Il y aurait beaucoup à dire sur la séance de bourse du 1er avril. Il a fallu compter avec un grand écart de performance surréaliste entre les places européennes et Wall Street (2,5% en moyenne)… ce qui démontre que les indices américains sont soutenus à bout de bras par la Fed sur fond de liquidation d’actifs en Europe pour doper les actions US.
Cependant, tout cela revêt un intérêt presque anecdotique en regard du scandale planétaire qui se matérialise avec les « Panama Papers ».
Nous savons tous que le Panama fait partie — avec les Iles Vierges britanniques, les Seychelles et autres Iles Caïman — de ces champions de l’anonymisation des personnes physiques et morales (entreprises commerciales, fiduciaires, hedge funds…) via des cascades de sociétés écran qui interdisent aux autorités fiscales de tout pays de pouvoir réclamer l’impôt.
Pas de titulaire identifiable + pas de pays d’origine + pas de flux financiers traçables = pas d’impôt |
Pour résumer très trivialement : pas de titulaire identifiable + pas de pays d’origine + pas de flux financiers traçables = pas d’impôt.
Nous savons tous que les paradis fiscaux siphonnent au moins 10% (en réalité c’est bien plus) des revenus et recettes imposables de par le monde — mais c’est bien l’anonymat qui met les fraudeurs à l’abri du fisc.
« J’ai appris au cours de ma carrière dans la police que cet objet était indispensable… C’est pourquoi j’ai décidé de vous l’envoyer… à mes frais ! » Jason Hanson Découvrez comment le recevoir en cliquant ici… |
Jusqu’à présent, la triche des uns et des autres faisait partie du domaine du soupçon. Au pire, quelques listings de personnes physiques avaient fuité chez UBS, faisant l’objet d’une exploitation sans enthousiasme… et les LuxLeaks avaient mis en évidence des pratiques d’évitement de l’impôt par plusieurs centaines de multinationales.
Les conventions prédéterminant un niveau forfaitaire d’imposition entre l’Etat luxembourgeois et des entreprises possédant une filiale sur son sol constituent un procédé « limite »… mais pas illégal.
Trou noir et informations disparues
Avec les « Panama Papers » — une méga-fuite de documents ultra-confidentiels dont le Süddeutsche Zeitung a été le premier récipiendaire –, c’est comme si un trou noir venait de restituer des décennies d’information disparues.
Les séries de 1 et de 0 indéchiffrables deviennent des noms… par milliers s’agissant de personnes physiques, par dizaines de milliers s’agissant de sociétés offshore (15 600 d’après les premiers éléments divulgués par Le Monde, principal relais français de l’affaire).
Ce qui laisse tout le monde pantois, c’est l’échelle de la fuite. Avec les SwissLeaks et les LuxLeaks, nous apercevions un bout de périscope fendant la surface des flots ; cette fois-ci, c’est un sous-marin tout entier qui surgit de l’océan dans un bouillonnement d’écume.
Onze millions et demi de documents, soit 2 600 giga-octets de données secrètes, ont été exfiltrés des ordinateurs du cabinet Mossack Fonseca. Ce dernier est l’un des plus gros spécialistes de la « domiciliation » (comprenez de l’anonymisation) du Panama, fournissant toute l’ingénierie permettant de blanchir et recycler l’argent de la fraude fiscale, des pots-de-vin, de la corruption, de la drogue et du crime en général.
Soudain, des centaines de personnalités politiques, de chefs d’Etat, d’ultra-riches, de sportifs ultra-célèbres, d’artistes ou de mafieux risquent de faire l’objet de poursuites fiscales et judiciaires.
Ne rêvons pas : il sera difficile de mettre la main sur l’argent occulte, il est partout et nulle part |
Ne rêvons pas : il sera difficile de mettre la main sur l’argent occulte, il est partout et nulle part.
Les intéressés, avertis de la fuite affectant Mossack Fonseca, ont eu tout le temps de mettre en place de nouvelles cascades de sociétés-écran et de holdings, de disséminer l’argent des centaines de fois à travers des milliers de structures offshore.
Ca va faire mal…
L’argent illégal, insaisissable, ne pourra pas être confisqué en tant que tel. En revanche, les comptes officiels des fraudeurs pourront être saisis… et dans le cas de personnalités politiques, de brillantes carrières vont être brisées net.
Des sportifs — déjà multi-millionnaires mais qui en veulent toujours plus — vont apparaître aux yeux de leurs supporters (qui n’ont pour leur part aucun moyen d’échapper aux taxes et aux impôts) pour ce qu’ils sont : des enfants pourris-gâtés, avides et viscéralement égoïstes. Ceux qui les idolâtrent appartiennent souvent aux classes les plus modestes, celles auxquelles la solidarité des plus riches s’avère la plus indispensable.
Des « Ballons d’or » vont se transformer en sportifs à la moralité de plomb… des champions auto-proclamés de la (fausse) générosité vont passer du statut de donateurs ostentatoires à celui de grands dissimulateurs… des couples de corrupteurs et de corrompus vont pouvoir passer bras-dessus bras-dessous devant la justice. Et peu importe les montants en jeu — qui ne seront probablement jamais connus.
Le coup risque également d’être rude pour le Luxembourg dont la réputation de probité avait volé en éclats avec les LuxLeaks. Les fichiers de Mossack Fonseca sont farcis de noms de filiales luxembourgeoises de banques de tout gabarit qui y possèdent des locaux avec salariés, un bureau ou une simple boîte aux lettres.
Au fait, qu’en pense notre « patron » de l’Europe, Jean-Claude Juncker ? Il connaît par cœur ce système qu’il a longtemps supervisé… mais il nous assurera n’avoir jamais été au courant des détails, opacité du système oblige.
Le couperet de la justice chinoise risque en revanche de s’abattre impitoyablement sur tout concitoyen soupçonné de faits de corruption dont le nom figurerait sur les listings remis aux 107 rédactions membres de l’ICIJ (Consortium international des journalistes d’investigation).
Les oligarques russes auront peut-être plus de chance avec le Kremlin, car l’exemple (le mauvais) vient d’en haut… de tout en haut. Et l’on imagine aisément quelle exploitation les Etats-Unis et ses alliés de l’OTAN vont pouvoir en faire.
Pour conclure, avec les LuxLeaks, le grand public avait découvert l’une des griffes du sphinx émergeant des sables. Avec les « Panama Papers », c’est comme si l’une des plus grandes pyramides de fraude fiscale sur terre surgissait du sol, jusqu’à 140 mètres au-dessus de la plaine du Nil.