La Chronique Agora

Mines d’or : baisse des coûts de production… et assainissement en vue

Claude Bejet

▪ La baisse des coûts de production des mines d’or signe une reprise possible. Les coûts de production de l’or ont été multipliés par quatre en 14 ans. Cette mauvaise gestion des mines aurifères a fait valser leurs PDG. La nouvelle rigueur qui est de mise pourra-t-elle redorer le blason de ce secteur? Une reprise de l’or physique fera-t-elle exploser les cours des mines à la hausse ?

▪ La folie des grandeurs des mines d’or de 2005 – 2011
L’euphorie qui a accompagné la hausse spectaculaire de l’or, de 250 $ en 1999 à 1 900 $ en 2011, semble être montée à la tête des présidents de mines. Ils ont fait de la croissance pour la croissance au détriment de la rentabilité. Les conséquences ont été catastrophiques à tous les niveaux : hausse de coûts de production, acquisitions trop onéreuses, sous-estimation de réglementations et d’impôts de plus en plus confiscatoires dans des pays producteurs exotiques.

Tout ceci a été exacerbé par un boom concomitant des matières premières peinant à satisfaire l’explosion de la demande chinoise. Toute une profession voulant en même temps engager du personnel qualifié, construire de nouvelles mines, consommer plus d’énergie… Conséquence : les prix ont grimpé.

▪ Des chauffeurs de camion à 70 000 euros par an
Dans la grande phase de hausse des prix et de la demande de matières premières (2005-2011), l’industrie des métaux de base mais aussi les groupes aurifères n’ont pas réussi à endiguer l’augmentation des coûts provenant essentiellement des salaires, de l’énergie et de la construction de grands projets miniers. Il faut dire que ces industries se heurtent à des quasi-monopoles ou à des oligopoles bien organisés capables d’augmenter sans cesse leurs prix (comme Caterpillar, leader mondial des engins de chantier).

Ces industries ont été incapables de résister aux gouvernements, aux environnementalistes, aux juristes et autres lobbies

Mais était-il normal de payer des conducteurs de camion parfois plus de 70 000 euros par an parce qu’ils travaillaient dans le secteur minier ? Ces industries ont été incapables de résister aux gouvernements, aux environnementalistes, aux juristes et autres lobbies imposant des réglementations absurdement tatillonnes et souvent inutilement contraignantes.

▪ Des acquisitions bêtement onéreuses
Rien de mieux pour l’ego des PDG, des banquiers et des avocats d’affaire que de se lancer dans des fusions et acquisitions toujours plus spectaculaires. Ainsi, Kinross achète 7,1 milliards de dollars les terrains de Red Back au Ghana. A l’époque son PDG, Tye Burt parle « d’opportunités transformationnelles ». La « transformation » ne tarde pas à apparaître sous la forme de pertes colossales au bilan !

▪ L’explosion des coûts de construction des nouvelles mines
Le projet Pascua Lama de Barrick au Chili devait coûter trois milliards de dollars ; quelques années plus tard il ne peut être envisagé que pour la modique somme de huit milliards de dollars. Les conséquences de ce gâchis ne tardent pas à se faire sentir via une cascade de provisions. A titre d’exemple, dès l’année 2012, Barrick annonce 8,7 milliards de provisions, et l’on parle pour l’ensemble de l’industrie de 30 milliards de pertes.

Avec la baisse de l’or, certaines réserves ne peuvent plus être exploitées rentablement. Les sociétés minières ont donc été obligées de revoir à la baisse, de manière conséquente, les estimations de leurs stocks d’or exploitables : Barrick (-26%), Kinross (-33%), Goldcorp (-15%)…

Est-il normal que l’excellente société Randgold puisse construire en République Démocratique du Congo une des plus grandes mines d’or du monde en quatre ans… alors qu’il en aurait fallu plus de 10 aux Etats-Unis ou au Canada, et qu’en France, l’exercice semble tout simplement impensable !

Non seulement leurs coûts de production n’ont cessé d’augmenter mais les sociétés aurifères se payaient des danseuses

Non seulement leurs coûts de production n’ont cessé d’augmenter mais les sociétés aurifères se payaient des danseuses, sans oublier les salaires pharaoniques que s’offraient le management. Les cash costs, qui oscillaient entre 200 $ et 300 $ entre 1980 et 2005, ont dépassé 700 $ dès 2012. +280% en sept ans, qui dit mieux ? Conséquence, dans les grands groupes (Barrick, Newmont, Newcrest…), de nombreux PDG ont été remplacés à partir de 2012.


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▪ Une bonne claque pour un peu de bon sens
Rien de tel qu’une baisse du prix de l’or pour ramener un peu de bon sens dans cette industrie ! Curieusement, la plupart des sociétés ne mentionnaient que leurs cash costs (coûts de production directement liés à l’exploitation au jour le jour). Les chiffres de 600 $, 700 $, 800 $ étaient mis en avant par les groupes.

Avec l’or à 1 300 $, cela laissait présager de belles marges pour les investisseurs. Pourtant, en fin d’année, peu de groupes aurifères montraient de beaux bénéfices sur leurs comptes d’exploitation. Cette définition de cash cost était en réalité trompeuse et peu représentative de la rentabilité réelle.

▪ Plus de transparence dans les coûts de production
Sous l’impulsion de quelques groupes aurifères comme Goldfields, Agnico Eagle… et du World Gold Council, le puissant syndicat des producteurs d’or, de nouvelles normes plus réalistes deviennent monnaie courante, avec néanmoins encore de petites différences dans les définitions d’une société à l’autre.

Le cash cost ne prenait en compte que l’énergie, les salaires, le processus de production… Le World Gold Council a effectué un travail de fond en introduisant deux nouvelles définitions plus représentatives qui sont en passe de devenir les normes de l’industrie.

Le all-in sustaining cost est une sorte de coût total de production permettant de faire tourner une mine à moyen terme. Au cash cost s’ajoutent les coûts de développement de la mine pour pouvoir accéder à de nouvelles réserves, les frais liés à la fermeture d’un site minier, les dépenses administratives de fonctionnements…

Le all-in cost : ici,au all-in sustaining cost, il convient d’ajouter les frais d’exploration pour trouver ou acquérir de nouveaux gisements et les coûts nécessaires à la construction de nouvelles mines. Terry Heymann, Directeur Général du département or du World Gold Council, un des principaux artisans de ces nouvelles normes, insiste :

« L’industrie minière est une activité de long terme. Pour chaque once extraite du sol, il faut trouver une nouvelle once sous terre pour que le groupe aurifère puisse continuer à produire à long terme. C’est pourquoi nous avons introduit le all in cost qui mesure beaucoup mieux la réalité des coûts de production sur la durée ».

▪ « La vérité sur les prix » ? Ne pas oublier les taxes
Afin de rester objectif, Alain Corbani, gestionnaire du Fonds Or pour Finance SA, recalcule lui-même le véritable coût total de production. Au all-in cost il rajoute un élément important : les taxes.

Terry Heymann chiffre aussi l’importance de celles-ci :

« Les groupes miniers qui sont membres du World Gold Council, ont déboursé 8,5 milliards de dollars en impôts et taxes diverses sur un total de dépenses de 55 milliards de dollars en 2012 ».

La baisse des coûts est enclenchée
Le gérant Alain Corbani nous révèle aussi ses chiffres, calculés chaque trimestre à partir d’un panel d’une quinzaine de sociétés aurifères :

« Les coûts totaux n’ont cessé de croître de quelque 300 $ en 2003 à 1 285 $ pour 2012 avec comme point culminant 1 325 $ au deuxième trimestre 2013. Depuis, les chiffres baissent, troisième trimestre 2013 : 1 175 $ et 1 150 $ pour le premier trimestre 2014. Ces chiffres ne tiennent pas compte des provisions et charges exceptionnelles ».

Cette baisse des coûts peut-elle se poursuivre sur les prochaines années ?

Cette baisse des coûts peut-elle se poursuivre sur les prochaines années ? Notre gestionnaire répond :

« Depuis leurs plus hauts, ils ont déjà baissé de 13%. Les coûts devraient se stabiliser, les mesures évidentes ont été prises, pour aller plus loin il faudrait fermer beaucoup de mines peu rentables. Ceci n’interviendra que si l’or baisse encore davantage ».

En incluant les charges exceptionnelles — comme le fait le World Gold Council dans ses all-in costs ou Dennis Boyko, qui publie une des meilleures bases de données destinée aux institutionnels mais bientôt disponible pour les particuliers — les chiffres sont plus alarmants et bien sûr plus irréguliers.

« Après cette série inhabituelle de provisions, le all-in cost devrait se stabiliser dans les 1 200 $ ou 1 300 $. Au prix actuel de l’or l’industrie pourra à peine assurer sa survie. Pour que l’industrie aurifère puisse durablement maintenir voire augmenter sa production actuelle, le prix du métal jaune devra monter durablement ».

Richard Lockwood, a longtemps géré CQS, un des fonds miniers parmi les plus renommé de Londres et il dirige à présent son propre fond : Praetorian Resources. Plus sévère, il assène :

« Les grands groupes aurifères comme probablement les autres géants miniers sont loin d’avoir une structure de coût raisonnable. Ce sont des bureaucraties qui n’évoluent que très lentement. C’est pourquoi les nouvelles sociétés aurifères plus petites et mieux gérées auront de bien meilleures performances que les grands groupes lorsque l’or repartira à la hausse ».

▪ Les mines d’or redeviennent attractives
Bien que les progrès soient lents, la cure d’austérité a rendu les groupes aurifères plus performants, plus soucieux de leur rentabilité, plus attentifs à l’intérêt à long terme de leurs actionnaires.

Historiquement, les sociétés aurifères ont toujours été beaucoup plus chères en termes de valorisations boursières que leurs homologues en métaux de base. Cette prime due à leur rareté devrait revenir à des niveaux plus élevés qu’actuellement.

Toute hausse de l’or aura donc un effet exponentiel sur les profits des sociétés aurifères et leurs cours de bourse. Aujourd’hui le meilleur véhicule pour spéculer sur la reprise de la relique barbare, ce n’est plus l’or physique, ce ne sont plus les ETF mais bien les mines d’or. Comme le disait Alain Corbani lors de l’excellente conférence Swiss Mining le 18 mars 2014 : « buy low buy now » (« achetez pas cher, achetez maintenant ») — une phrase qui fera date.
[NDLR : Comment vous repositionner sur les minières ? Lesquelles mettre en portefeuille ? Toutes les réponses ici…]

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