La Chronique Agora

Marée basse (3)

Aujourd’hui encore, la ville de Trenton, dans le New Jersey, s’accroche à sa vieille devise — toute rouillée, à présent, et fausse : "Trenton produit, le reste du monde absorbe". Mais dans les années 20, ce slogan était flambant neuf et tout à fait exact. Le commerce mondialisé avait créé un boom à Trenton. Les produits provenant de la ville et de ses environs étaient chargés dans divers véhicules et expédiés dans le monde entier. Les océans du commerce international étaient si calmes… et le trafic maritime si profitable à toutes les parties concernées… que de nombreuses personnes, à l’époque, pensaient aussi que rien ne les troublerait jamais.

Les prix de l’immobilier et des entreprises de Trenton grimpèrent en flèche. La ville devint célèbre en tant que grand centre industriel pour l’acier, le caoutchouc, les câbles, les cordages, le linoléum et la céramique.

Puis arriva ce qui n’était pas censé arriver. La Grande dépression heurta Trenton de plein fouet — tout comme le reste des Etats-Unis. En 1933, un tiers de la population de l’état dépendait du gouvernement pour vivre. La situation était si grave que le New Jersey distribua des permis de mendier aux pauvres une fois les caisses de l’état vides. En 1937, mêmes les fossoyeurs locaux se mirent en grève. Le tableau était devenu si sombre que durant la diffusion radiophonique de "La Guerre des Mondes", lorsqu’Orson Welles annonça qu’un énorme objet en flammes s’était écrasé sur une ferme à un trentaine de kilomètres de Trenton, et que les extra-terrestres étaient en chemin, une panique générale s’ensuivit… certaines personnes bloquant les autoroutes dans leur hâte de fuir, tandis que d’autres barricadaient leurs maisons contre les Martiens.

En fait, par une étrange coïncidence, un énorme objet en flamme s’écrasa effectivement sur le New Jersey en 1937. Le dirigeable allemand Hindenburg — tout chargé d’hydrogène — prit feu à l’approche de Manchester. Il ne fallut qu’une demi-minute pour que les flammes dévorent le navire et tuent 36 personnes. Cela aurait pu être un présage… Deux ans plus tard, la Seconde guerre mondiale éclatait.

Il y avait un bon côté aux choses, cependant. Certes, 10% environ de la population du New Jersey furent envoyés au front, mais la situation de l’emploi dans l’état finit par s’arranger… Les chantiers navals du New Jersey se mirent à bouillonner d’activité une fois encore — cette fois-ci grâce à la construction de navires de guerre, porte-avions, croiseurs et destroyers. En tout, l’état récupéra 9% de tous les contrats alliés durant les années de guerre.

Au plus haut du boom, dans les années 20, le New Jersey n’aurait jamais pu deviner qu’il était à l’orée de la pire récession de l’histoire des Etats-Unis. Et il n’aurait jamais pu prévoir que le krach qui l’attendait serait si profond et si long qu’il faudrait une guerre mondiale pour y remédier.

Le navire américain navigua très chargé, dans les années 20 ; les tempêtes qui se levèrent plus tard ses chargèrent de l’inonder. Aujourd’hui, il n’y a que 100 points de base entre le plat-bord du crédit le plus sûr au monde et la ligne de flottaison de l’un des plus risqués ; il serait sans doute sage de se préoccuper d’assurance maritime.

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