La Chronique Agora

Nostra culpa

▪ Reconnaissez vos erreurs, nous apostrophe un lecteur, A.F. — que je remercie sincèrement d’avoir pris le temps de nous écrire… et de nous lire.

« Je vous lis depuis longtemps au travers de la Chronique Agora et cette fois j’ai décidé de prendre ma plume », nous écrit donc A.F. « Soyez humble et honnête avec vous-même et avec vos lecteurs ».

« […] Depuis deux ou trois ans, vous avez tout faux car vous argumentez toujours dans le même sens, en faisant du catastrophisme gratuit. Vous êtes vendeur des actions et même quand le CAC 40 valait moins de 3 000, vous recommandiez de vendre et avez donc complètement loupé le rebond jusqu’à 4 000 ».

Je m’insurge, M. le Juge, une telle accusation est inexacte : nous avons tout faux depuis bientôt treize ans, non pas deux ou trois. Depuis les débuts de La Chronique Agora, Bill Bonner recommande de « vendre les actions et acheter de l’or ». C’était sa Transaction de la Décennie dans les années 2000… et sa position n’a guère évolué depuis.

▪ « S’agissant de l’or, vous faisiez acheter vos lecteurs quand l’once valait 1 800 $ pour viser 2 000, voire 3 000 $ et 5 000 $ à moyen terme », continue A.F. « Aujourd’hui je pense que l’or va chuter sous les 1 000 $. Je peux me tromper mais sachez reconnaître que depuis plusieurs mois, vous êtes à côté de la plaque s’agissant de l’or ».

Là aussi, je vais me permettre d’apporter une petite rectification : nous faisons acheter nos lecteurs depuis que l’once est aux environs des 300 $. Et nous n’avons pas arrêté de le recommander depuis, effectivement.

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Je me permets également de citer un autre lecteur, J-Y. M., qui nous écrivait il y a quelques jours que « c’est quand même pénible de lire chaque jour dans presse que ceux qui ont de l’or ont perdu leur chemise ?! M’enfin si on a acheté son or et son CAC 40 il y a quatre ans par exemple, on est encore gagnant sur l’or et toujours perdant sur le CAC 40 !!! »

Plus sérieusement, je crois qu’il y a un petit malentendu entre A.F. et les rédacteurs de la Chronique ; nous ne sommes pas là pour donner des recommandations sur l’évolution du CAC 40 (ni même de l’or) d’ici la semaine prochaine, vous conseiller de vous placer sur X, Y ou Z — cela, c’est le rôle de services comme Vos Finances, Mes Valeurs de Croissance etc.

A la Chronique Agora, ce que nous essayons de faire, c’est regarder « l’ensemble du tableau », comme le dit souvent Bill Bonner : élargir le cadre, comprendre les enjeux en profondeur… pour vous donner ensuite notre opinion (j’insiste sur ce terme) sur ce qui pourrait se passer — ou plutôt ce qui devrait se passer au regard des éléments d’information que nous avons en notre possession.

Et si vous relisez nos écrits passés, vous verrez que nous savons employer le conditionnel, le « si nous avons raison », le « nous pouvons nous tromper » et autres « si tout se passe comme nous le pensons ».

Oui, les actions ont grimpé, et oui, l’or a subi un gros revers. Pour autant, au vu du contexte actuel, nous ne trouvons pas les actions plus rassurantes en tant qu’investissement, pas plus que nous ne considérons que l’or soit fini et enterré. Devons-nous retourner notre veste ?

▪ « On voit bien aussi que les QE ne sont pas inflationnistes car nous ne sommes plus dans les années 30, car avec la mondialisation, le taux de chômage élevé et des salaires bridés, le risque inflationniste est très faible aujourd’hui. Les Allemands ont eu du mal à le comprendre en refusant pendant longtemps que la BCE rachète les dettes de façon illimitée car ils avaient justement cette phobie de l’inflation des années 30. Mais c’est pourtant quand la BCE a annoncé qu’elle pourrait racheter toutes les dettes si besoin était que les choses ont changé et que le risque systémique s’est atténué ».

Pourquoi pas ? C’est un point de vue comme un autre… et s’il y a bien une chose que ces dernières années ont démontré, c’est que les banques centrales sont prêtes à toutes les manoeuvres ou à peu près. Peut-être que cette fois-ci, elles réussiront leur coup.

Mais nous ne sommes pas de cet avis.

Faut-il vous infliger une fois encore ce que vous lisez à longueur de Chronique ? Les mesures des banques centrales — quantitative easing et autres — ne servent à rien. Rien du tout. L’économie réelle est toujours dans un bourbier complet. L’Allemagne s’enfonce, la Chine ralentit, les Etats-Unis luttent, et la France… n’en parlons pas. Les autorités ne savent pas ce qu’elles font, littéralement.

Je fais appel à Simone Wapler, dont les explications dans le prochain numéro de La Stratégie de Simone Wapler apportent un éclairage intéressant :

« Ce que nous voyons à l’oeuvre », dit-elle, « c’est une dépression à l’échelle quasiment mondiale. Une dépression signifie nécessairement une destruction d’argent : des mauvaises dettes ne seront pas remboursées. Pour lutter contre cette dépression la voie de la création monétaire a été choisie. Nous sommes dans une expérimentation sans précédents par son échelle et sa généralisation ».

« Manuel Barroso, président de la Commission européenne en octobre 2011, au moment de la faillite grecque acte II : ‘nous sommes entrés dans un territoire inconnu et nous sommes en train de discuter de solutions qui n’ont jamais été testées auparavant’. Un papier de la Banque des règlements internationaux de septembre 2011 s’intitule Les Banques centrales post crise – Quelle boussole pour des eaux inconnues ? En septembre 2012, le président de la Fed de Dallas reconnaît ‘s’enfoncer toujours plus profondément dans ces eaux inconnues’. Le 4 avril 2013, un papier de la HSBC reprend à nouveau cette expression d’eaux inconnues à propos de la décision de la Banque du Japon d’imprimer jusqu’à faire naître l’inflation ».

Nous sommes dans des régions inexplorées de l’expérimentation monétaire… et chaque jour qui passe amène un nouveau coup de boutoir dans la confiance des citoyens envers les autorités, envers « le système ». Faut-il vous rappeler sur quoi repose une devise fiduciaire ?

Tout juste : la confiance.

Ce n’est qu’une opinion, cher lecteur : à vous d’en faire ce que vous voulez… mais nous persistons et signons : l’inflation est bel et bien possible — et l’hyperinflation pourrait n’être pas loin derrière.

▪ « […] Encore une fois arrêtez ce catastrophisme gratuit », demande A.F. « Arrêtez de nous rabâcher que vous étiez les seuls à avoir prédit la crise des subprime et des dettes souveraines. Car à force de prévoir une crise, elle finit bien par arriver un jour et vous finissez alors par avoir raison après avoir été à contre-courant du marché jusqu’à ce qu’il se retourne. Les marchés connaissant des cycles haussiers et baissiers plus ou moins longs, celui qui est toujours dans le même sens finit bien par avoir raison un jour et on le remarque alors davantage si sa position est toujours à l’opposé du consensus de base ».

Gratuit, le catastrophisme ? Vous avez lu les titres des journaux ces derniers temps ? Entre la crise grecque, le cas chypriote, les 27% de chômage en Espagne, le record historique dudit chômage en France et Mme Lagarde « désespérément optimiste », nous n’avons pas exactement l’impression qu’il soit gratuit. Si j’ajoute à cela la Syrie, la Corée du Nord, les attentats à Boston et ainsi de suite, je dirais même que nous sommes au-dessous de la réalité.

Par ailleurs, nous n’avons jamais prétendu être les seuls à avoir prédit la crise des subprime et des dettes souveraines ; nous avons simplement été parmi les premiers à en parler, sans reculer devant la possibilité de scénarios extrêmes. Car oui, les crises finissent par arriver un jour. Et quand c’est le cas, ne vaut-il pas mieux avoir eu une petite idée de ce qui pourrait se passer… même bien en avance et même si les choses se révèlent finalement « moins grave que prévu » ?

En ce qui me concerne, je suis toute prête à reconnaître mes erreurs. Mais je vous avoue bien honnêtement, A.F., que je n’ai pas l’impression d’en avoir commise une sur l’or. Même à 1 300 $, même sous les 1 000 $, je continue d’y croire.

Le jour où, sans dommages, nous serons revenus à 2% de croissance annuelle du PIB français, où les déficits de la Zone euro (et des Etats-Unis, tant qu’on y est) auront retrouvé les niveaux exigés par Maastricht, où la masse monétaire japonaise aura retrouvé un niveau « ordinaire », où le chômage en France sera repassé sous les 7% (vous voyez, je reste réaliste — je ne parle même pas du plein emploi), alors là, oui, je reconnaîtrai mon erreur.

Et vous savez quoi ? Je serai heureuse, vraiment, de m’être trompée.

Meilleures salutations,

Françoise Garteiser
La Chronique Agora

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