▪ La saison du jeûne a commencé. Fini la belle vie. Il est temps de se serrer la ceinture. Nous sommes le seul, parmi nos amis et associés, à respecter le Carême.
Le Carême est censé représenter les 40 jours que Jésus a passés à jeûner dans le désert. On commémore ces jours maigres par la prière, la méditation et la renonciation. En ce qui nous concerne, pas une seule goutte d’alcool ne franchira nos lèvres du Mercredi des Cendres jusqu’au Dimanche de Pâques. Sauf les dimanches. Et les fêtes nationales. Et les jours commençant par M ou dont la date est un nombre premier.
Oui, cher lecteur, nous suivrons le calendrier de l’Eglise, avec quelques changements de notre propre invention.
Pourquoi ? Parce que nous aimerions nous souvenir que les périodes de gloutonnerie et d’exubérance doivent être suivies de périodes de jeûne et de correction. Le yin et le yang doivent être maintenus en équilibre. La douleur et le plaisir… le bien et le mal… le juste et l’injuste — les gens doivent avoir ce qui leur est dû. Sinon, le monde entier se retrouve faussé.
Nous jeûnons pour nous rappeler qu’il y a des difficultés… qu’il y a des périodes maigres, dans la vie. Pas uniquement nos vies de buveur… mais nos vies économiques… et nos vies émotionnelles. Il y a de l’adversité. Il y a de la douleur et de la pénitence. Nous suivons les rituels religieux de manière à ne pas tomber en morceaux quand la véritable adversité nous tombe dessus. Nous subissons le Carême pour pouvoir profiter de Pâques.
Oui, les corrections font partie de la vie.
On corrige ses erreurs… ou bien l’on est corrigé par elles. Aucune autre issue n’est possible.
▪ Les banques centrales ne sont pas de cet avis
Et voilà qu’arrivent les banques centrales modernes avec leurs doctrines et leurs pratiques. Ben Bernanke & co. ont des idées différentes sur la question. Ils travaillent sans relâche pour éviter la correction… pour empêcher la peine… et pour ramener le bon temps de la fièvre dépensière. Ils ont désormais un programme — le QE éternel — qui promet de maintenir éternellement l’économie sans douleur.
Pour comprendre comment cela s’est fait, nous en revenons aux débuts des Etats-Unis d’Amérique, où la Constitution elle-même interdit la monnaie papier.
James Madison décrivait dans les journaux fédéralistes la devise fiduciaire comme étant un « projet inconvenant ou inique ». Et dans sa décision de 1819, Dartmouth College vs. Woodward, John Marshall expliquait que la devise fiduciaire avait « sapé la confiance entre les hommes et embarrassé toutes les transactions entre individus en les exemptant de se montrer fiables dans leurs engagements ».
La devise fiduciaire n’était pas nécessairement l’oeuvre du diable, mais Satan avait tout de même mis la main à la pâte. Lorsqu’on peut contrefaire de la monnaie impunément, c’est une habitude difficile à perdre. On en devient bien vite dépendant.
Le Congrès US a eu recours à la devise fiduciaire pendant la Guerre de Sécession. 500 millions de dollars papier ont été émis. Cela a mené à une hausse des prix, ce qui a fait plaisir aux débiteurs. Ils avaient emprunté en argent cher ; ils remboursaient en billets verts bon marché. Dans le Nord, les prix grimpèrent de 75% entre 1860 et 1865.
Après la guerre, les dollars confédérés disparurent, mais le désir d’argent facile persista. L’agriculture était le plus grand secteur économique au 19ème siècle. Les agriculteurs empruntaient généralement pour développer leurs exploitations durant les booms, quand les prix sont élevés. Ensuite, pendant la correction, ils maudissaient les banquiers qui leur avaient prêté de l’argent et ruaient des quatre fers contre l’étalon-or.
William Jennings Bryan embrassa leur cause à la fin du siècle. Le prolétariat rural avait fait faillite durant le krach agricole des années 1880… et se retrouvait si profondément endetté qu’il était prêt à s’allier à un idiot comme Bryan s’il promettait de les soulager.
▪ Croix de bois, croix… d’or
« Vous ne crucifierez pas l’humanité sur une croix d’or », avait rugi Bryan sous les alléluias approbateurs des rustauds. Le discours sonnait bien. C’était une formule rhétorique très efficace, qu’on répéta maintes et maintes fois… mais elle était parfaitement vide — rien de plus que de la vantardise et de la fraude.
Il y a quelques désaccords liturgiques sur la question, mais Carême se termine généralement le Vendredi Saint, lorsque Jésus a été crucifié sur une croix de bois. Depuis, des millions de gens ont été crucifiés financièrement par la devise fiduciaire (un produit dérivé du bois). Personne n’a jamais été cloué à une croix d’or.
Ce que Bryan reprochait à l’or, c’est exactement ce que lui reprochent que tous les brasseurs de devise papier — y compris les banquiers centraux modernes. L’or ne coopère pas ; il est têtu. On l’emprunte et on doit le rembourser. Le prêteur s’attend à recevoir son argent en monnaie sonnante et trébuchante. Et dans la mesure où l’offre d’or augmente rarement plus rapidement que les biens et de services contre lesquels il est échangé, les prix restent plus ou moins stables. Les débiteurs ne peuvent pas s’en tirer comme ça.
Selon Paul Moreno, les prix ont grimpé de 176% entre 1800 et 1913, année où la banque centrale américaine a été fondée. De nouvelles découvertes d’or en Alaska, en Afrique du Sud et en Australie ont significativement augmenté la masse monétaire. Mais ce n’était rien. Durant les 100 ans qui ont suivi, lorsque la devise papier était la plus souvent émise par le Trésor US, les prix ont grimpé de 448%.
Bryan a eu gain de cause, finalement. Personne aux Etats-Unis ne souffre d’une devise honnête. Personne ne rembourse autant qu’il a emprunté. Même les contrats comportant une clause d' »ajustement à l’IPC » ne parviennent pas à indemniser le prêteur : les autorités y ont fait attention aussi.