La Chronique Agora

Les marchés ne sont-ils pas en train d’acter l’éviction de la Grèce de l’Eurozone ?

▪ La première séance de l’immédiat « après-week-end électoral » semble démontrer que les marchés sont sortis en l’espace de quelques heures d’une attitude parfois dictée par une approche idéologique binaire pour rentrer de plain-pied dans l’exploration du « champ des possibles ».

Parmi les hypothèses alarmistes souvent évoquées qui viennent de voler en éclats, il y a celle qui postulait que « la France serait attaquée dès le lundi 7 mai en cas d’alternance politique ». Nous avons aussi eu droit à « le couple franco-allemand sera mis à mal par les promesses de renégociation du pacte de stabilité ».

Chacun sait qu’il n’est pas « renégociable » dans la mesure où 26 pays sur 27 — y compris la Grèce — l’ont ratifié. En revanche, les marchés ont clairement fait savoir qu’ils ne croient plus au « tout austérité », et Angela Merkel non plus ; cependant, elle reste très ferme sur le principe du respect d’une stricte orthodoxie budgétaire.

Elle ne peut en effet rien affirmer de très différent à une semaine d’une nouvelle élection régionale où son parti (CDU) ne se présente pas en situation favorable. Renoncer à ses principes au nom d’une forme de Realpolitik européenne donnerait raison à ses adversaires idéologiques, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur des frontières de l’Allemagne.

▪ Le duo franco-allemand sera sur le devant de la scène
Ce qui semble en revanche évident — et le ton plus que cordial employé par Angela Merkel pour inviter François Hollande à Berlin le démontre — c’est que des contacts ont bien été pris entre l’entourage des deux leaders politiques largement en amont du second tour des présidentielles.

Les négociations franco-allemandes qui vont s’engager d’ici moins de 10 jours devront aboutir à des compromis tels que personne ne perde la face. Il faut de surcroît présenter un front uni face à une Grèce en pleine tourmente. Cette dernière ne guette qu’une occasion de s’engouffrer dans n’importe quelle brèche qui lui permettrait de s’exonérer des engagements pris à l’automne dernier et confirmés in extremis fin février, à la veille de la mise en oeuvre du second LTRO par la BCE.

Car c’est bien le dossier grec qui inquiète les marchés, comme l’a démontré la chute de l’euro — (mais pas des OAT françaises) sur les marchés asiatiques, bien avant la reprise officielle des cotations en Europe lundi matin.

L’autre hypothèque qui pèse sur le cours des actions concerne le niveau de la croissance aux Etats-Unis. Et là, ce n’est pas seulement le pullback de -2% de Wall Street vendredi qui nous l’indique, mais surtout le spectaculaire plongeon du baril de pétrole de 104 $ vers 96 $ en moins de 48 heures de cotation.

Cette fois-ci, le fondamental vient se greffer sur le dégonflement des positions spéculatives accumulées sur le pétrole dans la perspective d’une dislocation possible de la Zone euro. Mais cette hypothèse semble peu convaincante au regard des dernières semaines présentant une stabilité de la monnaie unique face au dollar (préservation du support des 1,3030, y compris lundi matin). Cela malgré une forte tension qui se manifestait sur le rendement de la dette italienne ainsi que sur les émissions obligataires espagnoles.

▪ Le dossier grec fait encore parler de lui
La séance de mardi a confirmé (si besoin était) à quel point le dossier grec revient empoisonner le climat sur les marchés financier. Il ressurgit une fois encore au printemps, tout comme en 2010 et en 2011, chaque fois que se rapproche le moment de refinancer Athènes — un important versement du FMI se profile d’ici la mi-juin.

La situation est en outre compliquée par un nouvel ingrédient, à savoir l’effondrement de la coalition de centre droit qui a vu le nombre de ses députés chuter de moitié à l’issue des législatives du week-end dernier.

Les marchés ont littéralement dévissé mardi matin en prenant connaissance des dernières déclarations du principal parti d’extrême-gauche, arrivé en seconde position, mais qui n’a pratiquement aucune chance de constituer une nouvelle majorité. Il considère que le scrutin du week-end invalide les engagements de l’automne dernier en matière de service de sa dette et d’austérité.

Le scénario le plus probable serait qu’un nouveau scrutin soit organisé en Grèce d’ici le 15 juin. Mais comme le pays apparaît ingouvernable dans l’intervalle, il n’est plus en mesure de remplir les conditions (offrir les garanties) nécessaires pour recevoir la prochaine tranche d’aide indispensable pour éviter le constat d’un défaut sur sa dette, synonyme de faillite… et probablement d’une rapide éviction de la Zone euro.

C’est bien cette peur — presque panique — qui explique pourquoi Paris a effacé l’intégralité de ses gains de lundi (+1,65%) et a bien failli clôturer au niveau de ses planchers de la veille.

L’indice perdait en effet plus de 100 points vers 17h15 (3 110 points) mais quelques rachats techniques ont permis de contenir le repli à 2,78% (pour un score final de 3 125 points).

▪ La Grèce au plus bas et le Bund au plus haut
Le CAC 40 repasse négatif en termes de performance annuelle et figure en queue de peloton au sein des places du Vieux Continent. Seule la Bourse d’Athènes a subi une correction plus sévère (-3,6% après -6,5% lundi), ce qui ramène les actions grecques au plus bas depuis 1992.

Signe d’une brusque poussée de stress, les opérateurs se sont précipités vers des placements « de sécurité ». Le Bund allemand a vu son rendement atteindre mardi soir un plancher historique de 2,53%.

La fuite vers les bons du Trésor allemands, britanniques, suisses ou américains s’est exercée au détriment de toutes les autres classes d’actifs. Le pétrole chutait de 2,5% vers 95,6 $ sur le NYMEX. L’or dévisse dans les mêmes proportions (sous les 1 600 $).

Parmi les décisions importantes pour l’Europe du tandem Merkel-Hollande, celle qui ressort en tête de liste concerne la sortie (ou non) de la Grèce de la Zone Euro.

Car si Athènes — peu importe qui exerce le pouvoir — exige un nouveau renflouement, ce sera cette fois avec l’argent (et il est question de dizaines de milliards d’euros) des contribuables et épargnants français et germaniques (majoritairement, car les Espagnols sont eux aussi insolvables). Et les opinions publiques des pays encore valides risquent de se rebeller.

Les marchés ne sont-ils pas en train d’acter l’éviction de la Grèce de l’Eurozone ?

Plus on tente de retarder l’échéance, plus le coût économique et politique risque d’augmenter… ce qui grèverait d’autant les moyens mobilisables pour venir en aide à l’Espagne.

Et la Grèce menant son destin hors de la Zone Euro, est-ce plus inconcevable que la Pologne ou la Hongrie, qui ont effectué les premières démarches économiques et budgétaires en vue d’intégrer l’Eurozone, avant de battre en retraite puis de renoncer pour plusieurs années, en comptant sur le levier de leur autonomie monétaire pour triompher de la crise ?

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile