"Cuba est le plus grand pays du monde : sa capitale est La Havane, son gouvernement est à Moscou, son armée est en Afrique… et sa population en Floride".La plaisanterie est attribuée au président Ronald Reagan, et n’a plus beaucoup de pertinence aujourd’hui, sauf peut-être pour les deux millions de Cubains qui vivent aux Etats-Unis.
Cuba, c’est un peu plus de 11,2 millions d’habitants inégalement répartis sur un territoire de 110 000 km2 (surnommé "le crocodile vert", à cause de sa forme rappelant ce reptile) ; c’est une économie officiellement socialiste. Mais en réalité, c’est une économie de pénurie, aggravée par l’embargo américain, dans laquelle la population "se débrouille". En réalité, Cuba, c’est un pays sous une double perfusion.
D’abord, celle du tourisme
En une dizaine d’années, les recettes touristiques ont été multipliées par dix, et ce boom compte beaucoup dans la croissance du pays, dont l’évaluation varie sensiblement (7,5% estimée par la Coface, 11% selon le gouvernement cubain !). L’arrivée massive de flots de touristes est bienvenue pour les Cubains attirés par la possibilité de gagner des dollars, quels qu’en soient les moyens.
En effet, les touristes sont autorisés à acheter des produits dans certains magasins officiels, ce qui permet au gouvernement d’avoir une mainmise sur ces devises. Malgré la concurrence régionale intense, Cuba ne cesse d’augmenter le nombre de ses chambres d’hôtel et tente de promouvoir ses plages de sable fin, même si le pays garde une connotation culturelle forte et souffre de l’image d’une des dernières dictatures communistes. Les visiteurs étrangers affluent, notamment les Canadiens, les Anglais, les Espagnols et les Allemands. Ce quarté n’est pas dû au hasard.
Ensuite, celle du Venezuela
Loin d’être autonome du point de vue énergétique, l’économie bénéficie d’accords pour des livraisons de pétrole vénézuélien à des conditions préférentielles de prix et de paiement. Le désir d’Hugo Chavez de contrer l’influence américaine en s’alliant à Cuba a été une véritable aubaine pour La Havane. Le tourisme et l’exploitation des ressources naturelles de l’île, étranglée par l’embargo américain, ne peuvent garantir son indépendance économique.
Venant miraculeusement se substituer à l’aide soviétique, celle de Caracas a sauvé l’économie du désastre annoncé. D’autant qu’elle a permis en contrepartie d’exporter de la matière grise dans le domaine de la santé et des biotechnologies. Les volontaires cubains pour aller travailler au Venezuela sont nombreux, car mieux payés, et certains en profitent pour prendre le large. Des accords ont été conclus pour la construction d’usines pétrochimiques et de ferronickel, et pour l’exploration pétrolière off-shore. Revers de la médaille, Cuba est dans l’archi-dépendance dangereuse d’Hugo Chavez.
Les mutations du pays sont en route !
Fidel Castro, âgé de 81 ans, malade, a officiellement passé le témoin à son "petit frère" Raul, âgé de… 77 ans. Ne nous y trompons pas, ce dernier est coulé dans le même moule, il a participé à la révolution depuis 1953 et a été l’un des acteurs de toute la vie du régime. Mais vu son âge, bien qu’il reste entouré de la vieille garde cubaine, il ne peut être qu’un homme de transition.
Pourtant le lider minimo a engagé de petits changements, même si c’est un peu contraint et forcé. Mais les Cubains n’en peuvent plus de leurs conditions de vie difficiles : délabrement des logements, transports déliquescents, rationnement, double parité du peso… Maintenant — ô joie — : ils ont, depuis cette année, le droit d’acheter des téléphones portables, des ordinateurs, des DVD, de l’électroménager et de loger dans des hôtels pour touristes !
Curieusement, ces deux mesures ont eu un succès foudroyant. Cela nous intéresse-t-il au final ? Eh bien, cela nous en dit long sur la société cubaine : regardez. Un abonnement seul coûte environ 120 $ et une chambre d’hôtel entre 135 $ et 430 $. Or le salaire moyen officiel est de 17 $ ! Cela nous montre qu’il existe une économie souterraine très vigoureuse.
Officiellement, les Cubains ont accès au dollar soit parce qu’ils travaillent dans le tourisme, soit pour des firmes étrangères et reçoivent de l’argent de la diaspora. Ils peuvent ainsi acheter sans utiliser le peso non-convertible, qui vaut 24 fois moins que le peso convertible. Un pouvoir d’achat à deux vitesses, qui souligne largement l’économie à deux vitesses du pays. Car des interdits existent toujours, parfois étonnants : interdiction d’utiliser des grille-pain ou la climatisation (qui pourtant serait bien utile !), car ils consomment trop d’électricité !
Cette timide libéralisation aura-t-elle son pendant sur le plan politique ?
C’est toute la question. Et la réponse est probablement positive, même si cela prendra encore du temps. Il est symbolique que la première personnalité reçue par Raul après son élection à la présidence de la république ait été le numéro deux du Vatican. Ce dernier a déclaré "être venu pour un moment spécial, extraordinaire. Le moment du changement est très important à Cuba". Mais déjà, la parole se libère à Cuba, les étudiants, les artistes exigeant plus de liberté.
Raul Castro est un pragmatique. Il sait que l’évolution en marche est irréversible. Autant l’accompagner, et même faire comme si elle était suscitée, histoire de durer plus longtemps et de sortir la tête haute. En juin, il a mis fin à un dogme politique ancien : l’égalitarisme salarial. Au nom de la productivité, le ministre du Travail a déclaré que "le travailleur gagnera ce qu’il est capable de produire", et qu’"il ne faut pas avoir peur des hauts salaires".
L’idée honnie de profit n’est donc plus tabou. Pour améliorer la productivité, les salaires vont être déplafonnés et fonction du travail produit. Une réponse aux revendications de la population, frappée par l’inflation, notamment celle des produits alimentaires. En juillet, face à la crise alimentaire qui touche l’île, Raul Castro a autorisé la distribution aux agriculteurs privés de terres d’Etat en friche pour augmenter la production agricole (Cuba importe 84% de son alimentation). Les terres en friche représentent 51% des surfaces cultivables, et elles seront remises aux agriculteurs pour une durée de dix ans renouvelables.
Et Raul Castro n’a pas oublié dans le même temps de préparer son opinion publique en déclarant à la télévision que des temps difficiles attendent ses concitoyens sur le plan économique, en raison de la flambée des prix du pétrole et des matières premières.
Et justement, puisqu’on parle de pétrole… on aborde un point très intéressant, comme nous le verrons dès demain.
Meilleures salutations,
Jean-Claude Périvier
Pour la Chronique Agora
(*) Parallèlement à sa carrière dans le conseil aux entreprises et l’intelligence économique, Jean-Claude Périvier s’intéresse à la Bourse et à l’investissement depuis 1986. Analyste de talent, il excelle à détecter et anticiper les tendances futures… pour en déduire les meilleures opportunités de gain dans sa toute nouvelle lettre d’information, Défis & Profits.