La Chronique Agora

Miami dévisse, Phoenix ne peut que descendre…

** Lorsque l’on ne peut plus compter que sur les mauvaises nouvelles pour espérer un rebond de Wall Street, c’est que le climat boursier est manifestement déréglé. Le rebond des indices américains (1,5% en moyenne à la mi-séance) a coïncidé avec la résurrection des espoirs de détente des taux de la Fed le 11 décembre prochain, consécutif à la publication de deux très mauvaises statistiques conjoncturelles mardi après-midi.

Les prix de l’immobilier (maisons et appartements confondus) chutent à une vitesse annuelle de 4,5%, ce qui n’avait jamais été observé depuis 17 ans. En 1990 — durant les préparatifs de la guerre du Golfe –, la décrue avoisinait les 2,5%. Et le krach obligataire de 1994 n’avait pas provoqué de trou d’air supérieur à 2% sur une période de quatre trimestres.

La bulle immobilière a commencé à se dégonfler en septembre 2005. Ce phénomène a coïncidé avec le passage de l’ouragan Katrina et la découverte que l’entourage du président et G.W. Bush lui-même se fichaient éperdument qu’une partie de la population — la plus pauvre du pays en l’occurrence — se retrouve exposée au péril des inondations et connaisse un chaos humanitaire comparable à ceux filmés dans les régions les plus déshéritées de la planète lorsque s’abat une catastrophe naturelle.

** L’ouragan Katrina n’a pas emporté que les digues de la Nouvelle-Orléans, il a également noyé les espoirs de hausse éternelle du foncier aux Etats-Unis. A l’époque, le prix des maisons progressait de 16,5% sur l’ensemble du territoire,sauf à la Nouvelle-Orléans ! Dans les comtés les plus huppés (en bordure d’océan ou du Golfe du Mexique) et les banlieues les plus recherchées des grandes métropoles de la côte Est, de la Floride ou de la Californie, les prix, eux, ont progressés de 30%.

La situation que nous découvrons cette année est sans précédent. Les prix ont reculé (de 4,9% en moyenne) dans la totalité des 20 principales villes du pays. Tout comme lors du trimestre précédent, les dix plus fortes baisses ont été enregistrées dans les zones les plus hype des Etats-Unis, celles qui avaient connu une envolée de 100% depuis 1998 ou 2001.

La Floride se retrouve particulièrement à l’honneur avec 11,1% à Tampa Bay et 10% à Miami, malgré les achats d’Européens amateurs de soleil et d’ambiance latino. Detroit, une ville sinistrée par les licenciements dans l’automobile, plonge de 9,6%. San Diego chute de 9,5% : les nababs de la Sillicon Valley commencent à compter leurs sous ! Las Vegas et Phoenix perdent 9% (faites vos jeux, rien ne va plus !). Los Angeles chute de 7% — la grève des scénaristes se combine avec le chômage technique des agents immobiliers : mais que font les stars ? Et Washington intègre le top ten des baisses avec un sévère 6,6%, reléguant San Francisco (4,6%) à la neuvième place et Minneapolis à la dixième avec une perte de 4,5% : les bords du Mississipi ne font plus recette depuis fin août 2005…

** Pendant que nombre d’agents immobiliers américains se mettent en quête d’une nouvelle carrière — liquidateur d’entreprises du BTP, chargé du recouvrement contentieux dans les banques, fonctionnaire de mairie, arbitre de base-ball, créateur d’un site de vente aux enchères pour les plus entreprenants –, la confiance des consommateurs plongeait de huit points au mois de novembre, de 95,2 vers 87,3, le plus fort repli depuis septembre 2005. Encore une statistique post-Katrina…

Parmi les motifs invoqués par les milliers de ménages sondés, la perte de pouvoir d’achat — flambée des produits pétroliers oblige — et le sentiment d’appauvrissement viennent en premier, la crainte de rencontrer des difficultés pour retrouver un emploi vient en second.

Cette peur n’a rien d’un fantasme : le secteur bancaire pourrait avoir détruit plus de 150 000 emplois d’ici la fin de l’année, ce qui ne l’empêchera pas de distribuer 40 milliards de dollars de bonus à ceux qui sont déjà les moins précaires et les mieux payés. Quant au BTP (tous corps de métiers impliqués dans la construction des maisons et de terrassement), il serait à environ 200 000 destructions d’emplois, voire plus ! Nous attendons avec curiosité de connaître l’évolution des effectifs dans le real estate

** En Europe, les chiffres publiés ce mardi étaient assez contradictoires. Si le moral des industriels allemands s’est légèrement redressé en novembre — l’indice IFO du climat des affaires vient de ressortir en hausse à 104,2 contre 103,9 en octobre –, en France, l’immobilier a traversé un sérieux passage à vide au troisième trimestre.

Les ventes de logements neufs ont chuté de 10,5% de juillet à septembre (par rapport à la période correspondante de 2006) et les stocks d’invendus se montent à 94 000, soit plus de dix mois de réserve, ce qui ne s’était pas vu depuis dix ans.

Nous soupçonnons beaucoup de programmes de type Loi Robien de ne plus trouver preneur alors que les prix sont presque systématiquement gonflés et le crédit plus cher. Les déductions fiscales d’intérêts d’emprunts votées par le Parlement font concurrence aux avantages liés au locatif.

Nous assistons peut-être aux premiers signes précurseurs d’une inversion de cycle et à la confirmation d’une corrélation historique assez étroite entre le marché immobilier américain et hexagonal, lesquels ont progressé de manière assez comparable ces dix dernières années.

Mais la situation aux Etats-Unis est autrement plus explosive qu’en France, compte tenu du niveau d’endettement des ménages et du gonflement de la masse monétaire.

De façon assez paradoxale, le dollar reprenait 0,5% mardi soir, alors que le croisement des statistiques évoquées dans les chapitres précédents aurait pu aboutir à une hausse de l’euro au-delà des 1,49 $.

** Le rebond du billet vert dans le sillage de Wall Street (achats mécaniques) explique largement la remontée du marché parisien. Ce dernier a terminé sur une consolidation relativement anodine de 0,45% (tout comme Francfort) après avoir flirté par deux fois avec la zone dangereuse des 5 380 points (soit un recul de 1,35%) en fin de matinée, puis en milieu d’après-midi. Les chartistes, les gérants, les traders savent tous à quel danger l’indice CAC 40 s’expose en enfonçant les 5 400 points. Idem pour le S&P 500 qui ricoche à la hausse sur 1 406 points tandis que le Dow Jones rebondit sur l’ex-zénith historique des 12 750 points.

Quelques rachats techniques associés à la mise en œuvre (bien de saison) d’opérations de window dressing peuvent apporter un répit haussier. Mais le sauvetage de Citigroup qui ouvre son capital à un fonds abu-dabien, via une augmentation de capital différée (trois ans), démontre à quel point certaines banques américaines sont dans le pétrin. Les 7,5 milliards de dollars d’obligations convertibles en actions souscrites par les investisseurs du Golfe seront rémunérées à 11% jusqu’en 2011.

Quel genre de risque mérite une prime aussi élevée ? A combien de consommateurs Citigroup compte t-il prêter de l’argent ? Consommateurs pour qui la fin de mois commence le 2…

** Wall Street ne s’est pas appensanti sur ce genre d’interrogations, tout à son bonheur d’apprendre que Barclay’s (+8% à New York mardi soir) confirmait ses objectifs initiaux en terme de bénéfices trimestriels et annuels — malgré les récentes dépréciations d’actifs et des rumeurs de provisions portant sur des montants colossaux.

Sans vouloir faire preuve d’un mauvais esprit un peu facile en ces temps de « prise de conscience » et même de « mise en abîme » de la crise du subprime, Barclay’s s’est implicitement engagé à ne pas annoncer de mauvaises nouvelles au marché d’ici le 31 décembre 2007… Ouf, nous voici tranquilles pour cinq semaines, 2008 est une autre année !

En ce qui concerne les intentions de la Fed en matière de taux, difficile de faire état de certitudes à 15 jours de la prochaine réunion de politique monétaire ; Wall Street se reprend pourtant à croire à un geste dès le 11 décembre prochains écrivions-nous en préambule. Charles Plosser (le gouverneur de la Fed de Philadelphie) met l’accent sur le renforcement des risques d’inflation induit par les récentes baisses du prime rate.

Mais Ben Bernanke et ses pairs devraient en effet se montrer sensibles aux risques systémiques engendrés par la crise du subprime ainsi qu’à la brusque rechute de l’indice de confiance des consommateurs du Conference Board : les présidentielles américaines, c’est dans un peu moins de 12 mois désormais… et les ténors du parti républicain ne tiennent pas à ce que l’investiture de G.W. Bush se solde également par un fiasco économique, après le désastre irakien et l’engloutissement de la Nouvelle-Orléans.

Philippe Béchade,
Paris

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