L’évolution du prix de l’or vous étonne ? Patience, car derrière le rideau, une nouvelle crise de liquidité se prépare et pourrait être déterminante pour le cours de l’actif refuge.
Le monde a radicalement changé ces dernières années. Nous avons connu la pire pandémie depuis 1918, la troisième de l’Histoire. La chaîne d’approvisionnement mondiale s’est effondrée. Nous connaissons la pire inflation depuis le début des années 1980, même si elle a baissé depuis le pic de juin dernier.
Pendant ce temps, l’Europe traverse sa pire guerre depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Cette guerre cinétique en Ukraine s’est accompagnée d’une guerre financière et économique entre les États-Unis, le Royaume-Uni, l’UE et la Russie, qui implique des sanctions financières extrêmes, notamment la saisie des réserves de la banque centrale de la 11e économie mondiale.
Cette guerre financière et les sanctions qui l’accompagnent ont ébranlé les chaînes d’approvisionnement, alors qu’elles étaient déjà perturbées. Ces perturbations persistent.
La deuxième économie mondiale, la Chine, a confiné 50 millions de personnes à Shanghai et à Pékin pendant des mois, dans une tentative désespérée et malavisée pour éradiquer le COVID. (La Chine semble enfin avoir compris que le virus circule où il veut.) Aujourd’hui, les tensions dans le détroit de Taïwan sont vives, et les rumeurs d’une invasion chinoise font couler de l’encre. La liste est longue.
Si l’or est la valeur refuge par excellence pour les investisseurs, et que le monde est dangereusement instable, le prix de l’or a dû monter en flèche, n’est-ce pas ?
Ce n’est pas le cas. Aujourd’hui, l’once d’or se situe aux alentours de 1 985 dollars, après avoir pris 200 dollars (ce prix fluctue quotidiennement et de façon intrajournalière). Ce prix est toujours inférieur au record historique de 2 069 dollars atteint le 6 août 2020.
En résumé, le prix de l’or est plus bas aujourd’hui qu’il ne l’était il y a trois ans. Il y a eu des hauts et des bas en cours de route, notamment deux sommets dépassant les 2 000 dollars et plusieurs chutes dans la fourchette des 1 680 dollars, mais toujours suivis d’un retour à une tendance centrale persistante qui n’a pas beaucoup bougé.
Nous en revenons donc à la question initiale. Avec l’inflation, les pénuries et la guerre, pourquoi l’or ne dépasse-t-il pas les 3 000 dollars l’once, et ne se dirige-t-il pas vers les 4 000, 5 000 dollars et plus ?
Les conditions de l’offre et de la demande favorisent l’augmentation du prix de l’or. La production mondiale d’or est restée relativement constante au cours des sept dernières années. Au cours de cette même période de sept ans, alors que la production mondiale est restée stable, les banques centrales ont augmenté leurs avoirs officiels de plus de 6%.
La Chine a ajouté plus de 1 400 tonnes métriques au cours des treize dernières années (c’est le chiffre officiel ; officieusement, elle en possède probablement beaucoup plus). La Russie a acquis plus de 1 500 tonnes métriques au cours de la même période.
Parmi les autres grands acheteurs figurent la Pologne, la Turquie, l’Iran, le Kazakhstan, le Japon, le Viêt Nam et le Mexique. Les banques centrales du groupe Visegard (République tchèque, Hongrie, Pologne et Slovaquie) ont également acheté de l’or.
Ce qui est curieux, c’est que les investisseurs individuels aux États-Unis semblent toujours indifférents à l’or en tant qu’actif monétaire. En théorie, les banques centrales sont les mieux placées pour connaître l’état réel du système monétaire mondial. Si les banques centrales achètent tout l’or qu’elles peuvent avec des devises fortes (dollars ou euros), on ne voit pas très bien ce qu’attendent les investisseurs particuliers.
Bien sûr, les avoirs des banques centrales ne représentent qu’environ 17,5% du total de l’or disponible, et la demande est bien plus importante de la part des investisseurs pour les lingots, et les bijoux (qui représentent une forme de richesse à porter sur soi). Il n’en reste pas moins que les banques centrales sont sans doute les acteurs les mieux informés du marché et que l’augmentation régulière de leurs avoirs en or est significative.
Les taux d’intérêt jouent également un rôle de soutien. La plupart des mouvements directionnels du prix de l’or au cours des trois dernières années ont été liés à l’évolution des taux d’intérêt. La corrélation n’est pas parfaite, mais elle est forte.
La hausse du prix de l’or à la fin de 2020 était liée à une baisse des taux d’intérêt sur les bons du Trésor américain à 10 ans, qui sont passés de 1,930% le 19 décembre 2019 à 0,508% le 31 juillet 2020.
De même, la chute du prix de l’or après février 2021 était liée à une augmentation des taux d’intérêt sur les bons du Trésor à 10 ans, qui sont passés de 1,039% le 2 janvier 2021 à 3,130% le 2 mai 2022. Les taux sont aujourd’hui de 3,44%.
Mais je pense que les taux d’intérêt sur les bons du Trésor à 10 ans baisseront à nouveau, et continueront à baisser à mesure que la croissance mondiale s’affaiblira. C’est une bonne nouvelle pour les investisseurs qui détiennent de l’or. Les taux à court terme ont augmenté en raison de la politique de la Fed, mais les taux à long terme vont baisser, car les investisseurs pensent que la Fed va provoquer une récession. Il y a donc une corrélation avec la hausse des prix de l’or.
Alors que les conditions de l’offre et de la demande sur le marché sont favorables à l’or, et que l’environnement général des taux d’intérêt est également favorable à l’or, ni l’un ni l’autre n’ont semblé avoir le pouvoir nécessaire pour pousser l’or durablement au-delà de 2 000 dollars.
Quel est le problème ?
Le véritable vent contraire pour l’or et la principale raison pour laquelle l’or a eu du mal à s’imposer au cours des trois dernières années est la force du dollar.
Après tout, le prix de l’or en dollars n’est que l’inverse de la force du dollar. Un dollar faible signifie un prix de l’or plus élevé. Un dollar plus fort signifie un prix de l’or plus bas.
Il peut sembler paradoxal d’imaginer que le dollar puisse garder sa force avec le taux d’inflation actuel. C’est pourtant le cas.
Ce qui est extraordinaire, ce n’est pas qu’au cours des trois dernières années, l’or n’ait pas grimpé en flèche ; c’est qu’il ait résisté à la persistance d’un dollar fort. Cela nous amène à la question suivante : qu’est-ce qui explique la force du dollar et qu’est-ce qui pourrait l’affaiblir soudainement et faire grimper les prix de l’or ?
La vigueur du dollar s’explique par la demande de garanties libellées en dollars, principalement des bons du Trésor américain, nécessaires pour soutenir l’effet de levier dans les bilans des banques et les positions dans les produits dérivés des fonds spéculatifs.
Ces garanties de haute qualité se sont raréfiées. Alors que les banques se démènent pour obtenir des garanties rares, elles ont besoin de dollars pour payer les bons du Trésor. Cela alimente la demande de dollars.
La ruée vers les garanties s’explique également par les craintes d’une crise bancaire à la suite de l’effondrement de SVB, d’une croissance économique plus faible, de craintes de défaillance, d’une diminution de la solvabilité des emprunteurs et de la peur d’une crise mondiale des liquidités. Nous n’en sommes pas encore là, mais nous nous en approchons, et aucun répit n’est en vue.
Lorsque la faible croissance se transformera en récession mondiale, une nouvelle panique financière se profilera à l’horizon. À ce moment-là, le dollar lui-même pourrait cesser d’être une valeur refuge, surtout si l’on considère le recours agressif aux sanctions par les États-Unis et le désir de grandes économies telles que la Chine, la Russie, la Turquie et l’Inde d’éviter, si possible, d’alimenter le système du dollar américain.
Lorsque la panique éclatera et que le dollar ne sera plus considéré comme fiable, le monde se tournera vers l’or.
On peut comprendre la frustration engendrée par l’évolution du prix de l’or. Mais derrière le rideau, une nouvelle crise de liquidité se prépare.
Les investisseurs devraient considérer les prix actuels comme un cadeau et peut-être une dernière chance d’acquérir de l’or à ces prix avant que ne commence la véritable course aux valeurs refuges.
Même au-dessus de 2 000 dollars, l’or est si bon marché qu’il s’agit d’une opportunité à ne pas manquer.