▪ Mais où sont passés les bears (les vendeurs), s’interroge CNBC alors que les indices américains alignaient une cinquième ou sixième hausse consécutive — et une neuvième sur une série de 10 pour le Dow Jones.
Qu’est-ce qui justifie cette avalanche de nouveaux records historiques en clôture ou en intraday sur des indices tels que le Russell 2000, le S&P Mid 400 ou le Dow Transportation?
Un ultrabull — variété de permabull aux yeux dilatés par des substances qui ne sont en vente libre que dans certaines boîtes de nuit réservées aux VIP de New York — s’est jeté sur le micro pour donner sa version du rally actuel. Accrochez-vous si vous êtes à jeun car ça va vous envoyer dans la stratosphère.
« Les marchés constatent la disparition du moindre motif d’inquiétude un peu sérieux, c’est pourquoi ils viennent seulement d’entamer leur ascension moyen/long terme.
Nous savons déjà que 2013 sera une année de forte croissance [vous le saviez, vous ?] et ce rythme tiendra probablement jusqu’en 2020 [si, si, c’est comme ça et pas autrement !] ».
▪ Sept années de vaches grasses à l’horizon ?
Autrement dit, le S&P qui flirte avec les 1 500 points n’est peut-être qu’à mi-parcours d’un objectif de 3 000 points qui n’est certainement pas exagéré vu les sept années de croissance radieuse qui se profilent devant nous. Ça y est… vous les visualisez ? Si non, remettez de la poudre et aspirez plus fort.
Son dernier conseil : « bouchez-vous les oreilles et fermez les yeux pour ne rien entendre ni lire quoi que ce soit de négatif sur la conjoncture et achetez, achetez, achetez ! »
Soit ce garçon se ravitaille dans les surplus de Lance Armstrong… soit il a un paquet de papier acheté au plus haut qui lui brûle les doigts… soit c’est un illuminé et la finance a besoin de gens comme lui.
C’est en l’écoutant que l’on peut le mieux se figurer quelle catégorie d’investisseur configure les algorithmes les plus agressifs et arrache les indices à la hausse — avant que quiconque ait le temps de comprendre quel genre d’engrais est versé au pied du haricot magique qui se fraye un chemin dans la stratosphère depuis le 2 janvier.
▪ La valse des titres d’Apple et Netflix
Observer le travail des algorithmes au moment de la publication des trimestriels d’Apple a été assez fascinant mercredi soir entre 22h28 et 22h35. Il y a eu des dizaines de décalages de cours allant de -2% à +2% en quelques secondes… avant le plongeon de 22h31 vers 486 $ (-5%).
Personne ne sait ce qui se trame au coeur de la matrice, mais quel spectacle époustouflant. Des centaines de milliers de titres changeant d’ordinateurs en quelques secondes (un million de titres traités au bout de cinq minutes).
Ce n’est rien à côté de l’envol de 25% de Netflix en quelques secondes, de 101 $ vers 126 $ (deux minutes après la clôture), après l’annonce d’un profit par titre de 0,13 $ contre une perte symétrique anticipée. Personne n’a eu le temps de lire la seconde ligne du communiqué que des milliers d’ordres d’achat étaient déjà été déclenchés et exécutés — cela n’a pris en tout qu’une dizaine de secondes.
Ça c’est de l’algorithme agressif — s’il vous manquait un référent pour comprendre ce que l’agressivité signifie véritablement sur les marchés.
Mais que recouvre aujourd’hui le terme de marché alors que moins de 5% des ordres qui y sont traités sont le fruit d’une décision humaine, tous les autres étant générés par des robots-traders ?
A l’échelle subatomique, les machines règnent sans partage, mais elles sont d’abord programmées par des hommes qui eux-mêmes se réfèrent à de grands principes à l’échelle macro.
L’un d’entre eux consiste à respecter coûte que coûte le postulat selon lequel la Banque centrale a toujours raison.
Même si elle est totalement aveuglée par ses propres dogmes ultra-libéraux, notoirement incompétente quand surgissent les problèmes et à côté de la plaque dans son traitement de la crise.
▪ Des archives de la Fed rendues publiques
C’est que nous prouvent les archives rendues publiques la semaine dernière et qui relatent les discussions au sein de la Fed durant les mois qui ont précédé l’effondrement du système financier américain.
En d’autres termes, avec ce genre de grands principes préconisant le suivisme aveugle de la tendance impulsée par la Fed — tout en finesse et en subtilité comme nous les aimons –, rien ne favorise davantage un enrichissement rapide que de jouer à l’imbécile heureux. Ben tant que ça gagne, on continue pareil et s’il se produit un couac, on se précipite le premier vers la sortie car ça craint depuis le début !
Les marchés américains sont devenus comme une salle d’enchères dont les portes sont fermées au grand public. Ceux qui ne figurent pas sur la liste sont ravalés au rang de spectateurs passifs ; les ventes sont réservées à une poignée de millionnaires qui se refilent le même lot de Picasso à quelques minutes d’intervalle.
Aussitôt achetés 20 millions de dollars par le premier enchérisseur, il est aussitôt revendu 21 millions à son voisin de droite qui le refile pour 22 millions à son voisin de gauche lors de l’enchère suivante.
Ça commence à faire très cher pour quelques dizaines de centimètres carrés de toile qui se payaient trois millions de dollars début 2009. Mais aucun souci car n’importe lequel des enchérisseurs est certain de le refourguer un ou deux millions de dollars de plus dans les minutes qui suivent — même si personne en rentrant ne disposait d’une telle somme sur son compte.
La hausse des prix n’est donc plus une question de nombre ou de richesse des acheteurs. La hausse du prix provient du crédit supplémentaire que le commissaire-priseur (la Fed en l’occurrence) accorde à chaque complice qui relance les enchères.
Le but n’est pas de déterminer une juste valeur pour les Picasso mais de pouvoir faire titrer au journal de 20h « série d’enchères record chez Christeby’s : 10 toiles adjugées à 25 millions… mais on espère faire deux fois mieux demain ! »
Avec ce genre d’annonce, soyez-en sûr, cher lecteur, le chômage va reculer et les ménages vont retrouver l’envie de consommer !
Mais retirez de cette carambouille la fausse mornifle du commissaire-priseur, laissez rentrer librement le collectionneur lambda (et non une poignée de copains millionnaires triés sur le volet) pour vendre sa toile et vous verriez rapidement qui des vendeurs ou des acheteurs sont les plus nombreux.
Wall Street, ce n’est plus un marché mais une boiler room. Je vous invite au visionnage du film prophétique du même nom, sorti quelques mois avant l’effondrement de la pyramide de Ponzi des subprime (c’est la dette publique qui a pris le relais depuis l’automne 2008).