La Chronique Agora

Or, pétrole : quelle est la vraie influence sur la croissance mondiale ?

▪ Que direz-vous lorsque vous allez raconter à vos petits-enfants la plus grave crise mondiale depuis 1929 ? Vous leur direz : « je n’étais pas spécialement intelligent. Je me contentais d’acheter de l’or à chaque fois qu’une Banque centrale annonçait imprimer de la monnaie ».

Depuis le mois dernier, l’once a gagné 5% en dollar et 4% en euro. Le pétrole, lui, a progressé de près de 17% ! Reprenons la chronologie des événements récents pour mettre cela en perspective. La Tunisie s’enflamme pour cause de hausse des prix alimentaires. Les troubles se propagent à la Libye voisine. Le pétrole flambe.

Ben Bernanke, patron de la Fed américaine, membre éminent du cartel des taux bas et faux-monnayeur en dollar affirme que l’impression de dollars n’est pour rien dans tout cela. Les produits agricoles ? Il ne fait pas la pluie et le beau temps météorologique. La cause de la hausse est là, uniquement là et pas ailleurs. Le pétrole ? C’est une spéculation qui ne durera pas, l’Arabie Saoudite comblera sans problème un déficit passager. L’inflation qui pourrait en résulter ? Juste un mauvais moment à passer. Là aussi, les calculs officiels montrent qu’on ne doit pas s’inquiéter. L’inflation hors alimentation et énergie reste raisonnable. Comme vous le savez, l’avenir appartient aux esprits purs, pas aux matérialistes qui veulent se nourrir et se chauffer.

Notre ami Ben va rester fidèle à sa ligne : pas de hausse des taux, puisque pas d’inflation. Avouez que c’est très logique.

Jean-Claude Trichet, patron de la BCE, membre éminent du cartel des taux bas et faux-monnayeur en euro, affirme qu’il va combattre l’inflation comme le veut sa mission. Il va oser un mouvement effroyablement audacieux : il augmentera ses taux de 0,25% en avril. Oui : vous avez bien lu, 0,25%. C’est très sérieux. L’inflation n’a qu’à bien se tenir.

En trois mois, l’indice RICI des matières première a augmenté de 9,8%, l’indice CRB des matières premières de 4%. Mais comme vous le savez, nous résidons dans un pays d’esprits purs, notre économie repose sur les services, pas sur les matières premières. Ça tombe bien, les chômeurs sont légion et donc la matière grise pas chère. Ceci compensant cela, l’inflation est très faible.

Notre ami Jean-Claude va rester fidèle à sa ligne : pour rassurer les Allemands (il ne faudrait pas qu’ils sortent de l’euro !) il prétend donc arrêter la charge de l’éléphant inflation avec une tapette à mouche.

▪ La hausse du pétrole va freiner toute croissance saine résiduelle
La croyance populaire veut que nous absorbions très bien les chocs pétroliers car notre économie du service et de la matière grise n’est pas dépendante de choses aussi triviales que les matières premières et l’alimentation. Voyons un peu ces allégations à la lumière des chocs pétroliers précédents.

D’après la Barclays, une hausse des prix de 10% coûte 0,5% de PIB. Nous en sommes à 17%.

D’après le Crédit Agricole, dès que le ratio mondial dépenses pétrolières/PIB dépasse 4%, le PIB s’ajuste brutalement pour revenir à 3%. 10 des 11 récessions américaines depuis la Deuxième Guerre mondiale ont été précédées d’un choc pétrolier.

D’après le Wall Street Journal, lorsque le cours du baril augmente violemment (10% en moins d’une semaine), les marchés actions connaissent une correction de 9% en moyenne six mois plus tard.

Les analystes de Citigroup ont calculé que durant les six derniers chocs pétroliers (1986, 1990, 1996, 1998, 2001, 2008) durant lesquels les cours ont doublé, les valeurs du transport aérien et du tourisme ont cédé 12%.

Les analystes de Deutsche Bank estiment que si le Brent atteint 150 $ le baril, la croissance mondiale prévue à 4,2% retomberait à 2,2%.

Les analystes d’Oddo pensent que le prix à la pompe pourrait faire baisser de 1% le trafic des véhicules légers ce qui pourrait faire reculer de 20% les valeurs liées au secteur de l’automobile.

Vous voyez, je ne suis pas la seule à être sombre. Pendant cela, les traders s’en donnent à coeur joie avec les dollars imprimés par Ben et les positions nettes acheteuses sur le WTI ont bondi de 27% sur la première semaine de mars.

Que va-t-il rester lorsque l’économie mondiale va freiner ?
Que va-t-on apercevoir lorsque l’illusion de richesse acquise à coup de fausse monnaie aura disparue avec le recul des marchés actions ? Une montagne de dettes souveraines, des déficits béants qui ne pourront être comblés faute de croissance.

Ils ne pourront jamais rembourser. JAMAIS.

Pas convaincu ? Passons au sujet qui fâche vraiment : les recettes fiscales. Nos doctes économistes (majoritairement keynésiens mais quand même inquiets) dissertent sur le fait de savoir quel est le ratio dette/production de richesse (PIB) acceptable pour un pays. Raisonnement parfaitement fallacieux.

Comme le note Dylan Grice, économiste de la Société Générale, tout dépend du taux d’intérêt. Le taux d’intérêt moyen depuis la Seconde Guerre mondiale est de 6,9%. Vous avez remarqué, dès que les rendements dépassent le taux moyen, les pays appellent le FMI au secours : Islande, Grèce, Irlande et bientôt Portugal puis Espagne.

En France, si les taux atteignaient 5,5%, l’Etat devrait trouver 63 milliards d’euros supplémentaires. Doubler l’impôt sur le revenu ne suffirait pas. Et comme les recettes de TVA seraient en baisse pour cause de retour en récession, il ne faudra pas compter sur ces rentrées.

Rassurez-vous (la misère partagée est plus supportable), aux Etats-Unis, ce n’est pas mieux. Chez nous comme chez eux plus d’un tiers des recettes fiscales seraient englouties dans le paiement des intérêts de la dette.

Quelle solution restera-t-il à messieurs Ben Bernanke et Jean-Claude Trichet ? Imprimer, encore, et encore et encore…

Souvenez-vous : « je n’étais pas spécialement intelligent. Je n’avais pas de diplôme d’économie. Je me contentais seulement d’acheter de l’or à chaque fois qu’une Banque centrale annonçait imprimer de la monnaie ».

[Simone Wapler est analyste, journaliste et ingénieur de formation. Elle a déjà contribué à des publications telles que Le Point, Enjeux, Les Echos, Chart’s… Elle est rédactrice en chef du magazine MoneyWeek, et analyse chaque mois le secteur aurifère dans la lettre d’investissement Vos Finances. Spécialisée dans les valeurs industrielles, les matières premières, les énergies, l’or, les minières, Simone Wapler est passionnée par les investissements « tangibles » et c’est ce qu’elle met chaque semaine au service des abonnés de L’Investisseur Or & Matières, dont cet article est extrait.]

 
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