La Chronique Agora

Nouriel Roubini, la Fed et l’assouplissement quantitatif

▪ Après le festival de contrepieds et de coups tordus de lundi, nous espérions encore plus de chaos et de poussière, de confusion et d’effarement… et peut-être même le surgissement de la quintessence de l’inconcevable : une baisse des indices américains un mardi (le Dow Jones a effectivement lâché 0,5%) !

C’est raté en ce qui concerne le repli des places européennes. Pire… la journée du 4 juin a été d’une platitude de grande plaine de Middle West.

Paris a clôturé de justesse en territoire positif (+0,13%) après avoir affiché plus de 1% en tout début de matinée. Une ouverture au plus haut, une clôture au plus bas, ce n’est pas très bon signe tout ça… Cependant, avec moins de 1,9 milliards d’euros échangés à 17h29 et 2,21 milliards en clôture, oubliez le scénario d’un retour en force des vendeurs.

Il n’y avait tout simplement personne pour soutenir les cours — c’est pourquoi ils ont baissé — mais personne non plus pour les enfoncer. Le spectacle était aussi passionnant que la contemplation d’une pelouse de football quand tous les joueurs sont rentrés au vestiaire.

▪ Le déficit n’est pas assez profond
La seule animation a été apportée par la publication de la balance commerciale américaine… Oh, juste de quoi vous rapporter une anecdote qui vous fera sourire durant trois secondes.

Le déficit s’est creusé de 8,5%, à 40,3 milliards de dollars… mais figurez-vous que cela n’a pas été jugé suffisant. Il aurait fallu un chiffre bien plus négatif (mettons cinq milliards de dollars de déficit supplémentaire) qui aurait été jugé révélateur d’une accélération de la croissance aux Etats-Unis.

Après neuf mois de QE3, le marché guette toujours en vain des signes de surcroît de demande interne, le premier moteur de l’économie américaine.

Il risque d’attendre encore longtemps, si nous en croyons les commentaires d’un grand gérant obligataire, Jeffrey Gundlach, aussi écouté que Bill Gross, le patron de PIMCO.

M. Gundlach, PDG de la société d’investissement Double Line, a fait cette révélation stupéfiante : la Fed rachète des bons du Trésor pour renflouer le budget fédéral. Cependant, après l’épisode de tension que nous venons de connaître en juin, il voit les T-Bonds bénéficier d’un rebond technique et leur rémunération refluer sous les 2%.

Là également, les marchés sont priés de se montrer patients car le 10 ans semble beaucoup se plaire dans la zone des 2,15%. C’est à tel point que cela a été le score de clôture de ce mardi, aucun arbitrage au détriment des actions ne venant éroder le rendement depuis une bonne semaine.

▪ Une chance pour les actions ?
Rassurez-vous : David Kostin, stratège en chef de Goldman Sachs, a écrit jeudi dernier que le repli du marché obligataire était une chance pour les actions, alors que la réciproque ne serait pas vraie… En effet, vous l’avez compris, du point de vue de GS, n’importe quelle évolution négative des taux, des dividendes, de la croissance au sein des pays développés ou dans les émergents constitue une chance pour les actions !

A part la chute d’une météorite sur la tête de Ben Bernanke (hypothèse aussi improbable qu’un éclair de lucidité concernant l’appauvrissement de 90% de la population engendré par le QE3), nous ne voyons pas ce qui pourrait stopper la hausse de Wall Street.

Achetez, achetez, achetez des actions !

Les gérants de Goldman Sachs doivent en avoir des tombereaux à dégager de leurs portefeuilles… A moins qu’ils n’aient réalisé des achats massifs sur des dérivés de volatilité — un pari déjà largement gagnant avec un VIX repassé de 11,05 à 17, soit +50%.
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S’ils envisagent sereinement un repli des T-Bonds, c’est qu’ils ont déjà parié sur leur chute un mois auparavant. Ils écrivaient alors que l’anticipation d’une réduction du QE3 était prématurée et que la Fed préparerait soigneusement le terrain de façon à éviter une réédition — même atténuée — du scénario de 1994 (une brusque remontée des taux étant jugée par ailleurs inenvisageable).

Et bang ! +50 points de base dans la musette en trois semaines.

▪ Mister Doom s’est-il transformé en Bisounours ?
Un simple accident de parcours selon Nouriel Roubini, surnommé « Mister Doom » (Monsieur Ruine). Il pronostique deux ans d’assouplissement quantitatif supplémentaires à pleine vapeur — tant que le chômage n’aura pas rejoint la cible des 6,5% — et s’attend à ce que les actions reprennent leur hausse.

Nous ne savons plus quoi penser !

Nouriel Roubini envisage-t-il sérieusement que les entreprises américaines et les statisticiens laisseront le chômage se rapprocher des 6,5% au risque de provoquer l’arrêt des injections de drogue monétaire de la Fed… alors qu’il existe un réservoir de sept millions d’exclus des listes de chômeurs « officiels » en âge et en capacité de travailler (cela représente trois ans de créations d’emplois au rythme actuel).

Pense-t-il que le Dow Jones est en route pour les 20 000 (ou le S&P 500 pour les 2 000) alors que les multinationales vont éprouver les plus grandes difficultés à maintenir leur chiffre d’affaires et de leurs dividendes en 2013 ?

En d’autres termes, Mister Doom s’est-il transformé en Super-Bisounours — comme pour illustrer une version drolatique de Dr Jekyll et Mister Hyde ? Imaginez la tête des lecteurs de la version originale si « Monsieur Bien-comme-il-faut » avait pris le dessus sur le séducteur amoral doublé d’un chercheur cynique et sans scrupule.

Ce serait devenu un conte moral, avec le triomphe du bien sur le mal… mais pas de happy-end à la clé. Car à Wall Street, le gentil mouton bien-pensant et altruiste ne survit pas beaucoup plus de 48 heures dans ce milieu hostile — sauf si un « protecteur » plein d’humour décide d’en faire la mascotte du mois !

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