La Chronique Agora

Le mythe de l’énergie gratuite

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L’énergie gratuite et illimitée n’existe pas plus que l’argent gratuit et illimité. L’hydrogène blanc promu récemment dans les médias n’est pas différent.

L’engouement médiatique de ces dernières semaines pour l’hydrogène blanc prend des proportions inédites.

Tout est parti de la société cotée Française de l’Energie (FDE), qui a annoncé au printemps avoir identifié un gisement de gaz dans le bassin lorrain. Dans un roadshow médiatique parfaitement orchestré, l’entreprise a pu relayer cette information dans la presse économique d’abord, puis dans les médias généralistes.

Passage sur BFMTV et France Info, puis dans les colonnes des Echos et de La Croix : FDE a profité d’une visibilité sans précédent pour relayer sa découverte. La nouvelle s’est progressivement diffusée et même les émissions de divertissement, comme C à vous, s’emparent désormais de la thématique.

Pourquoi un tel engouement autour de ce qui aurait pu rester un sujet technique réservé aux spécialistes de l’énergie ? Parce que l’hydrogène blanc permet de rêver à un avenir dans lequel l’énergie serait abondante, facile d’accès, propre… et gratuite. Alors que les journalistes parlent déjà de « révolution » (La Tribune), et « d’Eldorado énergétique » (France 5), les lecteurs et spectateurs peuvent y voir une alternative à la transition énergétique imposée par les pouvoirs publics et une réponse à l’épuisement des ressources fossiles.

Déjà, certains investisseurs s’interrogent sur la pertinence de financer les énergies nouvelles alors que nous disposerions d’une énergie idéale sous nos pieds.

Si séduisant qu’il soit pour les réponses qu’il apporte au climat anxiogène ambiant, ce tableau reste de l’ordre du fantasme. L’énergie ne sera jamais gratuite comme l’air que nous respirons. Elle aura toujours un coût pour les consommateurs – et nécessitera une activité industrielle qui mobilisera talents et capitaux.

Comme l’argent gratuit, l’énergie gratuite est un mythe. L’hydrogène blanc ne changera pas cet état de fait, malgré des caractéristiques intéressantes.

Une énergie idéale… sur le papier

L’hydrogène blanc est du gaz (dihydrogène) issu de forages souterrains.

Contrairement à l’hydrogène gris, issu du reformage du gaz naturel, il ne contient pas de carbone et n’émet pas de CO2 lors de son cycle de vie.

Contrairement à l’hydrogène vert, qui nécessite d’importantes quantité d’électricité pour être produit (près de trois fois l’énergie finale disponible), il est extrait du sous-sol : il s’agit donc bien d’une source d’énergie et non d’un vecteur.

Et contrairement au gaz naturel, au charbon, et au pétrole, les gisements souterrains qui le contiennent se régénèreraient en quelques dizaines d’années, en faisant une ressource renouvelable à l’échelle de nos civilisations.

Dans leurs estimations, les scientifiques qui ont découvert le gisement lorrain font en outre état de stocks potentiellement colossaux, représentant sur le seul bassin exploré assez de gaz pour alimenter la planète entière durant des mois.

La cerise sur le gâteau est que l’hydrogène blanc, qui a déjà été exploité avec succès dans un village du Mali, serait bien réparti sur la planète. Finies les guerres énergétiques et les compromissions géopolitiques : chaque pays et chaque région pourrait obtenir l’indépendance énergétique avec quelques trous dans le sol.

Dans le discours médiatique, nous aurions enfin une solution à tous nos problèmes énergétiques. C’est oublier que cette partition nous avait déjà été jouée il y a quelques années avec une autre source d’énergie, aussi présentée à l’époque comme idéale.

Le précédent du gaz naturel

Si l’Europe – Allemagne en tête – s’est tournée vers le gaz naturel au début du siècle, ce n’était pas par désir de vassalisation envers la Russie ou par masochisme, mais parce que cette énergie fossile était présentée comme l’énergie du futur.

Bien plus disponible que l’or noir, bien moins émetteur de CO2 que le charbon, peu polluant lors de son utilisation, transportable par pipelines et même par méthaniers, relativement facile à stocker : le gaz naturel cochait toutes les cases pour être une énergie de transition qui nous permettrait de convertir à notre rythme notre mix énergétique des fossiles vers les renouvelables.

La guerre en Ukraine nous a prouvé que rien n’est aussi simple.

Si les caractéristiques intrinsèques du gaz naturel n’ont pas été remises en question, son coût économique s’est montré bien plus volatil qu’attendu. Il est toujours aussi propre, toujours aussi abondant sur la planète… mais cela ne nous a pas empêché d’en manquer l’an dernier pour de « simples » questions logistiques. Entre le forage et le consommateur final, la chaîne de valeur est longue, complexe, et fragile.

Il en sera de même pour l’hydrogène blanc.

Selon les modèles les plus optimistes de la Française de l’Energie, il faudrait forer à 3 000 mètres sous terre pour trouver de l’hydrogène pur à 90%. Passons sur le fait qu’il s’agit là de simples estimations qui n’ont pas été validées, et qui conditionnent non seulement la pureté du gaz du gisement, mais aussi la taille des stocks disponibles : forer à trois kilomètres sous terre n’est pas une activité anodine.

L’hydrogène blanc sera donc, au mieux, aussi coûteux que les énergies fossiles actuelles.

Nos énergies sont déjà gratuites

C’est un fait trop souvent ignoré lorsque l’on parle de transition énergétique : les énergies que nous utilisons sont déjà « gratuites ». Pourtant, les consommateurs les payent – et fort cher.  L’an passé, la facture énergétique de la France a plus que doublé, dépassant les 115 Mds€ contre moins de 45 Mds€ en 2021.

Où va donc cet argent ?

Lorsque nous brûlons du gaz, du charbon, ou du pétrole, nous ne rémunérons pas la planète pour les MWh qu’elle nous offre. Le coût de l’énergie n’est autre que le coût des capitaux et de l’effort humain nécessaires pour extraire, mettre en forme, stocker, acheminer et délivrer l’énergie vers le consommateur final.

C’est pour cette raison que, contrairement à ce que nombre d’écologistes affirment pour apporter un vernis économique à leurs idéologies, la transition énergétique ne permettra pas d’avoir de l’énergie gratuite sous prétexte que le soleil et le vent ne sont pas facturés. Elle permet uniquement de s’affranchir des contraintes d’épuisement des gisements d’hydrocarbures ; un avantage indéniable, mais bien différent.

A ce titre, l’hydrogène blanc ne changera pas la donne. A l’instar du gaz naturel qui sort lui aussi du sol et qui nécessite des infrastructures similaires, il nécessitera de coûteux investissements et un savoir-faire qui ne pourra être assuré que par des industriels chevronnés.

Ne vous attendez donc pas à un futur énergétique où les MWh coulent à flot sans émissions de CO2, et où quelques start-ups auront poussé Big Oil à la faillite en ayant découvert un gaz miracle.

Si l’hydrogène blanc prend une part significative de notre mix énergétique, attendez-vous plutôt à ce qu’il vous soit fourni – et facturé – part des majors comme TotalEnergies et BP. Au niveau macro-économique, l’équation restera inchangée : s’approvisionner en énergie aura toujours un coût important, et les agents économiques seront toujours en compétition pour l’obtenir.

L’énergie gratuite et illimitée n’existe pas plus que l’argent gratuit et illimité. C’est tant mieux, car c’est cette rareté qui oblige l’humanité à en faire un usage toujours plus efficace et optimisé… en d’autres termes, à progresser.

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