La Chronique Agora

Un mois de novembre spectaculaire

Wall Street a été propulsé aux sommets… pour nous faire vivre un mois de novembre comme il n’en survient que tous les 43 ans !

Quelle que soit la tournure des événements à Wall Street ce jeudi, avec la publication des chiffres de l’inflation aux Etats-Unis, ce mois de novembre restera dans les annales. Ce sera un mois qu’un investisseur ne vit qu’une fois dans sa carrière (meilleur mois de novembre depuis 43 ans), ou deux fois si vous êtes Charlie Munger, le binôme de Warren Buffett, décédé à 99 ans ce mercredi.

Le suspense aura duré jusqu’à la dernière minute mercredi soir pour le S&P 500, qui restait en course pour inscrire une 18ème séance de hausse sur une série de 22, mais qui a raté la marche dans les dernières secondes, finissant en repli de 0,09%… avant d’effacer la petite poignée de points perdus quelques minutes après la clôture (mais trop tard, donc). Toutefois, 17 séances positives sur 22, cela reste un ratio supérieur à 75%, ce qui est exceptionnel, quel que soit le mois de l’année considéré.

D’autant plus que ce rally (+14% pour le Nasdaq et un retour au sommet au-delà des 16 000 points pour le Nasdaq 100) ne s’amorce pas dans un contexte de forte survente des indices boursiers (correction supérieure à -20%).

Il n’y a d’ailleurs aucun exemple comparable de retour aussi rapide sur des sommets historiques à quatre mois d’intervalle au XXIe siècle – absolument aucun –, ce qui rend difficile l’exercice consistant à trouver une explication basée sur des expériences précédentes. De plus, il sera difficile d’attribuer ce rally à un alignement exceptionnel des planètes qui, contrairement aux économistes, n’avait pas échappé à la sagacité des acheteurs dès le 26 octobre dernier.

Pour faire simple, les Etats-Unis n’ont jamais été aussi endettés de leur Histoire, et les ménages, qui usent et abusent du crédit à la consommation, non plus. Les taux n’ont jamais été aussi élevés depuis 23 ans, et jamais les indices américains n’ont gagné ne serait-ce que 10% en quelques semaines lorsque la croissance s’apprêtait à se contracter à un horizon de 3 à 6 mois.

Selon l’OCDE, le PIB américain pourrait chuter de 5,2% (révisé de +4,9%) à 1,5% au cours des 12 prochains mois.

L’OCDE, citant le poids de la dette américaine, vient d’abaisser fortement ses prévisions pour 2024, de 2,4% à 1,5%. Même en retenant la meilleure hypothèse de 2,4% de croissance, le parcours de Wall Street en novembre reste inimaginable : il repose uniquement sur l’anticipation d’une baisse de 100 points des taux au second semestre 2024.

Mais ceux qui tiennent pour quasiment acquis ce scénario oublient qu’un tel assouplissement, démarrant à quelques mois des élections présidentielles, serait interprété comme un énorme coup de pouce de la Fed au candidat démocrate complètement sénile, ou à son successeur, en donnant, dans un premier temps, un coup de fouet à l’investissement et au marché du travail (un excellent argument électoral) et en allégeant le coût de la dette (un « bol de punch » pour Wall Street).

Mais, dans un second temps, après les élections, la mécanique inflationniste repartirait de plus belle et la Fed devrait de nouveau resserrer le loyer de l’argent, ou alors laisser le dollar s’effondrer, ce qui achèverait de ruiner sa crédibilité.

Et nous avons du mal à ne pas faire un parallèle entre un marché qui achète aujourd’hui une hypothèse très incertaine d’ici six mois et des consommateurs qui achètent aujourd’hui des produits grâce à un crédit qu’ils ne commenceront à rembourser – s’ils le peuvent – qu’au cours des six prochains mois (« buy now, pay later« ).

C’est exactement comme cela que fonctionne l’économie américaine depuis deux décennies : acheter sa croissance à crédit et rembourser avec un nouveau crédit l’année suivante. Mais si l’Etat a le privilège de pouvoir rouler sa dette indéfiniment, le particulier doit respecter la date d’échéance de son crédit, même différée, et il ne peut pas rembourser son créancier en photocopiant les quelques billets de 20 dollars qu’il lui reste.

Jamie Dimon, le patron du plus gros prêteur d’argent aux Etats-Unis, JPMorgan Chase, avertit que les consommateurs américains sont « sous héroïne » de crédit et que cela risque de mal finir. Les optimistes lui rétorquent que les marchés sont parfaitement au courant et qu’ils misent justement sur l’amélioration du sort des emprunteurs en 2024 grâce à une baisse des taux qu’ils considèrent comme certaine.

Pour résumer, les Américains soutiennent l’économie en achetant des tas de choses avec de l’argent qu’ils n’ont pas, et de ce fait, les investisseurs achètent des tas de choses en bourse en pariant sur quelque chose qui ne se produira peut-être pas.

C’est sûr, ça va bien se passer, ce truc…

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