La monnaie a changé de forme au fil du temps, en fonction de ce à quoi elle était rattachée. Nous voyons désormais ce qu’il se passe quand elle n’est rattachée à rien.
Je suis bien obligé de sacrifier à la pensée dominante, sinon personne ne me comprend. Donc je commence par une affirmation que tout le monde comprend, mais que je sais fausse : tous les actifs financiers sont surévalués.
Sauf que les actifs financiers mondiaux ne sont pas surévalués. C’est une erreur d’optique. C’est une façon de tomber dans le fétiche du cours boursier comme s’il était un en-soi, une métrique.
Le cours de Bourse d’une action ou de l’indice boursier n’est pas une métrique, c’est un échange. Vous échangez une unité de S&P 500 contre un certain nombre de dollars.
Mais vous ne pensez pas, quand vous dites que le S&P 500 est à 4 683 points, que ce que vous exprimez, c’est un échange. Pas du tout : vous pensez que c’est un absolu. Il ne vous vient pas à l’esprit que c’est une valeur relative.
Des milliers de Mds$ en réserve
Acheter un actif financier, c’est par exemple échanger un dépôt bancaire ou une réserve bancaire auprès de la Fed contre un titre boursier. A votre avis, est-ce que l’échange est le même selon que la masse de dépôts bancaires ou la masse de réserves auprès de la Fed est de 1 000 Mds$, ou de 2 000, 3 000 ou 5 000 Mds$ ?
Bien sûr que non. La rareté relative est totalement différente selon la taille du bilan de la Fed et selon la masse de dépôts bancaires, c’est-à-dire de la quantité de monnaie dans les banques.
Si vous avez une masse considérable de monnaie en dépôts dans les banques – monnaie qui ne rapporte rien –, ou si vous avez une masse colossale de réserves oisives auprès de la banque centrale, vous êtes tentés de convertir une partie de cette monnaie en actifs financiers.
Surtout si une loterie est branchée sur les actifs financiers, et que l’on tire des gagnants chaque jour. Vous aussi vous voulez participer à la loterie. Donc vous convertissez votre monnaie oisive en « monnaie-actifs financiers-billets de loterie » et vous faites monter les prix des actifs financiers en Bourse. Leur valeur intrinsèque ne change pas, mais leur prix grimpe.
L’univers de la finance est un imaginaire dont on vous fait croire qu’il est articulé à la réalité pour pouvoir mieux vous arnaquer, c’est-à-dire pour pouvoir mieux surévaluer toutes les bestioles financières.
Dans les temps anciens, la monnaie n’était pas flottante, désancrée. Elle représentait quelque chose, une vraie richesse. On ne pouvait pas en créer autant que l’on voulait. Elle avait un fil à la patte, une pesanteur, c’est-à-dire qu’elle était collée au réel et le reflétait.
Quand la monnaie est devenue dette
Quand on a coupé le lien entre la monnaie et l’or, puis son lien avec le travail et les marchandises, on a libéré la monnaie. On lui a permis de s’envoler et de se déconnecter de la production des richesses réelles. On l’a libérée du poids de la valeur des choses.
La monnaie a cessé de refléter la valeur actuelle des choses, puis elle a été rattachée à la valeur future des choses. C’est-à-dire que l’on a pris de l’avance, on a anticipé, puis, comme cela ne suffisait pas, la monnaie n’a plus été rattachée qu’à l’espoir de création de richesses futures.
Puis, comme cela ne suffisait pas encore, elle a été rattachée à la volonté des apprentis sorciers de créer un jour des richesses futures. Puis, maintenant, on a fait le tour : la monnaie ne reflète plus rien d’autre que le besoin d’en créer sans cesse plus. Toujours plus, pour maintenir sa valeur fictive !
La monnaie ne sert qu’à se maintenir en vie elle-même. Elle ne sert plus qu’à maintenir la fiction de la valeur de la monnaie, c’est-à-dire la valeur des dettes qui ont servi à… créer de la monnaie.
C’est la dialectique de la monnaie de crédit et de dette : in fine, elle se mange la queue. Elle n’est plus créée que pour faire tenir le système qui lui a donné naissance. Elle n’est plus mise en circulation que pour faire tenir l’échafaudage de dettes qui lui ont permis d’être mise au monde.
A partir du moment ou un actif financier constitue un échange de titre contre de la monnaie, la caractéristique fondamentale de la monnaie, sa frivolité bullaire, se transmet aux actifs financiers. L’un est un avatar de l’autre. Un actif financier devient simplement une quasi-monnaie, une monnaie qui rapporte un peu. Et si la monnaie flotte, libérée dans les airs, alors les prix des actifs financiers exprimés en monnaie flottent également.
Si vous avez compris cela, vous avez compris plus que n’importe quel membre du gouvernement et que n’importe quel gouverneur de banque centrale.