Dans un monde normal où l’inflation est forte et le chômage faible, une banque centrale devrait pouvoir agir pour limiter l’inflation. Les possibilités dans le monde de la Fed sont en revanche bien différentes.
Comme nous l’avons vu hier, trois possibilités existent pour un retour à la normale du ratio de capitalisation boursière sur le PIB. Soit une chute des Bourses, soit une hausse des revenus mondiaux par l’inflation, soit, au sein des PIB, une considérable hausse des bénéfices des entreprises.
En somme, pour éviter l’effondrement des Bourses, il n’y a pas d’autre possibilité logique que de faire le rattrapage.
Les cash-flows comme les prix des biens et services futurs étaient contenus en germe dans la hausse des cours de Bourse, puisque ceux-ci n’étaient que des anticipations.
Une promesse incontournable
Les américains ont depuis Greenspan une expression pour désigner cette nature anticipative des cours de Bourse : ils disent que le futur est « embedded » (incorporé, incrusté) dans les cours actuels.
Si les autorités avaient compris dès le début qu’un cours de Bourse ou une capitalisation boursière sont des promesses incontournables de richesses nominales futures, elles auraient peut-être réfléchi à deux fois avant de s’engager dans cette voie.
On en revient toujours au même problème de fond : les soi-disant savants, économistes, autorités et autres clowns qui se prétendent gourous ne comprennent pas le système dans lequel nous vivons.
Ils ne comprennent pas comment fonctionne le système capitaliste, ils n’ont pas compris que la Bourse en se développant produisait une exacerbation des contradictions endogènes du système.
La mise en avant du marché boursier, qui est la conséquence de la financiarisation, produit ses propres limites. La Bourse exacerbe les contradictions entre les besoins de profit d’une part et l’accumulation du capital d’autre part, surtout si cette accumulation est en grande partie fictive.
Le choix est entre Charybde et Scylla : soit s’opposer à la hausse des prix des biens et services et crever la bulle financière, soit maintenir la bulle financière et accélérer le rattrapage entre le prix des actifs et celui des marchandises.
Bien entendu, je suis dans la logique pure à laquelle on ne peut échapper avec le temps, mais on peut toujours tricher, repousser, habiller, mentir, etc. Mais, sur le fond, tout ce que l’on fera s’analysera comme s’inscrivant dans le dilemme ici tracé.
Le germe prend racine
Tout était en germe. Et le germe est en train de prendre racine ; nous sommes dans la nécessité; la nécessité se manifeste par un jugement d’impossible, on ne peut lutter monétairement contre l’inflation des prix des biens et des services sans crever la bulle du prix des actifs financiers.
Soit on déflate la bulle, soit on inflate les PIB !
Revenons aux apparences maintenant, c’est-à-dire aux récits et autres romans.
La Fed est assise et surveille les problèmes de la chaîne d’approvisionnement, comme le reste d’entre nous.
Elle n’est certainement pas aujourd’hui en mesure de contrôler des prix mondiaux de l’énergie et des matières premières.
Elle ne contrôle ni les prix des entreprises ni les décisions salariales.
Les développements géopolitiques et ceux qui découlent du changement climatique sont également bien en dehors de la sphère d’influence de la Fed.
Après 5 100 Mds$ (et plus) de nouvel « argent » en 126 semaines, il est juste de conclure que la Réserve fédérale a perdu le contrôle de l’inflation.
Un contrôle en apparence
A ce stade, la Fed devrait resserrer considérablement sa politique monétaire – et infliger des souffrances – si elle était déterminée à extirper les pressions inflationnistes du système. Pourtant, elle n’ose pas adopter cette approche, car elle comporte un risque élevé de perdre quelque chose qu’ils visent désespérément à maintenir un semblant de contrôle : les marchés financiers.
Larry Summers, dans l’émission Wall Street Week avec David Westin, le 11 février dernier, soutenait :
« Il est tout simplement absurde que, dans une économie avec une inflation de 7,5%, dans une économie avec le marché du travail le plus tendu que nous ayons vu depuis deux générations, la banque centrale continue d’augmenter son bilan. »
Non ce n’est pas absurde, c’est normal, logique et incontournable.
La banque centrale a fait « tout ce qu’il fallait » pour créer un monde absurde dès le premier jour.
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]