Nous réagissons aujourd’hui en fonction d’un futur que nous croyons connaître tout en refusant d’accepter que les mêmes actions produisent les mêmes effets.
Un jeune homme est arrivé au volant d’une voiture, hier. Tête rasée. Boucle d’oreille. Belle voiture. L’air triste.
« Monsieur Bonner ? »
Après les présentations d’usage, il est entré dans le vif du sujet.
« Damien [notre jardinier] m’a dit que vous cherchiez des poules. J’en ai une dizaine dont je vous voudrais me débarrasser. »
« Pourquoi voulez-vous vous en débarrasser ? »
« Ma petite-amie me trompait. Vous savez ce que c’est. Alors je l’ai mise dehors. Vous savez ce que c’est. A présent, je me débarrasse de ses poules ».
« Vous savez ce que c’est. Je ne veux plus m’occuper de ses animaux ».
Nous avons accepté d’acheter ses poules, ce qui porte notre effectif à 16… et nous permettra de récupérer quelques oeufs tous les jours.
Plus tard, nous avons dit à Elizabeth : « il n’arrêtait pas de dire ‘vous savez ce que c’est’. Il parlait de sa petite-amie qui l’avait quitté. Mais non, je ne sais pas ce que c’est. Et je ne veux pas le savoir… »
« Bien sûr que non, chéri… »
Des notices de mise en garde pour tout
Les petites-amies, les Je-Sais-Tout, et les candidats à des fonctions officielles devraient tous s’accompagner de notices de mise en garde. Comme pour les médicaments, les gens devraient savoir à quoi ils s’exposent.
Imaginez toute les souffrances qui auraient pu être évitées si Hitler avait rédigé la notice suivante :
« Je vais faire la guerre avec le reste de l’Europe. Ainsi, il se peut que nous consacrions la moitié de notre PIB, au moins, à la production d’armes et au soutien de l’armée ; les consommateurs auront peut-être du mal à trouver les produits de première nécessité.
« Et cela pourrait impliquer l’Allemagne dans une guerre sur deux fronts que nous ne gagnerons peut-être pas. Il se peut que des millions de personnes meurent, que nos villes soient détruites, et que notre pays soit occupé par des armées étrangères au cours des 40 prochaines années. »
« Bon, d’accord », auraient peut-être dit les électeurs… « Bien sûr, pourquoi pas ? »
Un Joseph Staline, futé et honnête, aurait pu prévenir, lui aussi :
« Nous allons organiser toute l’économie comme une armée. Les initiés, tels des généraux, contrôleront tout et auront accès à la meilleure nourriture, aux meilleurs logements, aux meilleurs postes, et ainsi de suite.
« Les gens ordinaires auront droit à des cellules… euh… je veux dire des maisons. Il n’y aura pas de chômage. Tout le monde aura du travail… beaucoup de travail.
« Les mécontents et les gens qui n’aiment pas ce système seront envoyés dans des camps spéciaux en Sibérie, pour y être détenus ou exterminés, c’est selon.
« Ensuite, nous nous appauvrirons peut-être davantage chaque année, au cours des 50 prochaines années… jusqu’à ce que nos enfants et petits-enfants soient enfin revenus à la raison. »
Là encore, les citoyens auraient eu une chance de lire soigneusement ce programme et de décider s’ils voulaient ou non avaler la pilule :
« Bien sûr… Ca a l’air pas mal… »
Un appel à la surprise
Bien entendu, personne ne peut prévoir l’avenir. Et qui sait ce qui va se passer ?
Mais il existe des propositions de base susceptibles de fournir une orientation. Si vous faites ce que d’autres ont fait avant vous, par exemple, vous obtiendrez probablement des résultats semblables.
Imaginez cette notice de mise en garde, émanant de feu le président du Venezuela, Hugo Chavez :
« Je vais mettre en place des programmes qui ont bien fonctionné en Russie et à Cuba. Vous savez, la nationalisation des principaux secteurs industriels. Le contrôle des prix. Les restrictions commerciales. Dépenser de l’argent que nous n’avons pas.
« Ensuite, lorsque les prix du pétrole chuteront et que l’on devra régler les factures, peut-être n’y aura-t-il plus de produits alimentaires dans les rayons. Il est possible que l’inflation flambe de plus de 1 000% et que la criminalité s’envole. Le gouvernement exercera peut-être une répression. Bref, ce genre de choses. »
Le simple fait d’être en vie est un appel à la surprise. Mais les petites-amies dont on partage la vie, de même que les politiques publiques, comportent des risques prévisibles… et des résultats qui le sont presque tout autant.
Le massacre n’est jamais une bonne idée. Pas plus que déclencher une guerre ou restreindre le commerce.
Des ornithologues plutôt que des gardiens de zoo
Le futur est notre thématique. Imprévisible. Plein de bévues. Néanmoins, nous savons deux choses à son égard.
Premièrement, « demain » affecte profondément « aujourd’hui ». Deuxièmement, ce lendemain ne sera peut-être pas si différent, après tout.
Comme nous l’avons expliqué hier, le futur projette son ombre en arrière, sur le présent. Nous anticipons ce qui va se produire. Et nous nous y adaptons. « Aujourd’hui » change selon ce que nous anticipons pour « demain ».
Voilà pourquoi les anciens économistes rejetaient l’activisme. Ils étaient à l’image de ces ornithologues amateurs, et non de gardiens de zoo.
C’est une chose, de garder l’oeil ouvert et de surveiller ce que font les gens. C’en est une autre de leur dire ce qu’ils doivent faire.
Une fois que vous commencez à vouloir contrôler le futur, vous faites partie de ce que vous tentez de comprendre.
Aujourd’hui, campé sur l’ombre qu’il projette lui-même et aussi peu éclairé que le fond d’un puits, voici Peter Navarro, adepte de l’activisme économique.
Auparavant, il a acquis une petite notoriété dans la région de San Diego, où après avoir échoué quatre fois à se faire élire à des fonctions officielles, on le considérait comme un irrémédiable tocard. Il est connu dans la communauté des économistes également, mais surtout en tant qu’hurluberlu.
Soudain, ce diplômé de Harvard est devenu célèbre sur le plan national. Il a été nommé directeur de quelque chose qui n’existait pas jusqu’à ce que « Le Donald » le créé : le Conseil au commerce de la Maison-Blanche (White House National Trade Council).
La National Association for Business Economics a sagement écouté l’un de ses discours. Et, en mars, le Wall Street Journal a publié un article signé de sa main.
Le WSJ nous a rendu service. Navarro y étale ses idées de base au grand jour…
Le voilà, encourageant le président à s’entêter dans ce qui n’a jamais fonctionné : bloquer les accords gagnant-gagnant en pratiquant des restrictions commerciales… augmenter les prix à la consommation (les consommateurs auront ainsi moins d’argent à dépenser)… contredire le principe de l’avantage comparatif… et appauvrir les Américains.
Voici ce qu’il écrit :
« En réduisant le déficit commercial grâce à des négociations rudes et intelligentes, on peut augmenter les exportations nettes et doper le taux de croissance économique. »
On se demande bien où est la notice de mise en garde…