La Chronique Agora

Marché de l’or et bullion banks : bienvenue dans l’ère du complot !

Début août, je faisais aux lecteurs de Vos Finances un rapide historique des événements qui ne devaient jamais arriver mais qui sont néanmoins survenus. Je terminais alors mon article sur une histoire inachevée : celle du grand marché de l’or physique.

▪ Bienvenue dans l’univers d’un des marchés les plus obscurs !
Les traders et boursicoteurs ont tendance à attribuer à New York et au CME le privilège de faire la pluie et le beau temps, via les contrats à terme, sur le prix des métaux précieux. Certes le marché à terme américain joue un rôle important dans le processus mais ce privilège est largement partagé avec deux autres acteurs :

– l’un est le marché de gré à gré des métaux précieux de Londres — la London bullion market association (ou LBMA), qui est une vénérable institution qui organise le marché des métaux précieux (pour l’argent depuis 1897 et pour l’or depuis 1919) ;

– l’autre acteur majeur est représenté par l’ensemble des banques centrales possédant d’importants stocks de métaux précieux et qui jouent un rôle essentiel sur le marché de l’or.

Les statistiques de la LBMA révèlent l’importance des transactions qui s’y déroulent. En effet, en moyenne, 500 tonnes d’or physique s’échangent par jour entre les opérateurs agréés de la LBMA. A titre de comparaison, la production annuelle mondiale d’or extrait est de 2 500 tonnes.

Sur cette place ne s’échange (normalement) que de l’or ou de l’argent physique. Outre les activités de compensation et de dépôts, trois activités principales s’y déroulent : les prêts de métal, les contrats à terme et les échanges à terme (swaps).

▪ Les trois activités du marché des métaux précieux
– La première activité consiste en des prêts de stock d’or réalisés au profit d’institutions financières. Généralement le métal prêté vient des banques centrales. En échange, les emprunteurs, principalement des bullion banks, nantissent des garanties éligibles auprès des banques centrales. Ce marché étant un marché de gré à gré, les transactions sont bilatérales et se font donc en toute discrétion. Les bullion banks, entretenant des liens réguliers avec les banques centrales, ont une connaissance privilégiée du marché de l’or. En particulier les taux auxquels ces banques sont disposées à prêter leur précieux magot, les gold lease rates (ou GLR), sont des données essentielles que ces bullion banks maîtrisent parfaitement.

– La deuxième activité, les contrats à terme, est à peu près équivalente à ce qui se fait sur le marché à terme du CME. La seule différence est qu’ici, le gré à gré permet d’opérer en toute discrétion, sauf pour les bullions banks qui restent toujours très bien informées grâce à leurs relations. Les membres de la LBMA ont la possibilité d’acheter ou de vendre à terme un stock d’or. En situation normale, la différence entre le prix comptant (spot) et le prix à terme représente grosso modo les coûts de stockage, d’assurance et de financement du produit. L’ensemble de ces coûts est traduit dans les taux GOFO (gold forward rates) définis chaque jour au sein par la LBMA parles bullion banks.

Posséder un stock de métal induit des charges ; a contrario posséder des liquidités permet d’engranger des intérêts.

– La troisième activité consiste donc à échanger, pour une durée déterminée entre deux partenaires d’un contrat, un stock d’or contre des liquidités. Ce swap permet ainsi à un détenteur d’or physique d’obtenir des liquidités sans perdre la propriété de son or puisqu’il ne fait que le prêter contre des liquidités.

La transaction se fait sur la base minimum du taux GOFO correspondant à la maturité du swap. Ainsi la banque ou le fonds détenant un stock d’or et qui le prête, paiera à son partenaire le GOFO sur la maturité convenue mais est susceptible d’engranger au moins le taux de rémunération des liquidités obtenues en contrepartie, soit le taux LIBOR. A l’échéance de l’échange, chacun récupère son bien selon les conditions initiales de l’accord de swap.

Dans le contexte actuel de crise de la liquidité, cette dernière technique est très utilisée par les banques commerciales et les fonds pour se financer. En effet la suspicion générale qui règne sur la qualité des garanties que proposent les institutions en recherche de liquidités conduit beaucoup de prêteurs à préférer la garantie d’un actif physique sans contrepartie.

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Mais encore faut-il détenir un stock d’or pour faire cet échange ! C’est là qu’interviennent les banques centrales ou les bullion banks, en particulier les deux banques (HSBC Bank Etats-Unis et J.P. Morgan Chase) qui assurent la garde des deux plus gros trackers de métaux précieux que sont les trackers SPDR® Gold Shares (code : GLD, 1 258 tonnes d’or) et iShares Silver Trust (code : SLV, 9 691 tonnes d’argent). Ces banques d’or ont en effet la possibilité de louer leurs stocks.

Les bullion banks, soit utilisent la partie non allouée du stock dont elles ont la garde, soit interviennent comme intermédiaire entre les banques centrales et des banques commerciales ou fonds en mal de liquidités.

▪ Quelques exemples pour illustrer concrètement ces mécanismes
Une banque centrale loue, pour une certaine durée, un stock d’or à une bullion bank en échange de garanties. Cette banque centrale encaisse le loyer ou GLR — c’est-à-dire la différence entre le LIBOR et le GOFO.

La bullion bank a alors deux possibilités devant elle :

– La première consiste à vendre ce qu’elle vient de louer sur le marché comptant (spot). Elle obtient ainsi des liquidités qu’elle peut utiliser, ce qui lui permet d’encaisser au moins le taux LIBOR. Elle peut aussi l’utiliser sur d’autres marchés avec un effet de levier (actions, dérivés, obligations). Néanmoins elle devra un jour ou l’autre rendre au loueur le précieux métal qu’elle a emprunté. La bullion bank achète donc la même quantité d’or via un contrat à terme, cette couverture de position lui coûtant le montant du GOFO. La transaction est ainsi sécurisée. Ce montage avait la faveur des bullion banks alors que les prix de l’or baissaient.

Tout le monde était content : les banques centrales engrangeaient un rendement et les bullion banks se couvraient en rachetant leur position à un meilleur prix ;

L’autre possibilité qui s’offre à la bullion bank est d’entrer dans un swap avec un partenaire lui proposant des liquidités pour un coût avoisinant le GOFO. Ce cas de figure est peu probable.

La situation la plus plausible aujourd’hui, du fait des tensions extrêmes sur le crédit, est que les bullion banks jouent un rôle d’intermédiaire entre les banques centrales et des fonds ou banques commerciales en quête de liquidités.

Cette situation est d’autant plus crédible que la diminution des taux de GLR est le signe d’une augmentation importante des opérations de swap par rapport aux opérations de vente de métal. Il est donc vraisemblable que les bullion banks servent d’intermédiaire des banques centrales pour des prêts d’or auprès de banques commerciales qui ensuite entrent dans des swaps pour obtenir de la liquidité sur le marché.

Ce processus permet aux banques commerciales de placer des garanties dont personne ne veut auprès des banques centrales et d’obtenir ainsi de la liquidité grâce à un actif sans contrepartie.

▪ Quels enseignements tirer de tout ceci ? J’en vois trois :
Je parlais à mes lecteurs, en août dernier, de la modification des modalités de prise en compte des actifs financiers (FIL-27-2012 du 18 juin 2012). Cette disposition donne à l’or un statut d’actif sans risque. L’utilisation des stocks d’or pour obtenir de la liquidité illustre ce nouveau statut.

Tout au long des années 90, les banques centrales ont utilisé leurs stocks d’or pour générer un rendement et couvrir les frais inhérents à la conservation du métal. Depuis la crise de 2007, un revirement fondamental s’est produit. L’or est de plus en plus considéré comme un actif sûr, car sans contrepartie, utilisé pour obtenir du cash. Ce rôle d’actif de dernier ressort vient d’être clairement illustré par une décision du CME publiée le 17 août dernier.

La plate-forme de compensation de Londres du CME acceptera désormais de l’or physique en garantie de tous les contrats. Toutes ces décisions montrent à ceux qui en douteraient encore que l’or est bien plus qu’un métal, c’est une monnaie. Il reprend aujourd’hui sa place. Cette évolution est fondamentale et préfigure la place que tiendra l’or dans le futur système monétaire qui naîtra des cendres du chaos actuel.

Le deuxième enseignement, vous l’avez probablement sur les lèvres. Tout au long de ma démonstration, vous avez très certainement noté que les mêmes noms (bullion banks) revenaient sans cesse aux points-clés du marché de l’or. Le plus bel exemple nous est donné par J.P. Morgan et HSBC qui cumulent la garde des plus gros stocks d’argent et d’or privés et qui en même temps participent activement à l’élaboration des prix et au fonctionnement de l’institution la plus puissante au monde en ce qui concerne les métaux précieux.

Lorsque la main droite d’une bullion bank vend ou loue un stock d’or, comment la main gauche (située dans une succursale à l’autre bout de la Terre) peut-elle l’ignorer et ne pas être tentée d’en tirer un profit ? Quand bien même elle ne serait pas directement concernée par la transaction, son lien privilégié avec les banques centrales lui confère un avantage concurrentiel indéniable. Il faudrait être un saint pour ne pas être tenté d’en profiter. Les pratiques de ce marché sont donc loin d’être transparentes et équilibrées. Et c’est un euphémisme !

Enfin, vous avez certainement compris que les mécanismes que je vous ai présentés plus haut — prêt, swap, achats/ventes à terme peuvent s’enchaîner les uns aux autres. Le même stock d’or, initialement vendu par une banque centrale ou par un détenteur de métal (HSBC par exemple) peut ainsi être loué, vendu puis revendu puis re-revendu, etc. Plusieurs experts s’accordent pour estimer qu’il y aurait un ratio de 100 entre l’or papier qui se balade et l’or physique réellement disponible. Le jour où quelqu’un criera « au feu ! », le maillon le plus faible de cette chaîne tombera et le risque deviendra alors réel de revoir ce qui est arrivé aux clients de MF Global. Seul celui qui aura réellement le stock physique dans ses murs s’en sortira.

Encore une fois, ce qui ne devrait pas arriver, arrivera…

Première parution dans Le Billet du Trader du 19/09/2012.

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