Par Emmanuel Gentilhomme (*)
De quoi parle-t-on ?
Rares, exotiques, critiques, stratégiques, mineurs, de spécialité : ces diverses appellations recouvrent les différents groupes de petits métaux. Encore faut-il convenablement les différencier des métaux classiques, comme :
– les métaux lourds, comme le mercure et le chrome, qui sont frappés par des mesures environnementales restrictives et dont l’usage décroît ;
– les métaux ferreux (minerai de fer, manganèse, nickel) qui entrent dans la composition des nombreux types d’aciers ;
– les métaux de base non ferreux du London Metal Exchange (LME) : aluminium, cuivre, zinc, plomb…
D’un point de vue économique, ces métaux traditionnels sont caractérisés par "des tendances de long terme auxquelles se superposent des évolutions cycliques de moyen terme", indique Christian Hocquard. La vigueur chinoise a sensiblement accru la demande de ces grands classiques en faisant passer sa progression "de 3 à 4% l’an vers 6 à 10%", précise-t-il.
Petits métaux et grandes singularités
Les métaux high tech et leurs noms curieux — lithium, cobalt, indium, gallium, germanium, tantale, titane, magnésium… — constituent un "système à part", selon notre spécialiste.
Les prix. Historiquement, ils passent de "longues périodes d’atonie des cours associées à une offre pléthorique"à "des crises induites par des hausses rapides [jusqu’à +20% par an pendant quelques années] de la demande face à des goulots d’étranglements dus à l’inélasticité de la production". Bref, puisque ces métaux sont rares, leurs prix sont sujets à des crises ponctuelles dès que la demande sature une offre restreinte.
La géographie de la demande. Autre singularité : alors que les métaux classiques revêtent actuellement un caractère stratégique pour les pays émergents grâce aux besoins de ces derniers en urbanisme, en infrastructures et en usines, les "petits métaux" sont essentiels pour les industries de pointe de l’ensemble Etats-Unis/Japon/Union européenne.
Les quantités. Si la production de métaux classiques se compte en millions de tonnes (Mt), celle de tous les petits métaux "ne dépasse pas 150 000 tonnes par an". Quelques exemples : la production annuelle de rhénium est de 50 tonnes, 60 000 tonnes pour le cobalt face aux 20 Mt du cuivre…
Pas de mines spécialisées. La plupart de ces petits métaux sont des sous-produits, c’est-à-dire qu’ils sont extraits de gisements d’où sortent d’autres minerais à titre principal. Par exemple, le gallium est présent dans la bauxite dont on tire l’alumine et, dans certaines mines de zinc, on peut aussi croiser de l’indium. Le cuivre compte le molybdène parmi ses sous-produits et le rhénium est un sous-produit de ce sous-produit !
En somme, pas de mines spécialisées pour les petits métaux. Cela pèse sur leurs prix d’autant que, techniquement, le raffinage des minerais, le recyclage et le traitement métallurgique des petits métaux est beaucoup plus compliqué que celui des grands : "le gallium en lui-même n’est pas bien cher", indique Christian Hocquard, "à la différence du procédé coûteux et complexe de fabrication de l’arséniure de gallium", un matériau semi-conducteur prisé par la téléphonie mobile, les satellites…
Enfin, leur nombre croît. Tous les métaux rares sont maintenant sollicités : "alors que dans les années 80, les petits métaux concernés par les nouveaux matériaux et les alliages de haute performance n’étaient qu’une dizaine, toute la constellation — qui compte une soixantaine de métaux différents — est aujourd’hui concernée", précise Christian Hocquard.
Pourquoi des crises de prix ?
On peut établir des prévisions de consommation de fer et d’aluminium en se basant sur les chiffres du passé. Impossible avec les petits métaux, qui passent de l’oubli aux feux de la rampe au gré d’innovations technologiques imprévisibles. D’où des hausses de demande brutales, puisque que la production est faible, les stocks inexistants et le marché opaque, "trusté" par quelques négociants spécialisés.
L’information disponible sur ces métaux est donc limitée. La preuve : aucune place de marché ne négocie des contrats à terme sur des petits métaux qui sont vendus de gré à gré. Christian Hocquard précise cependant que le LME projette de lancer des produits sur le molybdène et le cobalt, mais ce n’est pas encore fait…
Valeur contre qualité
Bref, tout oppose les grands métaux aux petits. Notamment leurs prix ! Les platinoïdes et l’or occupent les sept premières places des métaux les plus chers au monde. Selon le relevé du 28 janvier dernier, le kilo de rhodium — le numéro un — vaut presque 230 000 $. Un prix qui tombe — tout est relatif — à 12 000 $ pour le moins cher des sept, le palladium. La huitième place est occupée par le rhénium (près de 10 000 $ le kilo), suivi par le germanium (1 300 $) et le gallium (600 $).
Mais pour les petits métaux, "leur importance ne vient pas du chiffre d’affaires qu’ils représentent, mais de leurs enjeux stratégiques pour de nombreux domaines industriels".En résumé, peu importe le prix, pourvu qu’on ait la quantité. Pas étonnant que les investisseurs et autres hedge funds se montrent intéressés…
De l’intérêt du rhénium…
Christian Hocquard s’interroge sur le rhénium, qui vaut actuellement quelque 300 $ l’once, soit le tiers du prix de l’or, et dont la production annuelle est de l’ordre de la cinquantaine de tonnes. Exceptionnellement résistant à la chaleur et à la corrosion, ce métal argenté est extrait des résidus de molybdène — lui-même peu commun et concentré dans les mines de cuivre du Chili et au Kazakhstan. Le rhénium est principalement utilisé pour renforcer les superalliages aéronautiques. Et le spécialiste du BRGM de lancer : "le rhénium ne pourrait-il pas être considéré comme un métal précieux et remplacer un peu d’or dans les coffres de la Banque de France ? Cela constituerait un stock de métal stratégique relativement plus intelligent que l’or" puisque EADS et sa filiale Airbus font partie des fleurons européens…
Des bouche-trous bien pratiques
Christian Hocquard indique incidemment que dans les mines classiques, l’importance économique des sous-produits monte en puissance. En effet, la teneur en cuivre des nouveaux gisements chute à grande vitesse — "de 0,4 à 0,6% de cuivre contre plus de 1% il y a seulement quinze ans", précise-t-il. Et il constate que les mines de cuivre riches en sous-produits (platinoïdes, nickel, molybdène, zinc) sont celles dont les coûts d’extraction sont les moins élevés. Pour les nouvelles mines de cuivre, on ne peut plus vraiment parler de sous-produits : la présence de petits métaux devient financièrement capitale.
La suite dès demain…
Meilleures salutations,
Emmanuel Gentilhomme
Pour la Chronique Agora
(*) Emmanuel Gentilhomme est journaliste et rédacteur financier. Il a collaboré à plusieurs reprises avec le Journal des Finances et la Société Générale. Il suit de près les marchés boursiers européens et étrangers, mais s’intéresse également à la macroéconomie et à tous les domaines de l’investissement.
Source : L’Edito Matières Premières