A force de laisser libre cours à ses « esprits animaux », le marché est devenu un peu bête.
Pour les professionnels de la finance, particulièrement gâtés depuis le 27 octobre, c’était Noël avant l’heure. Les marchés ont fêté la fin de l’année boursière (avec les « Quatre sorcières » le 15 décembre) au caviar et au champagne, grâce au message « bol de punch » de Jerome Powell.
L’effet de ravissement aura duré cinq séances… ou plutôt quatre séances et demi. En effet, à 20h ce 20 décembre, les principaux indices US évoluaient en territoire record, se dirigeant avec entrain vers une dixième séance de hausse consécutive.
Toutes les planètes semblaient alignées, puisque le S&P 500 flirtait avec son zénith annuel (à 4 774 points), de même que le Nasdaq 100 qui inscrivait un nouveau record absolu à 16 835 points, et le Nasdaq Composite gagnait +0,3%, dans le sillage des « Sept Mercenaires », qui évoluaient dans le vert en matinée (avec le titre Alphabet caracolant à +3%).
Comble du bonheur : le rendement des T-Bonds plongeait sous les 3,90%… et le très emblématique « 30 ans » basculait sous les 4,00% (à 3 997%).
C’est alors que s’est enclenchée une brutale inversion de polarité, sans aucun signe précurseur (ni « technique », ni fondamental), et sans que les « Sept Mercenaires » – les plus manifestement surachetés – soient particulièrement pénalisés (contrairement à mercredi dernier).
Cette correction de 1,5% des indices US, la plus brutale depuis le 26 septembre, personne ne l’a vue venir.
Et c’est exactement le scénario que je décrivais auprès de nos abonnés dans La Lettre des Affranchis, lors de mon « Live » ce mercredi matin… sachant que le rallye haussier pouvait aussi bien poursuivre sa trajectoire jusqu’à ce vendredi 22 décembre, parce que tout ce qui constitue un frein aux « esprits animaux » semble avoir volé en éclats depuis fin novembre.
Je m’attendais à voir le VIX ressortir incessamment de sa zone de « complaisance ». Il a fait un bond de +9% vers 13,70, ce mercredi soir.
Difficile de diagnostiquer autre chose qu’une secousse sismique sous un volcan que l’on pensait éteint, ou un éclair dans un ciel sans nuage… où plutôt une sensation de brûlure au bout des doigts du fumeur d’opium. Mais pas de quoi le tirer de son rêve psychédélique où l’inflation s’évapore comme de l’azote liquide en plein soleil, où les taux s’effondrent comme les tours inhabitables d’une ville fantôme chinoise livrée aux dynamiteurs.
Notons que c’est UBS qui bat le record de la vision la plus hallucinogène, avec dix baisses de taux en 2024.
Aux antipodes des oracles helvétiques, Patrick Artus n’en prévoit pas plus que trois l’an prochain, car lorsque les « effets de base » auront cessé d’alimenter le sentiment – illusoire – d’une décrue de l’inflation, le marché se retrouvera confronté à la réalité de la hausse des salaires, d’une transition énergétique qui renchérit les coûts de production. Sans oublier la flambée de la facture d’électricité des ménages, la hausse verticale des impôts fonciers (à deux fois le taux d’inflation actuel de 4%).
Il souligne déjà l’absurdité de taux longs allemands retombés sous 2%, alors que la hausse des prix devrait tendre vers 3% au premier trimestre 2024.
Dans le même temps, Bank of America rappelle que 88% des chefs d’entreprises européens prévoient un ralentissement de la croissance dans l’UE au cours des prochains mois (contre 74% le mois dernier, ce qui signifie que les marges et les bénéfices vont souffrir), tandis que 67% de leurs homologues américains s’attendent à une fléchissement de l’activité aux Etats-Unis (contre 44%), malgré un soutien budgétaire massif : +2 400 Mds$ de dettes supplémentaires depuis le mois de juin – soit pratiquement 10% de PIB injecté en un semestre, ce qui n’a d’équivalent que le « all-in » monétaire de la période COVID.
Un rythme insoutenable, mais qui dope littéralement Wall Street, puis le marché de l’emploi US, ce qui soutient mécaniquement la consommation… tout autant que les offres de type « buy now pay later » pour les moins fortunés.
Mais heureusement, tout comme les ménages qui se payent des gadgets avec de l’argent qu’ils n’ont pas, en espérant un miracle financier qui n’arrivera pas, les marchés achètent des bénéfices futurs qui n’existeront pas, en espérant une détente miraculeuse des taux qui ne se produira pas.