La Chronique Agora

Mécanique newtonienne ou potion magique ?

** Depuis fin octobre, nous n’avons cessé de nous extasier sur le caractère presque miraculeux du niveau de valorisation des indices américains, revenus à 3% de leurs records annuels (Nasdaq) ou historiques (Dow Jones). Après le trou d’air des deux premiers tiers du mois de novembre, la situation semblait se normaliser. Par normaliser, nous entendons redevenir plus conforme aux perspectives induites par la crise du subprime, laquelle se chiffre déjà en centaines de milliards de pertes pour les intermédiaires financiers et les nombreuses entreprises ayant opté pour des placements monétaires dynamiques.

La presse économique n’a pas tardé à aller piocher dans nos chroniques quelques sombres scénarios préfigurant une année 2008 « de tous les dangers ». Mais comme la mécanique newtonienne continue de fonctionner (action/réaction), Wall Street n’a pas tardé à parier sur le fait que la Fed et Hank Paulson concoctaient une potion magique pour tirer le système du bain de goudron dans lequel il commençait à se débattre.

Et le principe du too big to fail (expliqué dans notre chronique de vendredi dernier) dicte la conduite de la Maison-Blanche, qui veut éviter qu’après le désastre diplomatique et militaire de l’après-11 septembre et le désastre humanitaire de l’après-Katrina, l’Amérique connaisse un désastre économique de l’après-bulle du crédit.

Comme nous le soupçonnions, le moyen choisi pour éponger les mauvaises dettes et contenir les dérives engendrées par les excès de liquidités va consister à créer encore plus de dettes — à la charge des collectivités locales américaines, c’est-à-dire des contribuables — et à déverser encore plus d’argent dans le système bancaire via un cycle de baisse de taux.

** C’est le genre de recette qui plaît à Wall Street et ce qui est bon pour le S&P 100 l’est également pour l’Eurotop 100 (0,65%vendredi dernier).

Les places européennes alignent donc une série gagnante de trois séances (pour un bilan hebdomadaire de 0,85%), après une entame de mois de décembre plutôt décevante.

Avec la hausse des cours, le concept de « rally de fin d’année » a commencé à refleurir dans certaines analyses. Et s’il faut tenir les cours jusqu’au 21 décembre — journée des Quatre Sorcières –, la baisse des taux anticipée mardi prochain aux Etats-Unis devrait largement y contribuer. Nous parions que la tournure des évènements ne tardera pas à dissiper cette illusion…

Cela fait 15 jours que des vents porteurs soufflent incontestablement depuis les Etats-Unis. Si les 2,7% de hausse de la dernière semaine du mois de novembre s’expliquaient par une succession d’interventions de membres de la Fed prônant une grande flexibilité — autre manière de signifier son intention d’assouplir autant que nécessaire sa politique monétaire –, les 1,2% gagnés par l’Euro Stoxx 50 et les 1,8% engrangés par Wall Street début décembre s’expliquent par la divulgation de mesures d’aide aux emprunteurs subprime, pressenties depuis mardi dernier et annoncées officiellement par G.W. Bush jeudi.

Les investisseurs sont persuadés que le gel (c’est-à-dire le maintien) de formules de remboursement de prêt très avantageuses durant cinq ans (au lieu de deux) vont considérablement réduire l’exposition des banques américaines à un risque systémique — de type « effet domino » — découlant de la crise du subprime.

Les dernières notes de Moody’s et de Goldman Sachs évoquaient de lourdes pertes liées au crédit immobilier, puis une chute de l’activité économique avec le ralentissement symétrique de la consommation en 2008. S’il s’agit de se rassurer à bon compte sur la santé de l’économie, Wall Street pourra invoquer les statistiques du marché du travail au mois de novembre. Les Etats-Unis auraient — le conditionnel s’impose en la matière, vues les spectaculaires « corrections » qui sont effectuées d’un mois sur l’autre — créé 94 000 emplois non-agricoles au mois de novembre.

C’est un chiffre supérieur au consensus qui tablait en moyenne sur 50 000 en début de semaine et 85 000 la veille de la parution de ces chiffres. Le taux de chômage est, comme prévu, resté stable à 4,7%.

** Ces bons chiffres éclipsaient l’annonce de statistiques moins favorables en Europe, avec un creusement du déficit commercial de la France à 3,637 milliards d’euros en octobre et une baisse de 0,3% de la production industrielle en Allemagne pour le même mois.

L’OCDE juge également que les prévisions de croissance du gouvernement français (2,2% à 2,5% en 2008) sont trop optimistes : notre PIB ne devrait progresser que de 1,8% à 1,9% l’an prochain.

Autre bémol, mais passé largement inaperçu vendredi soir, l’indice de confiance des consommateurs du Michigan en décembre est ressorti à 74,5 (contre 76,1 en novembre).

Tout ne va donc pas si bien que cela dans la machine économique américaine, et le plan Bush pour résoudre la crise du subprime doit surtout être apprécié pour ses vertus psychologiques. Ses effets réels et sa faisabilité sont une toute autre affaire sur laquelle Wall Street évite de s’étendre.

Le principal suspens concernant la seconde semaine de décembre qui s’ouvre aujourd’hui concerne l’ampleur du geste anticipé de la Fed. Une réduction de 0,25% à 4,25% serait jugée décevante, une baisse plus radicale de 50 points (après -25 points fin octobre) signalerait une situation d’urgence… hypothèse largement occultée depuis 10 jours.

Les économistes commencent en effet à réfléchir aux motivations de la Banque d’Angleterre qui a réduit son taux directeur de 25 points jeudi dernier. Cette dernière ne dissimule pas que la situation exige une poursuite du cycle d’assouplissement monétaire. L’exemple japonais au début des années 90 démontre que cette stratégie est totalement inefficace pour stopper un retournement conjoncturel dans l’immobilier. Il pourrait s’avérer dévastateur en Angleterre et en Espagne d’ici 2010…

Plus les taux baissent, plus les (rares) consommateurs solvables — et acheteurs potentiels de biens immobiliers — diffèrent leurs intentions d’achat. Mais c’est précisément le genre de mise en garde que les marchés ne veulent pas entendre ! Raison de plus pour se méfier…

Philippe Béchade,
Paris

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