Si utiles qu’elles soient, les matières premières peuvent aussi être victimes du baiser de la mort pour les actifs tangibles : la surproduction.
Les matières premières sont, à long terme, l’un des moyens les plus efficaces de protéger un patrimoine contre l’érosion de la valeur de la monnaie. Les détenir directement, plutôt que d’investir dans les valeurs minières, permet même de s’affranchir de l’aléa de rentabilité et de solvabilité d’entreprises dont la transparence n’est pas toujours la première vertu.
Les particuliers le savent : posséder de l’or et de l’argent-métal fait partie des précautions séculaires « de bon père de famille ». La démocratisation des fonds proposant une exposition aux métaux précieux sous forme d’actifs-papier a même rendu cette diversification plus facile que jamais, rendant les transactions possibles en quelques clics – et ce sans avoir à se préoccuper de leur transport ou leur stockage.
Certains investisseurs vont plus loin et parient sur les métaux industriels qui peuvent se targuer d’avoir une utilité qui va au-delà du simple stockage de valeur. Nickel, cobalt et lithium ont récemment fait les gros titres de la presse du fait des besoins immenses de la transition énergétique. Même des métaux plus communs comme le cuivre ont connu une vague d’engouement en début d’année.
Mais cette performance indéniable à long terme ne doit pas faire oublier que la force des matières premières industrielles est aussi leur faiblesse. Contrairement à l’or qui est la monnaie internationale ultime, les matières premières industrielles ne sont pas utilisées comme réservoir de valeur.
Aussi, leur valeur obéit à la loi de l’offre et de la demande du secteur manufacturier. Leur cours est fixé par le différentiel entre les quantités produites et les quantités consommées, et même les engouements spéculatifs sont neutres à long terme – les traders finissant toujours par déboucler leurs positions spéculatives sous peine de devoir prendre possession de tonnes de matériaux dont ils n’ont que faire.
De fait, nous constatons depuis le début de l’été un découplage entre le cours de plusieurs métaux industriels et celui l’or. Même l’argent-métal, pourtant aussi considéré comme une monnaie, ne suit plus la hausse du métal jaune.
Avec une économie mondiale à la peine, soyez donc vigilant dans vos investissements sur les matières premières autres que l’or. Même s’il s’agit d’actifs plus tangibles que des actions d’entreprises, n’oubliez pas qu’en l’absence d’acheteurs solvables, leur valeur commerciale peut s’effondrer, et ce quel que soit leur coût de production.
Pénurie à long terme, surproduction à court terme
La transition énergétique est sans nul doute le principal facteur haussier du cours des métaux industriels. Parce qu’il s’agit d’un nouveau méga-cycle d’investissements dans les infrastructures, elle causera une hausse de la demande inédite depuis l’après-guerre.
Pour de nombreux métaux, comme le cuivre, nous savons même que les projections des besoins vont au-delà des réserves prouvées. Il ne fait donc guère de doute qu’à la fin de la décennie, ces marchés feront la joie des producteurs et que seuls les consommateurs les plus solvables pourront être approvisionnés.
A court terme, en revanche, le ralentissement de l’économie mondiale a fait disparaître les tensions sur l’offre. Les cours de nombreuses matières premières se sont ainsi repliés depuis le printemps, certaines d’entre elles matérialisant même des dégagements inquiétants.
Le cuivre, par exemple, a vu son cours se replier de 22% entre le mois de mai et le mois d’août. La glissade est encore plus importante pour le nickel, qui a vu sa valeur plonger de 26% sur la même période.
Le bois de construction a payé fort cher le ralentissement mondial du marché immobilier, avec une baisse de 32% entre mars et juillet qui menace de renvoyer les cours au niveau des plus-bas atteints au début de la pandémie de COVID.
La situation est encore plus problématique pour l’acier.
Non seulement ce baromètre de l’activité réelle a perdu 23% depuis le printemps, mais la baisse de son cours sur les marchés internationaux a atteint les 29% entre le 1er janvier et le 15 août.
En élargissant l’horizon d’analyse, nous constatons même que le marché baissier a débuté dès le printemps 2022. Après une année 2021 marqué par une volatilité extrême – manifestation d’un effet ciseaux typique lorsque l’offre et la demande se tiennent dans un mouchoir de poche –, l’acier a vu son cours refluer de manière quasi-continue.
Ce marché baissier pluri-annuel vient nous rappeler que, si utiles qu’elles soient, les matières premières peuvent aussi être victimes du baiser de la mort pour les actifs tangibles : la surproduction.
Gare aux capacités excédentaires !
La raison principale de l’effondrement du prix de l’acier est à chercher du côté de la Chine. Le premier producteur mondial possède autant de capacités que l’Europe, l’Amérique et le reste de l’Asie réunis.
Du fait du ralentissement du marché immobilier local, les fonderies se sont retrouvées en panne de débouchés sur leur marché national. Selon les estimations de Goldman Sachs, la surcapacité chinoise s’élève désormais à 66% de la demande mondiale.
Ce déséquilibre est pourtant dû à une contraction de seulement 10% de la demande chinoise. Ne pouvant plus écouler leur stock à domicile, les aciéristes se sont tournés vers les marchés internationaux. Comme toujours dans ces situations, les effets de seuil ont joué un rôle démultiplicateur, et les exportations chinoises ont bondi de 30% sur la même période.
Les aciéristes sont pris dans une spirale infernale où les bénéfices ont disparu, et les coûts fixes à absorber interdisent tout espoir de réduire la production pour soutenir les cours. Par ricochet, les producteurs occidentaux se retrouvent à leur tour pris à la gorge par le dumping de ces concurrents opérant des ventes « à tout prix ».
Après l’effondrement des cours sur les marchés internationaux vient l’évaporation des marges des producteurs. Encore quelques mois à ce rythme et c’est la solvabilité même de ces industriels qui sera remise en question.
Ce revirement de situation sur les métaux industriels dans une période pourtant inflationniste doit servir de piqûre de rappel.
Le cours des matières premières est particulièrement sensible aux cycles macro-économiques. Si cette catégorie d’actifs permet de se protéger efficacement contre la perte de valeur des monnaies fiduciaires, elle reste un bien piètre rempart contre les récessions.