La Chronique Agora

Les marchés sont dopés aux mauvaises nouvelles

Quatre baisses de taux se sont évaporées en quatre mois, mais le S&P ou le Nasdaq se payent 11 à 12% plus cher que le 1er janvier.

Une séance des Trois sorcières, ça se prépare au cordeau et la volonté de propulser les indices vers de nouveaux sommets crève les yeux depuis l’entame du mois de mai.

Pas une seule séance de consolidation sur le S&P 500 depuis le 30 avril, pas une seule pour l’Euro-Stoxx 50 depuis le 2 mai (le 1er était férié presque partout), huit records absolus intraday pour l’AEX (Amsterdam) en neuf séances, douze records en quatorze séances pour la Bourse de Londres.

A Wall Street, cette journée de mercredi fut historique à tous points de vue, avec un triple doublé « record intraday/record de clôture », dans des volumes toujours aussi ridiculement faibles, surtout compte tenu des écarts observés : de +0,9% pour le Dow Jones à +1,5% pour le Nasdaq-100.

Le S&P 500 grimpait de 1,2% vers 5 308 points (son 23e record annuel, soit un tous les quatre séances, très exactement), avec seulement 58 millions de contrats « SPDR/SPY » (l’ETF le plus traité sur le S&P) contre 96,3 millions lors du précédent record inscrit à 5 0584 points le 28 mars dernier (et 80 millions le 27 mars, contre 46,5 millions seulement ce 14 mai).

Wall Street a complètement surjoué un « chiffre d’inflation qui rassure », et les marchés obligataires se sont envolés comme si l’inflation était retombée sous les 3%, alors que le CPI a légèrement ralenti (comme prévu) en avril (décélération de 0,3%, contre 0,4% en mars) pour s’établir à 3,4% sur douze mois, après un score de 3,5% en mars.

C’était donc le 37e mois consécutif de hausse des prix supérieur à 3%, et il faudra au minimum attendre le 40e pour espérer voir l’inflation repasser sous la barre des 3%… en étant optimiste.

Mais pour Wall Street, le chiffre du jour était « moins pire » que ce qui aurait pu survenir au lendemain d’un PPI (le précurseur du « CPI » et pas l’inverse), qui fut décevant à tous les égards.

Beaucoup de commentateurs invoquent une « psychologie des marchés » qui reste particulièrement « constructive ». Les opérateurs chercheraient le moindre prétexte pour voir le verre à moitié plein… et si les « bonnes nouvelles » manquent, alors on trouvera le moyen de se réjouir que ce soit « moins pire que prévu ».

L’autre grosse ficelle, c’est que les « mauvaises nouvelles » conjoncturelles (recul de la consommation, de la production, baisse du moral des ménages, hausse du chômage) sont paradoxalement favorables, car elles alimentent les spéculations sur une baisse de taux.

En réalité, les indices grimpent en l’absence de réel courant acheteurs (l’effondrement des volumes en témoigne) car les vendeurs sont totalement absents.

Et ils le sont pour une bonne raison : l’écrasement de la volatilité – le VIX vient de retomber sous les 12,50, un plancher de deux ans – instaure une apparente absence de « risque » qui est complètement déconnectée du contexte économique et géopolitique.

La manipulation du « risque perçu » qui permet l’émergence de « hausses funiculaires » (comme depuis le 30 avril dernier) est tellement évidente que plus personne ne « se met en face ».

Car il s’agit bel et bien d’un rouleau compresseur algorithmique : si jamais les vendeurs remportent par chance une seule manche (une séance de consolidation lié à un flux d’actualités vraiment détestable), ils se font broyer et laminer dès le lendemain par une déclaration d’un membre de la Fed qui sera jugée « moins faucon que prévu » (en extrayant « la petite phrase » qui fait plaisir et en occultant tout le reste).

Dernier exemple en date : Wall Street n’a retenu de l’intervention de Jerome Powell ce mardi 14 mai que cette sorte de promesse qu’il avait déjà formulée deux semaines auparavant, « la Fed ne montera pas ses taux cette année »… en oubliant tout le reste de son discours, qui pourrait justifier que les taux ne baisseront pas avant les élections présidentielles américaines (5 novembre).

Et Wall Street « oublie » complètement que le scénario le plus favorable serait trois assouplissements monétaires, contre sept en début d’année (et probablement pas plus de deux). Ainsi, quatre baisses de taux se sont évaporées en quatre mois, mais le S&P ou le Nasdaq se payent 11 à 12% plus cher que le 1er janvier… et le S&P 500 29% plus cher que le 30 octobre 2023, quand Wall Street s’accordait sur un scénario 2024 à trois baisses de taux.

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