La Chronique Agora

Les mauvaises nouvelles défilent dans l’Eurozone, mais les marchés ne s’en soucient guère

▪ Franchement, au vu de l’avalanche de mauvais chiffres publiés en Europe lundi matin, une hausse de 1% de l’Eurostoxx 50 (qui perdait encore 0,4% vers 16h) apparaissait aussi probable qu’une tempête de neige s’abattant sur les Champs-Elysées en plein défilé du 14 juillet.

Vous fallait-il une preuve supplémentaire que nos marchés financiers sont des tapis volants (ou des magic carpets comme on dit outre-Manche) et que les opérateurs non-initiés sont des muppets (NDLR : des pantins) que certains salariés de Goldman Sachs se targuent de faire danser au bout de leurs ficelles ?

Ne trouvant aucune explication qui tienne la route au moment de la clôture — les commentateurs ont tenté de nous faire croire qu’un ISM manufacturier en hausse d’un point au mois de mars aux Etats-Unis avait soudain restauré la confiance en Europe — nous sommes allé voir ce qui se racontait sur les forums boursiers où s’expriment les vrais génies qui gagnent à tous les coups.

▪ Les forums boursiers détiennent la vérité
Ce que nous avons glané comme commentaires « à chaud » nous apparaît totalement édifiant. Aucune explication concernant l’ascension de 50 points en ligne droite du CAC, mais des remarques qui résument parfaitement l’état d’esprit général.

Florilège : « les vendeurs se sont faits déchirer », « mort de rire : y’en a encore qui font de la Bourse en se fiant aux chiffres du jour », « c’est le nettoyage de printemps qui commence pour les bear [NDLR : les baissiers], « vu le contexte, tout le monde était archi-pessimiste à une heure de la clôture, ça n’a pas loupé, ‘ils’ ont retourné le marché comme une crêpe ».

Nous allons nous arrêter là. Tous ces posts pleins d’inspiration et d’humanité ne font que confirmer ce que nous ne cessons de mettre en lumière, semaine après semaine, mois après mois. Les marchés sont allègrement manipulés de façon à tondre les moutons (les opérateurs de bonne foi, les « achetez et conservez »).

Pour devenir un as du day trading, il faut avoir obtenu son diplôme avec mention très bien à l’école supérieure des coups tordus. Les meilleurs éléments y accèdent après avoir fait leurs classes dans la filière « suiveur de tendance systématique » avec option stop-loss.

▪ Des mouvements planifiés pour tondre l’investisseur lambda
Rien de bien nouveau, les marchés n’ont jamais réussi à ceux qui se laissent endormir par le consensus. Mais il y a tout de même une différence — et elle est de taille — depuis les années 1996/2000 et surtout 2006. Autant la plupart des contrepieds boursiers survenaient de façon aléatoire, mais presque prévisible lorsque les marchés abordaient des zones d’excès d’optimisme ou de pessimisme, autant les mouvements actuels sont parfaitement planifiés et orchestrés.

Inversement, les excès ne sont pas corrigés, mais délibérément poussés à leur paroxysme, de telle sorte que tous les repères économiques volent en éclats.

Lorsqu’une correction survient, il s’agit trois fois sur quatre d’une fausse piste ; la séance de ce lundi nous en apporte une nouvelle illustration.

Les gains initiaux du CAC 40, purement techniques et liés à des achats automatiques de début de trimestre, se sont rapidement évaporés. En revanche, les mauvais chiffres économiques et les nouvelles alarmantes concernant la Zone euro ont commencé à s’enchaîner sans le moindre temps mort.

▪ Des mauvaises nouvelles qui n’en finissent pas
Au menu de la matinée, montée du chômage au plus haut en 15 ans à 10,8% dans l’Eurozone (nette poussée en Italie)… chute de la production industrielle en France et en Allemagne (l’indice PMI final Markit recule de 1,3%)… effondrement des ventes automobiles de près du tiers pour les constructeurs tricolores au premier trimestre… craintes sur la solvabilité de l’Irlande (qui renégocie sa dette avec la BCE)… aggravation des tensions sur la dette du Portugal et de l’Espagne.

Une étude d’experts de Bruxelles circule depuis vendredi dernier au sein des plus hautes sphères européennes réunies à Copenhague. Elle attire l’attention des lecteurs sur le défaut de transparence de nombreuses banques — et chacun comprend que c’est l’Espagne qui est visée — concernant le montant réel des créances douteuses (ou irrécupérables) qu’elles portent dans leur bilan et qu’elles dissimulent grâce à des tours de passe-passe comptables et des opérations de camouflage illicites dans le hors bilan.

▪ Un pare-feu sinon rien
Mais tout le monde a bien compris que la BCE et Bruxelles continueront de fermer les yeux tant que les pare-feux n’auront pas été portés au-delà des 1 000 milliards d’euros préconisés par Paris, avec ou sans l’approbation tacite de l’Allemagne.

C’est seulement une fois le mur de liquidités consolidé par le FMI (à hauteur de 500 milliards d’euros supplémentaires) que la vérité sera prudemment admise, petite touche par petite touche — comme pour la Grèce qui jamais, souvenez-vous, ne devait bénéficier d’une restructuration de sa dette et encore moins faire défaut.

Vu les enjeux financiers et politiques, le mensonge officiel est une stratégie de communication pleinement assumée.

En ce qui concerne les indices boursiers, le mot d’ordre est qu’ils ne doivent pas baisser — tout du moins tant qu’on peut encore l’empêcher.

▪ Toutes les raisons sont bonnes pour grimper
Les médias sont donc priés de raconter n’importe quoi, pourvu que cela présente un caractère de crédibilité auprès de la majorité des actionnaires qui ne connaissent pas les détails. C’est la première séance du second trimestre, les marchés montent, rien de plus banal ni de plus logique.

Face à une déferlante de mauvaises nouvelles, les commentateurs montent en épingle le seul bon chiffre du jour publié à 16h aux Etats-Unis : l’ISM manufacturier prend un point à 53,4 tandis qu’en Europe, il chute de 1,3 mais peu importe.

Ils n’ont surtout pas relevé l’évident paradoxe constitué par des places européennes repassant de 0,5% à 1% en 90 minutes, alors que Wall Street, première (et seule) place à tirer un réel profit de la hausse de l’activité aux Etats-Unis ne remontait au cours du même intervalle que de 0,3 à 0,5% : cette hausse est donc deux fois moins importante que celle observée à Paris.

Le CAC 40 bondissait de -0,4 jusque vers 1,14% au final, mais il a fallu attendre 18h pour voir le Dow Jones gagner 0,5% et le Nasdaq 0,83%. Un score qui s’est littéralement figé durant les trois heures qui ont suivi.

Le renversement de situation en Europe est probablement lié à un facteur plus technique que conjoncturel. Les principaux indices de l’Eurozone affichaient un différentiel négatif de 5% en 15 jours par rapport à Wall Street, et l’actualité du jour conduisait logiquement à une radicalisation de cette contre-performance.

Cela devenait dangereux : il a été décidé d’y porter remède dans l’urgence, et tant pis si les paroles ne collent pas avec la musique ! C’est sans importance puisque de toute façon, le « Ben Bernanke Big Band » (le 4B) joue faux depuis 2006.

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