La Chronique Agora

Balade sur Park Avenue

« Qui est le président des Etats-Unis ? »

La semaine dernière, nous nous sommes retrouvé confronté au système de santé américain.

La mère de votre correspondant, âgée de 94 ans, avait du mal à respirer. Nous l’avons donc amenée à l’hôpital.

Tout ça était probablement de notre faute. La veille, nous l’avions promenée dans son fauteuil roulant — peut-être avait-elle attrapé froid.

Retour aux sources

Nous avions eu l’idée de revenir dans son ancien quartier.

Notre mère a grandi sur Park Avenue, à Baltimore, à seulement huit rues au nord de notre adresse actuelle.

Nous avons donc remonté Charles Street… puis Cathedral Street… pour traverser le Martin Luther King Boulevard… avant de finalement rejoindre Park Avenue. Elle s’était un peu affaissée dans son fauteuil, mais à mesure que nous approchions des rues familières, elle s’était animée.

« Je me souviens de cette maison… et voilà l’église où nous allions. Elle est presbytérienne maintenant — autrefois, elle était épiscopale ».

Nous étions dans le quartier de Bolton Hill — une zone qui a réussi à se maintenir en dépit des émeutes… de la corruption… des meurtres… de la drogue… de la pauvreté… d’une gestion municipale inepte…

« Oh, voilà le drugstore ! J’y achetais des glaces il y a 80 ans. Et il est toujours ouvert ! »

Un fantôme de la Grande dépression

Le magasin s’appelle désormais « pharmacie » — mais il n’a guère changé.

Les maisons et les boutiques du quartier — qui remontent à la fin du 19ème siècle — ont été bien construites

Les maisons et les boutiques du quartier — qui remontent à la fin du 19ème siècle — ont été bien construites. Aujourd’hui encore ce sont de beaux bâtiments de quatre étages, entièrement en brique.

« Et voilà notre maison. Elle n’a pas changé du tout. D’un côté, au bas de la colline, vivaient les Sullivan. Ils étaient riches. Ils avaient une domestique à plein temps. De l’autre côté, en haut de la colline, vivaient les Hollins. Je ne pense pas qu’ils étaient aussi bien lotis. C’était pendant la Dépression. Beaucoup de gens étaient au chômage ».

« C’était difficile… Mon pauvre père. Il n’en disait pas un mot. Il était toujours de bonne humeur. Mais il a tout perdu. Ma mère ne s’est aperçue de rien jusqu’à ce que sa soeur lui envoie une lettre de sympathie. Elle en avait entendu parler dans les journaux. Mon père a dû vendre la maison. C’est comme ça que nous nous sommes retrouvés à la ferme ».

Au milieu de la rue se trouve une vaste bande herbeuse, un bassin en son centre.

« C’est la mare », nous a dit Mère. « Nous jouions autour, autrefois. Nous improvisions des chariots avec des caisses et des patins à roulettes. Les grands dévalaient la colline. C’était tellement amusant ».

D’une manière ou d’une autre, le quartier a résisté à la Grande dépression, puis tant à l’effondrement urbain qu’à son renouvellement. Heureusement pour Bolton Hill, les promoteurs sont allés voir ailleurs.

Au bas de la rue, par exemple, se trouve un grand complexe d’appartements et de boutiques. Le Maryland Institute College of Art est tout près lui aussi, et semble s’être développé d’un coup. Mais cette section de Park Avenue reste intouchée.

Une bonne partie de ce qui passe pour être du progrès est en fait une fraude

Une bonne partie de ce qui passe pour être du progrès est en fait une fraude. Comme une espèce animale mutante, le fruit est souvent stérile… une impasse évolutionniste. Un bâtiment est abattu. Un autre encore plus laid est construit à sa place.

« Et regarde comme c’est joli par ici. J’avais oublié », continua Mère.

« Je me souviens de tout ça quand j’avais 16 ans. Mais ça n’a pas changé. Regarde, les cerisiers sont en fleur. Et le wistéria est presque sorti. Rien n’a changé. C’est ravissant. Je ne suis pas retournée ici depuis 40 ans. Je suis heureuse de voir tout ça une dernière fois ».

Une sortie discrète

Mais cette sortie avait un prix. Notre mère a commencé à tousser dès le lendemain.

Il était temps de faire appel à des professionnels.

« Votre mère a un rythme cardiaque très irrégulier », expliqua la médecin, une jolie femme pleine d’assurance qui semblait d’ascendance indienne.

« Et sa respiration est très difficile. Mieux vaudrait l’admettre à l’hôpital. Il n’y a peut-être rien que nous puissions faire, mais nous ferions mieux de conduire quelques tests ».

« Hmmm… Demandons-lui d’abord », avons-nous répondu.

« Maman, la médecin pense que tu devrais rester à l’hôpital. Ton coeur va mal. Elle pense que tu pourrais avoir une crise cardiaque à tout instant ».

« Je veux rentrer à la maison », nous a répondu Mère.

Mais ce n’était pas la fin du débat…

« Oui, mais votre mère a 94 ans », a continué la médecin. « Elle ne pense peut-être pas clairement. C’est très sérieux. Un ECG comme le sien m’inquiète beaucoup ».

« Cela semble assez clair », avons-nous insisté. « Elle veut rentrer ».

« Oui, mais peut-être devriez-vous la raisonner ».

Ce n’est pas comme si vous alliez la guérir de son grand âge

« Je pense que sa position est très raisonnable. Ce n’est pas comme si vous alliez la guérir de son grand âge. Elle veut être avec sa famille aussi longtemps que possible, puis effectuer une sortie discrète. Elle me l’a dit de nombreuses fois ».

« Maman » — nous avons essayé de clarifier les choses pour la médecin –, « la médecin pense que quelque chose pourrait t’arriver si tu n’es pas à l’hôpital ».

« Comme quoi ? » a demandé Mère d’une voix faible.

« Tu pourrais mourir ».

Elle eut un sourire. « C’est tout ? »

« Eh bien »… La médecin ne voulait pas lâcher prise. « Nous ne pouvons pas la laisser sortir tant qu’elle ne signe pas une décharge. Elle doit reconnaître qu’elle sort contre avis médical. Et je ne sais pas si elle est mentalement compétente pour signer ce genre de décharge ».

« Quoi ? Elle est parfaitement compétente ».

Notre mère avait écouté la conversation avec méfiance. Elle ne voulait pas plus d’interventions médicales… mais ne voulait pas en faire toute une affaire.

« Docteur… Posez-lui simplement quelques questions pour vous assurer de son état mental », avons-nous suggéré.

« D’accord… Mme Bonner, quel est votre nom complet ? »

« Anne Billard Bonner ».

« En quelle année êtes-vous née ? »

« 1921 ».

« En quelle année sommes-nous ? »

« 2016 ».

« Qui est le président des Etats-Unis ? »

« Dwight Eisenhower ».

« … »

« … Je plaisante. C’est Obama ».

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