La Chronique Agora

Le marché haussier du CAC 40 repose sur le trading automatisé

▪ De la hausse, encore de la hausse… mais en pratique, nous ne relevons que des promesses de convergence — dont chacun sait qu’elle constitue la clé de la croissance économique en période de crise — et des plans d’austérité induisant des risques accrus de récession. Peu importe, de courageux acheteurs continuent de tirer les cours… mais tout seuls.

Cela tombe bien : c’est la période d’habillage des bilans ! Mais comme tout cela semble artificiel et déconnecté de l’actualité conjoncturelle… La production industrielle s’est effondrée de 4% en Espagne au mois d’octobre ; l’indice « flash » Markit-PMI de l’activité dans le secteur des services en Europe s’avère décevant au mois de novembre, à 47 (il est en contraction depuis des mois).

Les indicateurs économiques américains ne sont guère plus encourageants : l’ISM non-manufacturier s’établit à 52 (il était attendu en hausse à 54 en novembre), et les commandes à l’industrie se sont contractées de -0,4% en octobre.

▪ Cela n’affecte guère Wall Street où le S&P et le Nasdaq bondissent de 1,5% et repassent positifs sur l’année 2011.

Le CAC 40 franchit en force le cap des 3 170 points et se hisse jusque vers 3 215 points — soit 420 points de hausse sans la moindre consolidation. Tout cela au prix d’une série de six hausses sur une série de sept.

▪ Chaque fois que survient un mouvement boursier que personne n’a vu venir et qu’aucun élément conjoncturel ne justifie très concrètement (ne parlons pas de ces mensonges concernant le « retour de la confiance » pour amuser le bon peuple, répétés 100 fois en espérant qu’ils deviennent une vérité), nous avons droit à ce genre de critique.

En voici un archétype : les arguments avancés ci-dessous sont évidemment trop faciles à réfuter… mais cela démontre la persistance de cette forme de cécité face aux manipulations dont sont l’objet les cours boursiers.

Certains de nos lecteurs préfèrent penser que les rédacteurs sont des idiots plutôt que d’envisager que leur casino favori est aux mains de professionnels des jeux de hasard… où le hasard est très inégalement partagé entre ceux qui actionnent la roulette et ceux qui misent sur le tapis vert.

Pour en revenir à notre lecteur, voici son réquisitoire : « vous dénoncez une Bourse qui ressemble à un casino. Mais si la Bourse était aussi simple que le casino (c’est-à-dire avec une probabilité certaine de réalisation pour chaque événement), ce serait trop facile ! Réalisez bien que la Bourse est autrement plus complexe et subtile à appréhender que cela ».

« Sinon, je vous conseille de revoir vos réglages personnels en matière d’indicateurs techniques car vous semblez bien à la peine depuis pas mal de temps ».

« Enfin cessez un peu de vous plaindre ou de gémir à longueur d’article dès que vous perdez le ballon car à votre âge et avec votre expérience sur les marchés, ça fait quand même un peu ‘junior’ tendance mauvais perdant ! »

Je connais quelques professionnels parmi le plus « subtils » qui se sont fait prendre à contrepied plus d’une fois depuis le mois d’août.

Ceux qui se sont méfiés de la faiblesse persistante de l’euro — il est permis de penser qu’elle est justifiée par quelques solides raisons — ont raté le rebond au-delà des 3 050… et je pourrais multiplier les exemples.

Les seuls qui se vantent de gagner à tous les coups, en suivant aveuglément la tendance, quelle qu’elle soit, se targuent de ne rien savoir du passé, de ne rien vouloir connaître du présent et de ne privilégier aucun scénario concernant l’avenir.

Leur horizon de placement se situe entre la prochaine nano-seconde et les dix prochaines minutes : n’ayant d’opinion sur rien, ils ne se trompent jamais. S’il leur arrive parfois de perdre de l’argent, c’est que le profil du risque a été mal évalué, ce n’est pas dû à une « mauvaise décision ».

Afin d’être certains de ne pas se laisser polluer par une quelconque forme de raisonnement qui ressemblerait à celui d’un « vrai » professionnel (faisant appel à des notions stupides comme la valeur d’actif, la trésorerie), l’exécution des ordres est confiée à des algorithmes qui ne se déterminent que par rapport à un prix.

France Télécom a valu 220 euros puis 7,5 euros un an plus tard. Le même algorithme qui était acheteur à 219,5 euros était vendeur à 7,6 euros… et il y avait des milliers de robots de trading qui agissaient de la même façon, cherchant à répliquer la pondération du titre dans l’indice de référence.

N’importe quel titre peut afficher n’importe quel prix à 48 heures d’intervalle. Cela ne reste qu’un prix : Société Générale vaut-elle 15 euros ou 24 euros ?

▪ Nous qui essayons de vous conseiller avec ce que nous pensons être de la compétence ne faisons carrément pas le même métier que les adeptes de la gestion robotisée. La différence est à peu près du même ordre que celle existant entre un pilote de rallye au volant d’un vrai bolide valant 100 000 euros (si on heurte une bordure, on part en tonneau, la course est terminée)… et un « conducteur » sur un simulateur ou un jeu vidéo.

Si le pilote virtuel se krache, il perd juste quelques secondes. Si sa banque se krache à cause de ses méthodes de gestion suicidaires, le contribuable perd juste quelques milliards !

A force de faire l’apologie de l’irresponsabilité collective, de l’efficacité de la « gestion sans gérants », de la « décision sans jugement » (aucune expérience des actions, aucune expérience de l’entreprise, aucune mémoire, aucune émotion… juste une pseudo-maîtrise de quelques équations), nous avons vu disparaître 50% des actionnaires en moins d’une décennie.

Une bonne partie d’entre eux se sont fait lessiver avec la bulle des dot.com. Rien de nouveau sous le soleil mais la majorité a abandonné l’affaire ; ils ont bien compris que les dés sont pipés.

▪ Ils ne connaissent pas les détails, ils ne savent pas décortiquer ce système financier frauduleux comme nous le faisons mais ils ont bien compris qu’ils se font dépouiller comme au coin du bois. Prenez comme exemple tous ces dérivés qui cessent de coter dès que la volatilité s’envole : c’est la ruine assurée pour 95% des traders individuels, même des plus « subtils ».

La moyenne quotidienne des échanges se situe désormais autour de 2,5 milliards d’euros… Les banques représentent 30% (et parfois même 40%) de ce volume, le reste compte presque pour zéro.

Si un titre n’est pas volatil, si son cours ne fluctue pas sans raison identifiable des centaines de fois, voire des milliers de fois par jour, il ne présente aucun intérêt. Telle est la morale de ce marché qui n’en n’est plus un.

Si tous les mauvais perdants devaient troquer leur portefeuille contre un panier d’actifs tangibles (métaux précieux, devises nordiques, immobilier de rapport ou de prestige, entreprises non cotées pour échapper aux manipulations indicielles…), les choses n’évolueraient pas différemment.

Peut-être aurait-il fallu s’inquiéter dès 2008 de ces mauvais perdants qui se font rembourser leurs pertes (qui se comptent par centaines de milliards) par les contribuables…

Et peut-être faudrait-il se poser plus souvent des questions concernant le fonctionnement de la roulette boursière qui attire la bille systématiquement dans l’une (ou plusieurs) des 37 alvéoles sur laquelle 99% des joueurs n’ont pas misé.

Car pour gagner en profitant d’un scénario qui se produit moins de une fois sur 1 000 (battre un carré d’as avec une quinte flush par exemple), il faut être plus que « subtil ». Il faut posséder les compétences… d’un tricheur professionnel — et bénéficier de la complaisance de la commission de contrôle des jeux.

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile