons retrouvé des nostalgiques sur les forums boursiers et sur certains sites dédiés à l’analyse technique !

Les évolutions chaotiques, anachroniques ou échappant à toute logique apparente des indices boursiers ces derniers jours ont donné envie à certains day traders d’envoyer voler leur écran à travers la pièce, de shooter dans les roulettes de leur fauteuil pivotant, d’arracher les câbles de leur ordinateur… et nous pouvons comprendre leur accès de rage, tout droit issu de leur cerveau reptilien — nous en avons tous un !

Ils n’ont pas de flipper sous la main… mais cela ne les empêche pas de perdre la boule !

La volatilité du marché parisien est éreintante pour le système nerveux, mais la versatilité de la tendance l’est plus encore, avec plusieurs changements de cap en quelques heures.

Des écarts indiciels dépassant les 100 points (2,5%) entre les extrêmes de séance se multiplient depuis mardi dernier — tout a commencé le 2 septembre. Tenter de coller au plus près aux évolutions du CAC 40 depuis 48 heures est devenu "Mission : Impossible".
Certains d’entre vous se souviennent-ils de cette série truffée de nouveaux gadgets électroniques, du célébrissime gimmick musical de Lalo Schifrin, qui immortalisait l’impavide Jim Phelps, le musculeux Willy Armitage, le génial Barney — préfiguration du hacker du XXIe siècle — et la sublime Barbara Bain, épouse sur les plateaux comme à la ville de l’agent secret Rollin Hands, de son vrai nom Martin Landau ?

La série créée par Bruce Geller était caractérisée par une succession de renversements de situation et le montage de scénarios alambiqués destinés à leurrer les adversaires. Ils découvraient — mais chaque fois trop tard — les véritables intentions de l’équipe menée par Peter Graves et qui agissait officieusement pour le compte du gouvernement américain.

C’est à se demander si les scénaristes les plus retors de la série des années 70 n’ont pas été embauchés fin août pour mettre en scène l’évolution des marchés américains depuis la séance du lundi 1er septembre. Tout ce que les investisseurs peuvent découvrir dans l’actualité ne semble avoir servi qu’à égarer leur jugement et leur dicter la mauvaise décision.

** La séance du mardi 9 septembre n’a pas fait exception ; le climat s’avérait particulièrement délétère dès les premiers échanges. Après un début tendu avec un repli technique de 0,5%, les indices boursiers ont repris leur progression. Cependant, les bonnes dispositions de la mi-journée (+1,1%) ont cédé la place à un vent de déprime au cours des 90 dernières minutes de la séance.

Paris s’est enfoncé dans le rouge peu après la publication de deux petites statistiques américaines vers 16h. Le CAC 40 affichait vers 17h une perte supérieure à 1,5%, à 4 175 points. Il parvenait à limiter un peu la casse en clôture mais cédait tout de même 1,08% à 4 293 points.

Les chartistes observeront que le gap des 4 288 points, resté béant depuis le vendredi 5 septembre, a été refermé. C’est une zone de fragilité qui disparaît… mais la dynamique court terme semble redevenue négative depuis le basculement survenu lundi vers 15h30.

Tout comme la veille, la consolidation initiale de Wall Street (-1,1% pour le Dow Jones et le Nasdaq, -1,5% pour le S&P 500) éclipsait la décrue des cours du pétrole sous les 104 $ et le raffermissement du dollar face à l’euro, les 1,41 euro ayant été testés en cours de matinée.

Les valeurs du secteur énergie ont clairement entraîné le CAC 40 à la baisse, dans le sillage du cours du pétrole qui chutait de pratiquement 2,5% à 103,8 $. L’OPEP, réunie à Vienne, devrait maintenir comme prévu le niveau de sa production pétrolière qui demeure légèrement excédentaire par rapport à la demande.

EDF plongeait de 6,3%, Vallourec de 6%, Alstom de 5%, Schneider de 4,9%, GDF-Suez de 2,95% et le principal poids lourd du CAC 40 lâchait 2,5%.

Si certains gérants faisaient la part des choses et demeuraient relativement confiants en milieu d’après-midi, ils ont fini par renoncer à poursuivre leurs rachats à bon compte dans les compartiments de la cote restés orientés à la hausse.

** La toile de fond conjoncturelle s’est assombrie avec les promesses de ventes de logements qui ont diminué de 3,2% au mois de juillet aux Etats-Unis, selon l’association des promoteurs immobiliers américains (NAR). C’est une preuve que la crise de l’immobilier américain n’est pas terminée. Sur un an, les promesses de ventes dans l’immobilier se sont repliées de 6,8%.

Par ailleurs, les stocks des grossistes ont augmenté de 1,4% aux Etats-Unis en juillet, après une hausse de 0,9% en juin — révisée en baisse après +1,1% en estimation initiale. Par rapport au mois de juillet 2007, les stocks des grossistes se sont accrus de 10,6%. Les ventes des grossistes ont baissé de 0,3% en juillet 2008 par rapport à juin.

L’effet chèque-cadeau du fisc américain s’estompe et les problèmes de fond ressurgissent, pratiquement intacts. Au lendemain du sauvetage de Fannie Mae et de Freddie Mac, le risque systémique semble écarté. Cependant, les centaines de milliards perdus par les banques — et les millions d’emprunteurs menacés de saisie de leur bien immobilier — n’ont pas disparu par la magie du tour de passe-passe comptable et budgétaire concocté par Henry Paulson et Ben Bernanke. Ils ont aussi consulté Warren Buffett avant de mettre la dernière main à la renationalisation des deux GSE.

Résoudre la crise du crédit actuelle par le biais d’un nouveau creusement des déficits à la charge du contribuable ou tenter de faire payer les vrais responsables du pire désastre financier depuis 1929, ça, c’est vraiment mission impossible ! Et il y a de quoi… flipper !

Philippe Béchade,
Paris

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile