▪ Nous glissons au moins un ou deux paragraphes relatifs au comportement des marchés dans chacune de nos chroniques, c’est une sorte de fil rouge.
Nous en profitons souvent pour attirer votre attention sur des scénarios qui ne semblent pas avoir le moindre lien avec l’actualité du jour… tandis que la plupart des commentateurs se torturent les méninges pour démontrer que quoi qu’il se passe, ce n’est que le fruit du hasard, de la glorieuse incertitude de la lutte éternelle entre l’ours baissier et le taureau haussier.
Sauf que depuis novembre, nous vivons au quotidien l’affrontement entre un ours en peluche et un petit bulldozer à moteur que l’on a recouvert d’un carré de feutre noir et auquel on a ajouté une paire de fausses cornes en polystyrène pour faire illusion.
Il n’y a aucun match, aucun suspense, c’est la Fed qui tient la télécommande du petit engin motorisé. Le spectacle est d’une pauvreté affligeante, totalement stéréotypé : d’un ennui mortel !
Oui, le scénario qui se répète à l’identique depuis lundi semble avoir été écrit dès le 3 janvier dernier, vu l’absence totale de volatilité que nous constatons. Sur les marchés, une seule séance à la hausse et une seule séance à la baisse ont donné lieu à une variation supérieure à 1%, les 4 et 5 février : ce que l’une a fait, l’autre l’a défait.
Ensuite, une seule hausse a atteint 0,75% mais aucune baisse n’a dépassé 0,4%… et aucune séance sur les 30 dernières n’a donné lieu à une fluctuation intraday supérieure à 1,20%.
Aucune consolidation n’a duré plus de 48 heures, aucune n’a dépassé 1,15%, aucune des quatre dernières journées de bourse précédent ce vendredi des « Trois sorcières » n’a donné lieu à des écarts supérieurs à 0,6% ; elles s’inscrivent toutes au sein de la fourchette 1 514/1 524.
Les robots-traders resserrent chaque jour les attaches de la « camisole algorithmique » : le mot d’ordre est clairement de procéder à un écrasement de la volatilité tout en orchestrant une progression si lente que toutes les options call expireront sans valeur (quant aux puts, leur sort est réglé depuis longtemps).
La séance de jeudi a été le véritable archétype du type de contrôle absolu exercé sur le marché par une poignée d’intermédiaires appliquant strictement le plan concocté avec la Fed. Wall Street a stagné durant les trois dernières heures au sein d’un corridor de 0,15% d’amplitude… et sur l’ensemble de la séance, les variations n’ont pas dépassé 0,45%.
Les scores de clôture n’ont aucun intérêt (+ ou -0,07%). Pour trouver de la performance, il fallait de nouveau aller la chercher du côté du Dow Transport (+0,31% à 5 950, soit +12% depuis le 1er janvier) : il a pulvérisé un 12ème ou 13ème record historique en moins d’un mois. De son côté, le Russell 2000 grimpait de 0,34% pour établir un nouveau zénith historique à 924 points, soit +10% en six semaines.
▪ Et l’actualité macro-économique ?
Tout se passe comme si elle n’existait pas ! La vraie vie — la réalité économique dans laquelle nous baignons — se situe hors de l’aquarium boursier rempli des liquidités déversées par les banques centrales.
Mais c’est l’aquarium qui pense qu’il représente le monde tandis que ce qui lui est extérieur est en quelque sorte « enfermé dehors ».
La hausse éternelle des indices, cela se passe à l’intérieur, le recul des PIB sur l’ensemble de la planète, cela se passe dans la Quatrième dimension…
Le PIB de l’Eurozone a chuté de 0,6% et de 0,5% dans l’Union européenne (27 pays) au quatrième trimestre 2012, d’après Eurostat.
L’économie française s’est contractée de 0,3% (comme en Angleterre) après une croissance de 0,1% au troisième trimestre : cela donne une croissance zéro pour l’ensemble de l’année 2012.
La véritable mauvaise surprise vient de l’Allemagne dont le PIB a reculé de 0,6% sur les trois derniers mois de l’année. L’Italie s’enfonce elle aussi toujours plus profond dans la récession avec -0,9%, alors que les consommateurs ont littéralement cadenassé leur porte-monnaie durant les fêtes — et les entreprises n’investissent plus.
Le ralentissement qui affecte les pays occidentaux n’épargne pas les BRIC, toujours perçus dans l’inconscient de nombreux gérants comme les locomotives du monde.
Mis à part la Russie et ses 3,5% de croissance et la Chine avec ses 7,8% qui demeurent invérifiables (bizarre, la consommation d’électricité stagne et les ventes de voitures font +4,3% en 2012), le Brésil affiche un titanesque 1% de croissance (pour 5,5% d’inflation), l’Inde 5,5% mais avec 11% d’inflation (bigre, ça gâche tout) et l’Afrique du Sud 2,8% (mais c’était 3,5% cet été, ça freine sec là aussi).
Nous entendons beaucoup de stratèges affirmer qu’il ne s’agit que d’un passage à vide temporaire et pas d’une tendance appelée à perdurer — sinon comment justifier les records historiques du Dow Transport ?
Aucun d’entre eux ne semble pourtant s’étonner que l’économie américaine freine brutalement alors que le QE3 est en place depuis le 15 septembre dernier et a vu son montant accru début décembre… en même temps que la consommation rentrait en hibernation.