La Chronique Agora

Le marché obligataire est tendu… mais la Fed s’en soucie peu

▪ Le prodige du mardi s’est de nouveau matérialisé hier soir. Wall Street vient d’aligner un 20ème mardi de hausse consécutif — une première dans l’histoire des marchés financiers.

La Fed est donc toujours à la manoeuvre ; les injections du mardi produisent invariablement le même effet qu’un bon shoot sur un toxicomane compulsif.

L’effet flash (bien connu des héroïnomanes) a été particulièrement violent puisque Wall Street est parti très fort dans son trip haussier. Les indices américains affichaient en effet des gains qui dépassaient 1,4% en moyenne après 45 minutes de cotation, avec 98% de titres en hausse.

Quand la drogue monte au cerveau, le toxico ne ressent plus la douleur, ni le chaud ni le froid. En l’occurrence, Wall Street ne semble même pas percevoir la tension qui sévit sur le marché obligataire : les taux longs américains font un bond de 14 points de base, passant de 2,03% vendredi dernier à 2,17% ce mardi (et même 2,172% à la clôture). Combien de temps les actions vont-elles continuer de grimper en ignorant le plongeon des T-Bonds ?

La réponse semble évidente : il n’y aura aucune prise en compte jusqu’à ce que les effets de la drogue monétaire se dissipent.

▪ Les marchés obligataires racontent une autre histoire
Inutile donc d’essayer de raisonner le marché en lui démontrant qu’il existe depuis quatre ans une corrélation forte entre la hausse de Wall Street et les anticipations déflationnistes des spécialistes de la dette américaine.

Les stratèges sur les marchés d’actions continuent de s’accrocher à la jolie fable de la Fed déversant des cataractes de liquidités afin de maintenir presque éternellement le loyer de l’argent proche du niveau zéro.

Cependant, les marchés obligataires nous racontent depuis une semaine une toute autre histoire. Les taux longs ont grimpé de 50 points de base depuis le plancher des 1,62% du tout début du mois de mai.

Le même scénario vient de se dérouler au Japon. Le Nikkei a poursuivi sa course éperdue vers la stratosphère boursière tandis que l’emprunt de référence japonais (le JYGB 2023) voyait bondir son rendement de 0,60% vers 1,1% — 50 points de base également.

Tout se passait à merveille jusqu’au moment où… le Nikkei a perdu 1 450 points en l’espace de quatre heures de cauchemar. Les médias ont abondamment parlé du double flash krach sur les actions à Tokyo (le 23 et 24 mai), en oubliant de mentionner les pertes en capital colossales subies par les détenteurs de dette nippone — et surtout par les suiveurs de tendance qui ont cru début avril que les taux longs japonais allaient s’enfoncer durablement sous les 0,5%.

▪ Qui va acheter les T-Bonds ?
Rien de tel ne saurait survenir aux Etats-Unis, bien sûr… Les optimistes nous expliquaient même hier soir que la « Grande rotation » qu’ils appellent de leurs voeux a commencé : champagne !

Soit, mais ils ne répondent toujours pas à la question que nous posons invariablement depuis que cette thématique s’est imposée comme une pensée unique à partir de mi-novembre 2012 : si les investisseurs se mettent à vendre massivement des T-Bonds, qui va les acheter ?

La Fed ramasse déjà 70% des émissions de 10 ans sur le marché secondaire (une pure vue de l’esprit : le marché secondaire, c’est juste le marché primaire d’il y a un quart d’heure !) et 97% des émissions de bons à 30 ans (officiel).

Existe-t-il une Fed bis ? La Fed possède-t-elle un « double fond » pour absorber les montants colossaux de dette américaine — se chiffrant potentiellement en trilliards de dollars — qui serait pour partie arbitrée en faveur des actions ?

Car l’espoir de plus-value en capital reste le seul moteur de la hausse des bons du Trésor US depuis quatre ans. Nos gérants si rationnels n’ont plus aucune raison de les conserver s’ils pensent qu’ils vaudront moins cher demain. N’oublions pas qu’ils valent désormais beaucoup moins cher qu’avant hier, de l’ordre de -17%… une paille !

Si les taux directeurs peuvent en théorie rester très bas très longtemps (il suffit que Ben Bernanke s’entête à nier l’évidence que son QE-3 illimité est une machine à bulles), nul ne sait jusqu’où peuvent grimper les « taux marché » en cas de panique.

Nul ne sait non plus quel degré de panique peut s’emparer de Wall Street lorsque la reconnexion au réel s’opèrera.

▪ Une imposture de plus
Parmi toutes les contre-vérités et impostures dont on nous abreuve, il en est une qui revient de façon sporadique mais qui constitue un vrai gag !

Il s’agit du prétendu ramassage massif des actions quand elles corrigent — ce qui survient de plus en plus rarement… et jamais le mardi ou le vendredi, comme vous savez.

Contrairement à ce que prétendent les permabulls (qui multiplient les postulats sans apporter le moindre commencement de preuve), plus les cours baissent, plus nous voyons les volumes s’étoffer. Il y a donc manifestement davantage de vendeurs à mesure que le risque de retournement de tendance s’amplifie.

Quand les cours arrêtent de baisser parce que la Fed intervient ouvertement pour éviter un « effet ketchup », les volumes se dégonflent. Toujours pas d’acheteurs donc, mais les vendeurs obéissent à l’impératif « don’t fight the Fed« .

De beaux esprits tentent alors de nous convaincre que les actions historiquement hors de prix ne sont pas chères… mais ce n’est pas pour autant que le marché remonte.

Plus le temps passe, plus les volumes se contractent : il suffit de vérifier sur graphique du S&P 500, cela saute aux yeux. Non seulement les acheteurs n’achètent pas les creux… mais il faut leur orchestrer un rebond explosif pour qu’ils admettent que la Fed a remis en marche le train à crémaillère qui escalade une montagne de billets de Monopoly.

La Fed, via ses complices favoris comme Goldman Sachs ou JP Morgan, arrache tout à la hausse dès qu’elle est certaine de squeezer le maximum de vendeurs. Cela marche à tous les coups si la hausse est déclenchée un jour où s’abat un déluge de statistiques pourries.

Cela remonte pour des raisons essentiellement techniques (rachats forcés)… et puis dès que les derniers shorts (de plus en plus rares) ont rendu l’âme, la hausse se poursuit sans aucun volume : pas d’acheteurs à l’horizon.

Le troupeau ne suit pas, les pigeons ne sont plus là.

La Fed est prise à son propre piège. Il ne lui reste plus qu’à poursuivre sa fuite en avant dans la manipulation des marchés et l’impression de fausse monnaie — en espérant qu’une hypothétique vague d’achat de retardataires ou « d’idiots utiles » va enfin déferler et lui permettre de larguer ses excédents de bagages… au plus haut historique comme de juste.

Sauf qu’après 20 mardis de hausse sur 20, tout le monde a compris que le casino est truqué.

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