Il serait facile de plastronner — maintenant que le CAC 40 a perdu 12% en un mois et les marchés obligataires presque 10% en huit semaines — en faisant l’inventaire des mises en garde et des scénarios de correction que nous avions exposé à longueur de Chroniques depuis fin décembre.
Notre thèse centrale était que la Grande rotation en faveur des actions était une fable. Non seulement ça, mais nous pensions que la chute des marchés obligataires provoquerait un deleveraging généralisé de toutes les classes d’actifs gonflées à l’hélium par les injections monétaires des banques centrales. Or nous assistons effectivement à une « Grande liquidation ».
De nombreux lecteurs soulignent quand même — à juste raison — que si le diagnostic était le bon, notre timing fut loin d’être optimal.
Il ne pourra cependant pas nous être reproché d’avoir changé d’avis en cours de route — ce que certains ont interprété comme un entêtement absurde puisque « l’on ne défie pas une banque centrale ».
Nous avions rappelé chaque jour sur le Téléphone Rouge que nous étions confrontés à une fuite en avant des autorités monétaires, sur fond de déni général du réel. Un système pervers mais addictif, basé sur l’écrasement de la volatilité et la dissimulation du risque sous-jacent qui se solderait par une correction proportionnelle à la quantité d’argent et de mensonges déversée.
▪ Un krach du troisième type
Nous avons souvent évoqué le surgissement d’un « krach du troisième type » (qui se marie bien avec le QE3)… sans être capable d’en identifier les prémices ni la période du déclenchement.
Nous avions bien cru ce moment de vérité arrivé mi-mars lorsque le CAC 40 a testé les 3 870 et le Dow Jones le zénith historique des 14 200. Cependant, la correction ne dépassa pas les 7% à Paris (test des 3 600 mi-avril) ; le canal haussier ne fut pas invalidé — en fait, Wall Street ne consolida même pas de 2%.
Une spectaculaire — tout autant qu’absurde — contre-attaque haussière s’est enclenchée le 26 avril (pratiquement +4% en une seule séance). Les chiffres économiques publiés ce jour-là furent si consternants que le marché se mit à parier massivement sur une intervention de la BCE.
Au bout d’une séquence historique de 15 séances de hausse sur 20, pour un gain de 12,5% entre 3 600 et 4 050 sans la moindre consolidation intermédiaire, la montagne d’espoir accoucha d’une ridicule souris : un abaissement de 25 points du taux directeur à 0,5%.
▪ Retour à la case départ
Nous voici maintenant revenus à la case départ. Quatre séances auront suffi à repasser de 3 870 points (niveau correspondant au zénith du 15 mars) à 3 575 points (niveau plus testé depuis le 5 décembre 2012).
Cela fait une chute de 7% en tout juste une semaine. Un tel écart suffit à prouver que la hausse obstinée du mois de mai constituait le dernier acte de la gigantesque farce monétaire à laquelle les marchés prêtaient leur concours depuis juin 2012.
La question qui continue de nous tarauder après tant de semaines reste la suivante : comment ce phénomène d’hallucination collective a-t-il pu perdurer aussi longtemps ?
Une réponse possible serait la mauvaise foi de 90% des professionnels pour qui peu importait la manière. Il y a de l’argent à prendre, peu importent les raisons et les dégâts collatéraux sur l’économie réelle — tant que ça dure, il faut engranger un maximum !
Rappelez-vous du mythe des « bataillons d’acheteurs qui ont raté le train de la hausse et vont se ruer dans le marché au moindre repli ». Non seulement il n’y a personne pour ramasser du papier… mais dès que ça remonte, on retrouve les plus grosses mains à la vente !
Et dès qu’on les questionne, ils s’empressent d’affirmer que les marchés nous procurent une formidable opportunité d’achat.
▪ Un krach d’ici fin juin ?
A -3% à Hong-Kong lundi matin, les acheteurs se faisaient rares. A -5% à Shanghai, il était impossible d’en identifier un seul : sell-off général sur les valeurs chinoises, sur fond d’effondrement du marché interbancaire.
La banque centrale chinoise a manifestement résolu de torpiller le shadow banking et de couler les prêteurs alternatifs qui ont permis aux spéculateurs de continuer de passer outre les avertissements de Pékin. Tant qu’il existait une source de financement pour des placements idiots — mais rémunérateurs –, pourquoi les brasseurs d’argent chinois auraient-ils changé leurs (mauvaises) habitudes ?
Contrairement aux commentaires catastrophistes qui se mettent à pulluler dans les médias et sur les forums, nous ne croyons pas à un krach dévastateur d’ici la fin du mois de juin. En effet, nous testons d’importants supports moyen-terme aussi bien à Shanghai (1 960 points) qu’à Hong Kong (19 000) ou à Paris (3 585/3 590) et Wall Street (14 550 sur le Dow Jones).
L’occasion d’exploiter des paliers aussi stratégiques est trop belle pour les banques centrales. Il devient dangereux de rester short sur ces niveaux (2 500 sur l’Euro-Stoxx 50).
Le moment serait d’autant mieux choisi que sur les marchés de taux, cela commence à ressembler à une amorce de krach obligataire. Il commence à y avoir le feu à 2,65% sur les T-Bonds, à 1,85% sur le Bund et 2,45% sur l’OAT 2023.
Les banques centrales ne devraient pas tarder à réagir — sinon la situation va devenir incontrôlable : nous pouvons exclure que la Fed ou la BCE n’aient pas conscience de ce risque. Leur silence ce week-end signifie qu’ils préparent un contrefeu avec effet de surprise garanti !
La banque centrale chinoise n’a qu’à dire mardi matin qu’elle reprend la main et le chaos s’arrête net sur les places asiatiques.
Mais si un rebond s’amorce, aucun problème de fond n’est résolu : ça rechutera encore ! Le scénario d’ici fin 2013 pourrait être celui d’un krach rampant durant des mois et des trimestres, entrecoupé de brusques rebonds techniques sous forme de short squeezes. Ils seraient alors destinés à permettre aux « grosses mains » qui n’ont pas réussi à « truffer » les petits porteurs au plus haut de se délester du maximum de papier avant que le concept de marché baissier s’impose dans le médias et débouche sur des vagues de ventes paniques.