▪ Nous n’en croyons pas nos yeux ! CNBC nous proposait jeudi soir cette accroche en tête de sa page d’accueil : « la Fed mène une bataille perdue d’avance ». Ce titre accrocheur était accompagné de divers articles d’opinion comme « pourquoi le QE3 de la Fed ne servira à rien », « qu’est-ce qui se cache derrière la chute du pétrole ? », « comment éviter la déflation ? », « la valorisation d’Apple ne pose t-elle pas problème ? », etc.
A croire que les journalistes de CNBC, satisfaits d’avoir accompli leur devoir consistant à encenser les banques centrales pour leur pseudo-contribution à la croissance, se remettaient à faire leur métier — c’est-à-dire se livrer à une analyse critique de la situation économique et dénoncer les faux remèdes apportés aux difficultés du moment.
Ils n’osent pas encore insinuer que les banquiers centraux n’agissent que dans le but d’enrichir leurs obligés de Wall Street (et leurs plus riches clients privés). Mais ce n’est pas un hasard s’ils mettent en parallèle le dernier classement Forbes qui révèle que les 400 ultra-riches ont multiplié leur patrimoine par 20 en 30 ans et que leur fortune s’est accrue de 13 à 15% rien qu’au cours des 12 derniers mois.
Regardez quelles politiques monétaires ont été poursuivies depuis 1982 aux Etats-Unis et surtout quelle fiscalité a été appliquée au capital depuis 1980 puis aux dividendes depuis 2002.
▪ La Fed et Wall Street creusent des tranchées
Quel que soit le prisme par lequel on aborde la question, force est de constater que Wall Street et la Fed ont permis aux plus malins de creuser un écart abyssal de niveau de vie par rapport aux classes moyennes dont le pouvoir d’achat serait, selon certains calculs, retombé sous ses niveaux de 1995.
Alors la Fed a-t-elle le pouvoir de faire grimper encore plus les actions au détriment de l’activité économique réelle, ce qui revient à enrichir encore davantage les ultra-riches et paupériser les 80% de la population qui ne détiennent que 20% des actions en circulation (dont la moitié des effectifs n’en possède aucune) ?
Les salariés n’ont aucun espoir de voir leurs revenus progresser dans un contexte de chômage de masse et d’éviction du marché du travail de ceux qui ont perdu leur mobilité, faute de pouvoir revendre leur maison sans encourir un risque de faillite personnelle immédiate.
Il ne vous a pas échappé qu’un déluge de promesses impossibles à tenir, d’argent qui n’ira pas là où l’économie en a besoin, a fait bondir Wall Street de 15% en trois mois. Et c’est aujourd’hui vendredi que les actionnaires viennent chercher leur chèque, car c’est la journée des « Quatre sorcières ».
Pas question de reperdre un seul des ces dollars gagnés en dormant tandis que la Fed huilait les rouages de sa planche à billets. C’est pourquoi depuis vendredi dernier, Wall Street ne fait plus rien !
▪ Pour Tokyo, c’est comme si le QE3 n’avait jamais existé
Tokyo non plus d’ailleurs. En effet, il n’aura fallu que 24 heures à la Bourse de Tokyo pour revenir à la case départ, au lendemain même du QE annoncé par la Banque centrale du Japon et dont nous vous avions rendu compte hier.
Le yen n’avait mis que huit heures à retrouver (dès mercredi après-midi) ses niveaux d’avant l’annonce de la Bank of Japan. C’est à notre connaissance un record historique d’inefficacité pour une initiative monétaire d’une telle ampleur (l’injection de l’équivalent de 100 milliards d’euros).
▪ Wall Street est congelé
Il y a de quoi être troublé, mais Wall Street n’a pas bronché jeudi soir… Scores figés, non : congelés !
Il apparaît évident depuis une semaine qu’il est impossible aux indices américains d’amorcer ne serait-ce que l’ébauche d’une consolidation. Cela s’est confirmé pour la cinquième fois consécutive en cinq séances avec le si classique petit coup de pouce des cinq dernières minutes qui permet au Dow Jones d’afficher 0,15%.
Une progression symbolique qui ne reflète en rien le profil des échanges au cours des heures précédentes, puisque la lourdeur a dominé durant 90% de la séance.
Un tel scénario ne doit rien au hasard. Il reflète une ferme volonté de maintenir Wall Street près des sommets (et le Dow Jones vers 13 600 points) à l’approche de la journée cruciale des « Quatre sorcières ».
Les acheteurs sont les maîtres absolus du jeu boursier et de la tendance depuis la mi-août. Ils ont acheté des contrats à terme, vendu des put et toute une panoplie de dérivés destinés à la couverture des risques de repli, notamment des options sur la volatilité. Cette dernière a été consciencieusement laminée depuis le 25 juillet dernier, jusqu’à égaler les planchers historiques de l’automne 2007 — autour de 14 sur le VIX, l’indice du stress associé au S&P.
Pas question donc de voir s’envoler une partie des gains du mois écoulé à la veille de l’échéance. Les fluctuations des indices américains sont complètement entravées par une véritable camisole algorithmique.
Résultat : Wall Street n’a pas perdu un pouce de terrain depuis lundi alors que le CAC 40 lâche près de 1,8% et l’Euro-Stoxx 50 1,7% cette semaine.
▪ Encore de mauvais chiffres pour les Etats-Unis
Les opérateurs peuvent difficilement invoquer de bons chiffres américains pour justifier un tel écart. L’indice flash PMI (manufacturier) aux Etats-Unis est ressorti inchangé à 51,5 mais la moyenne des PMI des trois derniers mois écoulées est la plus faible depuis le troisième trimestre 2009.
Le score hebdomadaire du chômage ne traduit pas non plus de véritable amélioration, à 382 000 contre 375 000 attendus — après une dégradation liée aux perturbations climatiques du début de mois dans le sud du pays.
L’indice Philly Fed s’est effectivement redressé au mois de septembre mais sans parvenir à repasser en territoire positif. Ces chiffres présentent comme principale vertu d’être moins pires qu’en Europe.
Car par chez nous, l’austérité étouffe l’activité économique de façon aussi implacable qu’un boa affamé enroulé autour d’un rat musqué. L’indice PMI flash composite Markit de l’activité globale dans l’Eurozone s’est replié de 46,3 en août à 45,9 en septembre. Il s’agit de la douzième contraction mensuelle cours des 13 derniers mois.
En France, le PMI chute de 46 vers 42,6. C’est le pire score depuis juin 2009 et le plus fort repli de l’activité dans le secteur privé depuis 41 mois.
▪ Les permabulls sont aveugles
Mais les incorrigibles optimistes qui viennent marteler qu’il ne faut pas regarder dans le rétroviseur et faire aveuglément confiance aux banques centrales feraient bien de se montrer un peu moins arrogants. Ils affirment que l’Europe leur importe finalement assez peu car les gisements de croissance se situent plus que jamais dans les émergents d’Asie du sud-est et d’Amérique du Sud.
Ils n’ont manifestement pas été impressionnés par ce qui se passe au Brésil où les prévisions de PIB ont été abaissées en six mois de 3,8% à 2% — une des plus fortes décélérations des 30 dernières années.
Le déficit commercial de l’Inde (toujours dopée selon eux par les exportations) ne les alarme pas non plus. Ils affichaient jeudi la même sérénité face au PMI manufacturier chinois d’HSBC qui stagne vers 47,8 au mois de septembre (contre 47,6 au mois d’août) et reste en dessous du seuil technique des 50 pour le onzième mois consécutif. Tant que la Chine reste au-dessus des 7% de PIB, tout baigne !
De toute façon, rien de fâcheux ne saurait arriver puisque les banques centrales sont à la manoeuvre et qu’il est inutile et absurde de parier contre elles puisqu’elles sont pratiquement infaillibles.
Il ne leur vient pas une seconde à l’esprit que les banques centrales mènent un combat tout aussi absurde et inutile contre les cycles économique et que c’est une bataille perdue d’avance.
Nous avions parié que la BCE et la Fed se trompaient (et nous mentaient effrontément) au sujet de l’éclatement de la bulle de la dette en 2007 et 2008. Nous avons en effet souffert jusqu’à ce que la réalité rattrape les marchés et désintègre comme nous l’avions prédit le système financier.
Ce que nous n’avions pas osé envisager, c’est que la BCE et la Fed décideraient de voler au secours des coupables de la catastrophe en épongeant leurs mauvaises dettes privées avec encore davantage de dettes… mais publiques cette fois !
Maintenant qu’ils sont au bord de la ruine, les Etats n’ont plus d’autre recours que de prier les banques centrales d’imprimer toujours plus d’argent. Cela n’a jamais résolu le problème et nous sommes certain que cela se terminera par une nouvelle catastrophe.
Mais comme lorsque la bulle de savon sort de l’anneau et s’envole, on ne sait jamais à quel moment une particule flottant dans l’air ou un obstacle la feront éclater ; on sait seulement que c’est inéluctable.