La Chronique Agora

Un petit tour dans le Nouveau sud

▪ « Que Dieu vous bénisse… que Dieu vous bénisse… »

Nous prenions notre petit-déjeuner sur la Route 5, entre Jackson et Memphis. Un vieil homme venait d’entrer, appuyé sur une canne. Il annonça à voix haute que c’était son anniversaire.

« Eh bien, joyeux anniversaire », a dit l’une des serveuses noires derrière le comptoir.

« Hein ? » a-t-il demandé.

« J’ai dit joyeux anniversaire », a-t-elle répété.

« Je n’entends plus très bien ».

Puis les deux femmes derrière le comptoir et le seul autre client, un gros homme blanc, ont commencé à chanter « Joyeux anniversaire ». Nous nous sommes joints au choeur. Mais quand le refrain familier s’est tu, l’homme ne s’est pas arrêté.

« Que Dieu vous bénisse », a-t-il continué, sur le même air.

C’est le Mississippi rural. On y fait plus souvent le signe de la croix qu’on y lève le coude. Il y a autant d’églises que de bars. Voire plus.

C’est le Nouveau sud. Le vieux sud était raciste, arriéré et l’alcool y était prohibé. Le Nouveau Sud est tourné vers l’avenir, progressiste et ouvert aux suggestions.

▪ Prospérité et architecture
Nous pouvons en tout cas confirmer le côté prospère. Partout où l’on regarde, il y a de nouvelles voitures sur de nouvelles routes allant à de nouveaux centres commerciaux et achetant de nouvelles choses. Tout du moins dans les 70km carrés entourant la nouvelle usine Nissan de Canton. Le bâtiment blanc est gigantesque. Il occupe des kilomètres carrés. Il a ce qui semble être des milliers de voitures dans son parking… et des milliers d’autres en stock, attendant d’être expédiées.

Nissan était une aubaine pour cette partie du Mississippi. C’était autrefois l’état le plus pauvre de l’union ; c’est peut-être encore le cas. Mais partout autour de l’usine Nissan, de nouveaux projets immobiliers se développent.

Nous avions critiqué La Jolla pour son manque de style distinctif, d’une architecture vernaculaire qui unifie la ville et y imprime une marque. Mais dans la région Jackson/Vicksburg, l’architecture est pire encore. Autrefois, le style était gracieux et élégant — il s’agissait en majeure partie de maisons de bois blanc avec des porches généreux. Le genre d’endroit qu’on voit dans les livres d’images ; le genre de demeures que les Yankees ont réduites en cendres. On les voit encore dans les vieux quartiers. Elles peuvent être très travaillées ou très simples. Des porches devant. Des porches derrière. Des porches au rez-de-chaussée. Des porches au premier étage… des porches ronds, des porches carrés, toutes sortes de porches. Et sur ces porches, on peut encore boire un mint julep ou de la limonade en profitant des longues soirées du sud.

C’est bien dommage, mais les habitants du cru ont totalement rejeté les porches. D’abord, ces derniers sont devenus de plus en plus petits à mesure que le style « ranch californien » envahissait la région dans les années 60, 70 et 80. A présent, le nouveau style Normandie se développe plus rapidement que de la mauvaise herbe. Quasiment toutes les maisons construites ces cinq dernières années ont tendance à adopter ce genre d’architecture étrangère, avec d’épais murs de brique, des petites fenêtres et des toits pentus. Il n’y a pas de porches, un péché contre-nature dans cette partie du monde.

« Je me demande ce que font les gens dans ces maisons », a demandé Elizabeth. « Je suppose qu’ils ne peuvent que fermer la porte et allumer la climatisation, se coupant de l’endroit où ils vivent ».

Alors que cette partie du Nouveau sud semble prospère, certaines zones sont en retard. A Canton et à Vicksurg… et dans la campagne environnante… il y a toujours des abris dignes des Raisins de la Colère. Des hommes y traînent, assis sur des chaises démolies dans des cours parsemées d’appareils rouillés et des voitures en panne. Le vendredi soir, des camionnettes défoncées se dirigent vers le magasin de spiritueux.

Quant aux villes — Canton aussi bien que Vicksburg — semblent avoir été abandonnées. Canton est un très bel endroit ; sa grand-place a servi de décor pour une bonne partie du film O Brother, des frères Coen. Bien entendu, l’endroit est agréable principalement parce qu’on n’y a pas touché. Les bâtiments qui entourent la place sont quasiment identiques à ce qu’ils étaient il y a 50 ou 100 ans. Mais la ville est morte.

« C’est très calme », avons-nous dit à la jolie jeune femme de l’office du tourisme.

« Eh bien, il est encore tôt. Il y a plus d’animation en journée ».

Elle nous faisait l’article — son travail consiste à vendre l’endroit aux touristes. Plus tard, nous avons retraversé le centre-ville. C’était aussi mort que le matin. La plupart des places de parking étaient vides. La plupart des bâtiments autour de la place étaient à louer ou à vendre. Le Nouveau sud semble avoir oublié Canton.

Il a aussi oublié Vicksburg… et tout ce qui s’y est passé. En dépit d’une bataille sanglante où sont morts 19 000 soldats et civils, la ville a hissé le drapeau de ses conquérants à quasiment tous les lampadaires. Et bien qu’elle n’ait jamais été libérée de la poigne nordiste, elle ne semble pas lui en tenir rancune.

A suivre…

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