Il est ultra mince et, pour une bonne cuisson, il faut le retourner en permanence !
Aviez-vous noté dans votre agenda la date du 5 janvier 2022 ? Ce jour-là, le principal indice allemand, le DAX 40, avait inscrit un record absolu à 16 285 points. Les investisseurs réagissaient alors à l’annonce que la croissance du pays pour l’année 2022 était estimée à 2,7%.
C’est beaucoup plus que ce que l’on observe sur les 12 derniers mois écoulés (mai 2022/mai 2023), mais c’était bien inférieur aux anticipations de juin 2021 (un bon 4% après -4,6% en 2020). Et, comme si ce score très éloigné de l’objectif ne suffisait pas, l’inflation ressortait à 5,3%, à fin décembre 2021 (au lieu de 2,1% six mois plus tôt), soit deux fois la croissance du PIB.
La Bourse de Francfort célébrait donc cette conjonction de mauvaises nouvelles par un record absolu sur son indice de référence… probablement dopé par des taux toujours ancré à zéro, les taux réels (inflation comprise) s’avérant même négatifs de 5% (une situation inconcevable pour la Bundesbank, mais pourtant, c’est arrivé).
Si tout va mal, tout va bien
Dix-huit mois plus tard, le 16 juin 2023, le DAX rouvrait à 16 290, avant d’inscrire, 6 heures plus tard, un nouveau record à 16 427 points. Du coup, vous attendez probablement avec curiosité de découvrir le catalyseur de ce rally qui a propulsé vendredi dernier les valeurs allemandes 1% au-delà de leurs sommets du 5 janvier 2022.
Cela semble couler de source : la BCE venait d’annoncer la veille que ses taux directeurs allaient encore être relevés de 50 points cet été (vers 4,5%), repoussant la perspective d’une détente ultérieure au second semestre 2024, et ce dans le but d’enrayer une spirale prix/salaire qui s’est enclenchée en Allemagne, notamment, depuis le début de l’année.
Une neuvième hausse de taux actée et une dixième annoncée… de quoi doper l’économie allemande, qui est officiellement en récession depuis le 25 mai ! Une excellente nouvelle que le DAX avait d’ailleurs déjà célébrée par une hausse de 600 points, ce qui avait fait voler en éclats la résistance des 15 900 points.
Ne restait plus qu’à rendre le financement de l’économie plus coûteux (en plus du renchérissement de la masse salariale) pour s’assurer que les bénéfices des entreprises germaniques marcheraient d’un pas allègre vers un avenir radieux… et que le DAX gagnerait ainsi 600 points de plus.
Après l’Allemagne, « moteur économique de la zone euro », c’est désormais l’eurozone dans son ensemble qui est entrée en récession. Après la baisse de 0,1% d’octobre à décembre 2022, une baisse de même ampleur a suivi entre janvier et mars 2023, d’après les données d’Eurostat publiées le 8 juin.
Une excellente nouvelle, donc, qui a permis à l’Euro Stoxx 50 d’engranger 2,5% et d’égaler son record absolu des 14 avril et 18 mai derniers.
Là où l’inflation persiste
Avec cette baisse (imprévue si l’on en croit les institutions européennes qui anticipaient une croissance de 1,1% en 2023 dans les 20 pays de la zone euro), toutes les perspectives économiques européennes virent au rouge.
Heureusement, l’inflation décélère… affirment en chœur ceux qui jugent la question presque résolue : si les prix de l’énergie ont en effet nettement reflué, l’inflation alimentaire en glissement annuel se situe encore à 16,6% en Allemagne, à 14,9% en France (et 16,6% pour les produits frais), 7,7% aux Etats-Unis et 0,4% en Chine.
La France présente cette particularité que le rythme de la hausse du prix des denrées alimentaires ressort 3,3 fois plus élevée en mai 2023 qu’en mai 2022. C’est le sucre qui remporte le record de la hausse la plus forte, avec 46% en un an, puis les légumes frais (23%), le beurre (21,5%) et les œufs (20%).
Autrement dit, les crêpes au sucre et la salade de saison sont des folies culinaires qui ne seront pas à la portée de toutes les bourses cet été dans l’Hexagone.
Cela va maintenant un peu mieux en Allemagne, où le pouvoir d’achat des ménages ressort du purgatoire, alors que la consommation chutait de 2,4% en mai. Le décalage négatif des prix qu’on observe encore en France résulte du « rattrapage des marges » par la grande distribution.
Voilà, nous le tenons le catalyseur qui propulse le DAX au-delà des 16 400 points, malgré la récession, une guerre en Ukraine, les 450 points de base supplémentaires pour le loyer de l’argent, les entreprises industrielles allemandes qui délocalisent en masse, l’immobilier qui s’effondre, le caddie de denrées essentielles qui prend 16,6% : la consommation va commencer à se redresser grâce à de fortes hausses de salaires outre-Rhin… qui menacent de ruiner les efforts de la BCE.
Contrepieds permanents
Pour résumer toute l’ironie de la description que nous venons de faire : rien ne va dans le scénario haussier du DAX, de l’Euro Stoxx 50 ou du CAC 40.
Et c’est justement parce que tout contredit ce mouvement que les vendeurs sont si nombreux : ce sont autant d’acteurs qui ne peuvent tenir leurs positions « short » dès que l’indice du risque, le VIX, se retrouve artificiellement écrasé grâce aux injections de liquidités au jour le jour par les centrales, et qui se retrouvent contraints de devenirs acheteurs car le coût des appels de marge devient vite intenable avec des taux à 400 points de base.
Et des spécialistes des marchés dérivés admettent la possibilité que les « rachats de découvert le couteau sous la gorge » aient compté pour la moitié des 26% de gain du S&P 500 et des 38% du DAX (énorme !) depuis le 1er octobre 2022.
Cela paraît d’autant plus plausible que, face à ce syndrome du contrepied permanent, les opérateurs rendus méfiants ont fini par se couvrir systématiquement via des « calls » (options d’achat). Du coup, le ramassage nourri de ces options – et le désintérêt pour les « puts » (options de vente) –, dans un marché « funiculaire », provoque la décrue du VIX, c’est-à-dire la baisse du niveau de « risque » apparent. C’est cette diminution qui entraîne un renforcement technique (car personne ne croit en cette hausse pour des milliers de bonnes raisons) de l’exposition sur le DAX ou le S&P 500.
Et, pendant ce temps-là, le prix des crêpes au sucre continue de flamber, car les vendeurs ne cessent de se faire « retourner ».
Sur nos étranges marchés, plus les prix flambent, plus les restaurateurs sont obligés d’en acheter, même si plus aucun client n’a envie, ni les moyens, d’en commander !
Et comme il n’y a plus d’acheteurs depuis des lustres, les volumes d’échanges sont archi-plats… comme des crêpes !